"Aucune raison de mentir" : au dernier jour du procès Weinstein, la procureure appelle à croire les victimes

Dans son réquisitoire, l’accusation a appelé les jurés à déclarer coupable le «prédateur» Harvey Weinstein et à croire les femmes qui l’ont accusé d’agressions sexuelles et de viols.

Dernier jour du procès emblématique du mouvement #MeToo. Ce vendredi 14 février, l’accusation n’a pas épargné l’ancien magnat d’Hollywood. La procureure de Manhattan, Joan Illuzzi-Orbon, a appelé les jurés à déclarer coupable le «prédateur» Harvey Weinstein et à croire les femmes qui n’ont «aucune raison de mentir» en accusant le mogul déchu d’agressions sexuelles et de viols.

Le producteur de cinéma aux plus de 80 Oscars se considérait «comme un maître de l’univers, et les femmes qui ont témoigné (contre lui) n’étaient que des fourmis qu’il pouvait piétiner sans conséquences», a rappelé la procureure dans son réquisitoire final, après trois semaines d’audiences au tribunal de Manhattan. L’Américain de 67 ans, qui risque la perpétuité en cas de condamnation, pensait avoir une «police d’assurance infaillible» car les six femmes qui ont témoigné au procès «faisaient la queue pour rejoindre son univers» et avaient donc intérêt à se taire, a-t-elle ajouté.

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« Elles ont sacrifié leur dignité »

Pour Joan Illuzzi-Orbon, c’est certain : toutes ces femmes n’avaient «aucune raison de mentir». «Pourquoi se soumettre à tout ce stress (en venant témoigner) ?» a-t-elle lancé aux jurés pendant sa plaidoirie de trois heures, plus courte que celle de l’avocate de la défense Donna Rotunno qui avait demandé ce jeudi l’acquittement de son client. «Ont-elles semblé heureuses d’être au prétoire? (…) Elles ont sacrifié leur dignité, leur intimité, leur quiétude dans l’espoir de faire entendre leur voix», a-t-elle martelé.

La procureure – qui mena les poursuites contre Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du Sofitel en 2011, finalement abandonnées – a aussi essayé de dissiper les doutes introduits par la défense. Donna Rotunno avait notamment insinué que les accusatrices s’étaient mises en situation d’être agressées, en continuant à fréquenter le producteur alors qu’il les avait déjà selon elles violentées. «Est-ce qu’en allant chez Harvey Weinstein, elle méritait ce qui lui est arrivé ? Était-ce sa décision ?» a interrogé la procureure, en référence aux accusations de Mimi Haleyi, une ex-assistante de production qui accuse le producteur de l’avoir agressée au domicile du producteur en 2006. Puis de poursuivre : «Est-ce qu’en prenant l’avion, on doit s’attendre à ce qu’il soit détourné? (…) Mais nous percevons les victimes de crimes sexuels différemment (des victimes) d’autres crimes.»

Le témoignage accablant d’Annabella Sciorra

L’actrice Annabella Sciorra se rend au tribunal de Manhattan pour témoigner. (New York, le 23 janvier 2020.)

Pendant sa plaidoirie entremêlant une vingtaine de dépositions, parfois difficile à suivre, Joan Illuzzi-Orbon est aussi revenue longuement sur le récit de l’actrice Annabella Sciorra, qui affirme avoir été violée par Harvey Weinstein à l’hiver 1993-94, chez elle à Manhattan. Des six femmes qui ont témoigné contre le cofondateur de Miramax, la déposition de l’actrice, au début du procès, fut sans doute la plus accablante pour Harvey Weinstein. Après le viol présumé, Annabella Sciorra a tout fait pour le maintenir à distance, alors que d’autres femmes sont restées en bons termes avec lui.

Selon la procureure, cela lui a valu d’être inscrite sur une «liste rouge» du producteur, et ciblée par des personnes qu’il avait recrutées pour essayer d’étouffer, en 2017, les enquêtes de journalistes du New York Times ou du New Yorker sur ses abus sexuels présumés. C’est la publication de ces enquêtes qui a déclenché le mouvement #MeToo en octobre 2017, précipitant la dénonciation d’abus sexuels de nombreux hommes de pouvoir. Harvey Weinstein est, quant à lui, le premier à être jugé au pénal.

Sur les traces de Harvey Weinstein

Né dans le Queens, à New York, Harvey Weinstein est le fils du tailleur de diamants Max Weinstein. Il étudie à l’université de Buffalo et fonde en 1979 la société Miramax Films, au côté de son frère Robert. (New York, le 21 avril 1989.)

Célèbres dans les années 1980 et 1990 pour leur production de films indépendants – comme ceux de Steven Soderbergh ou Quentin Tarantino – ils remportent leur première Palme d’or en 1990, pour Sexe, mensonges et vidéo. (Avec Robert Weinstein, New York, le 21 avril 1989.)

En 1997, les deux frères raflent leur premier Oscar pour Le Patient anglais, d’Anthony Minghella. Harvey est bien plus présent que Bob sous les feux des projecteurs. (New York, 1994.)

Le tout-puissant Harvey Weinstein est de toutes les soirées mondaines, où se côtoient les grands pontes de Hollywood. (Avec Tom Cruise, New York, le 3 mars 1998.)

Des délibérations qui s’annoncent compliquées

La procureure a aussi repris le témoignage parfois confus de Jessica Mann, une ancienne aspirante actrice qui a reconnu avoir eu une relation avec Harvey Weinstein plusieurs années après qu’il l’eut présumément violée en 2013. La défense avait présenté son récit comme la preuve qu’elle était en fait consentante, citant de nombreux courriels affectueux qu’elle a envoyés à Harvey Weinstein. Mais pour la procureure, la jeune femme a prouvé tout du long qu’elle était de la plus haute «moralité». «La question n’est pas de savoir si elle a pris de mauvaises décisions. La question est de savoir si elle vous ment. Si elle dit la vérité, elle a bien été victime d’un viol.»

Si Harvey Weinstein a été accusé de harcèlement ou d’agression sexuelle par plus de 80 femmes, il n’est jugé directement à New York que pour deux agressions présumées : le viol supposé de Jessica Mann et un cunnilingus forcé qu’aurait subi Mimi Haleyi. Les témoignages des quatre autres femmes sont censés établir qu’il était un agresseur récidiviste, ce qui lui vaut d’avoir été inculpé d’«agressions sexuelles prédatrices». Les réquisitoires terminés, les jurés – sept hommes et cinq femmes – délibèreront à partir de ce mardi 18 février. Plusieurs avocats ont indiqué s’attendre à des délibérations compliquées, n’excluant ni un acquittement ni une annulation du procès, faute d’unanimité des jurés.

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