Foudroyé au combat le 22 septembre 1914, quelques jours avant ses 28 ans, auteur à jamais d’un livre unique, Henri Fournier connu sous le nom d’Alain-Fournier et auteur du Grand Meaulnes, fait son entrée dans la Pléiade.
La prestigieuse collection de Gallimard est réputée pour publier les œuvres complètes (ou quasi complètes) des écrivains du patrimoine littéraire mondial. Aucun auteur d’un seul livre n’avait eu droit à ce privilège avant Alain-Fournier.
Pourquoi Le Grand Meaulnes ? Publié en 1913 (le roman a manqué cette année-là le Goncourt d’une seule voix !), ce chef-d’œuvre intemporel, roman d’amour troublant, conte fantastique, mélange subtil de brume et de lumière (comme l’on imagine le Berry et la Sologne), demeure l’un des livres français les plus lus au monde.
L’œuvre littéraire la plus traduite après « Le Petit Prince »
Le Grand Meaulnes est l’œuvre littéraire française la plus traduite et lue dans le monde juste après Le Petit Prince de Saint-Exupéry (en Pléiade depuis 1999). « Le roman d’Alain-Fournier totalisait à la fin du siècle dernier plus de quatre millions d’exemplaires vendus en format de poche », rappelle Philippe Berthier qui a dirigé cette édition et en signe la préface.
Reste que pour de nombreux lecteurs, Le Grand Meaulnes ne serait qu’un roman « pour adolescents ». Il y a une part de vérité dans ce jugement péremptoire. Il suffit de se rappeler de ses propres sensations de lecteur adolescent, de l’émoi ressenti lors de la première apparition d’Augustin Meaulnes, le crâne ras, l’air venu d’ailleurs ; de son émerveillement en découvrant « le domaine mystérieux », les bals d’enfants costumés, les feux des bohémiens… Comment ne pas tomber amoureux d’Yvonne de Galais ?
Mais on aurait tort de croire que Le Grand Meaulnes est une histoire mièvre. Le Grand Meaulnes pourrait aussi s’intituler « La chute », voire « Crime et Châtiment », soutient carrément Philippe Berthier. Le roman d’Alain-Fournier « n’a guère de rapport avec la peu compromettante « littérature pour adolescents » qu’on a trop souvent cru y trouver », insiste le spécialiste de la littérature française du XIXe siècle.
Le volume de la Pléiade (640 pages, 42 euros), en librairie à partir de jeudi, est enrichi d’un choix de lettres, de documents et d’esquisses, notamment un chapitre inédit révélant l’impasse dans laquelle la quête d’un amour absolu conduit Meaulnes.
Son amour pour Yvonne de Quiévrecourt
Une violence latente, des pulsions sexuelles intenses affleurent tout au long du récit. François Seurel, le narrateur, « n’aura osé être ni homo, ni hétérosexuel (…) il restera vierge (…) condamné à perpétuité à regarder la vie des autres sans vivre la sienne », résume Philippe Berthier. Les lettres rassemblées dans le volume mettent au jour la passion contrariée d’Alain-Fournier pour Yvonne de Quiévrecourt qui a inspiré le personnage d’Yvonne de Galais.
A 18 ans, le 1er juin 1905, Henri Fournier (il adoptera le nom de plume Alain-Fournier pour ne pas être confondu avec un célèbre pilote automobile de l’époque !) croise par hasard Yvonne de Quiévrecourt, jeune femme « blonde, élégante, élancée » et en tombe aussitôt éperdument amoureux. Les lettres adressées à sa sœur Isabelle et à son beau-frère Jacques Rivière racontent cet amour fou et platonique. « Elle est si belle, écrit-il, que la regarder touche à la souffrance ».
L’auteur du Grand Meaulnes croisera d’autres femmes le temps de sa courte vie mais restera obsédé par sa rencontre bouleversante avec Yvonne de Quiévrecourt qu’il reverra brièvement en mai 1913 (elle est désormais mariée et à deux enfants !). Il lui avoue son amour malheureux et ose lui remettre une lettre (non envoyée) qu’il lui avait écrite en septembre 1912.
Qu’a-t-elle pensé du roman et de son inoubliable double de papier ? Nul ne le saura jamais. Yvonne de Quièvrecourt a survécu 50 ans à Alain-Fournier (elle a disparu à 79 ans en décembre 1964) sans jamais s’exprimer.
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