A Star Is Born : une grande romance toxique pour Lady Gaga et Bradley Cooper

Ce troisième remake d’un film de 1937 sort ce 3 octobre. La popstar et l’acteur, réalisateur du projet, livrent une prestation forte, nuancée, dans ce drame où un chanteur de country sur le déclin lance la carrière d’une jeune chanteuse inconnue. Mais n’échappe pas à des clichés.

Si le temps passe à Hollywood, les histoires demeurent. Une en particulier : A Star Is Born, en salles ce 3 octobre avec Lady Gaga et Bradley Cooper dans les rôles-titres, est le troisième remake d’un film initialement sorti en 1937, puis refait en 1954 et en 1976, avec cette fois Barbra Streisand en révélation.

Le pitch : Jackson Maine, une star de blues-rock-country en perte de vitesse, dépressive, alcoolique et dépendante aux drogues, croise miraculeusement la route d’Ally, aspirante chanteuse sans le sou, abonnée aux prestations dans les bars et aux jobs de serveuse. Ils tombent amoureux, se produisent ensemble sur scène, jusqu’à ce qu’Ally commence à tracer sa propre route de popstar, et que son compagnon soit de plus en plus dévoré par ses démons. 

Attention : le papier est riche en spoilers

L’impitoyable monde moderne du showbusiness

Cette version de 2018 se déroule à notre époque – on ne sait pas exactement quand, mais les indices se trouvent dans l’utilisation de smartphones, l’existence de Youtube, les déplacements dans des énormes 4X4, et un cameo de la chanteuse Halsey – moins connue ici, elle a pourtant signé une ribambelle de tubes ces dernières années Outre-Atlantique – dans la reconstitution d’une cérémonie des Grammy Awards.

C’est surtout l’industrie de la musique qui est fortement modernisée. Jackson Maine s’accommode d’une exposition sans pareille : n’importe qui peut l’aborder n’importe quand, ou le prendre en photo avec son téléphone. Ce qui dérange Ally, qui essaie de le protéger, encore et toujours. 

Lorsque cette dernière est vite repérée par un manager lui offrant monts et merveilles, elle délaisse le blues-rock pour un son pop, sexuel, des tenues de scène affriolantes et une coloration rousse flamboyante. Non sans un moment de doute, vite passé. On a l’impression de retrouver une part de Lady Gaga, qui a abandonné ses extravagances pour ce rôle plein d’émotions où elle apparaît la majorité du temps sans maquillage. 

Deux acteurs au sommet

Passée la rencontre maladroite entre une star déconfite et une jeune femme déconcertée par son intérêt pour elle, l’alchimie entre Lady Gaga et Bradley Cooper transpire. Les deux acteurs sont incroyables en amants « passionnés » qui dévorent tout sur leur passage. Si leur couple a des défauts, on y croit sans aucune difficulté. L’interprète de Applause, qui s’était auparavant illustrée dans la série American Horror Story, explose à l’écran. Forte et vulnérable à la fois, elle parvient à nous faire oublier son assurance de popstar pour incarner cette jeune chanteuse à la base terrorisée à l’idée du « grand saut », et très complexée par son physique (Entendez : son nez).

De son côté, Bradley Cooper, dont c’est également le premier film en tant que réalisateur, s’est offert le meilleur rôle de sa carrière. L’acteur de 43 ans a transformé sa voix pour qu’elle plonge dans des sonorités graves de cowboy, et son langage corporel épouse à la perfection celui d’une rock star aussi charismatique que destructrice. 

Les scènes de concert sont particulièrement réussies, un pari technique gagné pour Bradley Cooper. Rien de plus difficile que de capter l’intensité de la musique, la magie de l’éphémère. A Star Is Born y parvient en se calant au plus près de ses personnages et en jouant sur des lumières aveuglantes. L’électricité des performances, filmées en live, est palpable, enivrante. On s’imagine sur scène à leurs côtés.  

Alchimie teintée de paternalisme

Tout va très (trop ?) vite entre Jackson et Ally. Malgré le cadre moderne, c’est un « coup de foudre » terriblement classique pour Hollywood. Ils se rencontrent dans un bar gay où la jeune femme chante La Vie En Rose, tout un symbole, et le chanteur tombe immédiatement sous le charme. D’alcoolique renfrogné, son visage devient d’un coup lumineux. 

« Il n’a pas joué aussi bien depuis très longtemps », la félicite le grand frère de Jackson, alors que les deux tourtereaux viennent de se produire ensemble pour la première fois. Ally, le miracle.

La rencontre romantique qui guérit un homme hétérosexuel de tout – l’un des grands tropismes du 7ème art, rebaptisé dans les années 2010 sous le terme de « Manic Pixie Dream Girl » dans le cinéma indépendant américain. Un terme désignant ces personnages féminins qui ne servent à rien d’autre que rendre le protagoniste principal, masculin, enfin heureux. Un arc narratif qui a été beaucoup dénoncé, car enfermant les rôles féminins dans une posture de sauveuse, sans consistance propre. 

À ce titre, le personnage d’Ally est ambigu. Le début du film la montre forte et indépendante quand elle rompt au téléphone avec un homme – et hurle au passage « Putain de mecs ! » -, elle quitte son job de serveuse sur un coup de tête, elle affirme à Jackson qu’elle ne viendra pas deux fois le chercher après une cuite. 

Mais elle se laisse séduire par ce chanteur qui s’impose en permanence, dans de nombreuses scènes gênantes. « Non » n’existe pas dans le monde de Jackson Maine, qui se croit tout permis. Il lui touche le visage alors qu’ils viennent à peine de se rencontrer, insiste pour lui offrir un verre, envoie son chauffeur la chercher chez elle pour qu’elle assiste à son concert, alors qu’elle lui avait dit ne pas être disponible, la pousse à le rejoindre sur scène alors qu’elle a peur. A Star Is Born tente de faire croire qu’une femme peut avoir besoin d’un homme pour s’accomplir, poussée comme une enfant à qui on apprendrait à faire du vélo. 

L’éternel mythe de l’infirmière

 Si Ally est très talentueuse, elle n’échappe pas à ce rôle – toxique – de l’aidante qui essaie de guérir un homme de ses addictions et de sa dépression – « Tu m’as donné un foyer », la remercie-t-il.Plus le film avance, plus il est frustrant de voir l’amour se teinter de sacrifice. Elle redécore, adopte un chien – celui de Bradley Cooper dans la vraie vie -, accepte de l’épouser alors que l’alcool et les drogues lui donnent un comportement erratique, fait annuler une tournée européenne pour rester à ses côtés. 

Jackson Maine vit mal la transformation d’Ally en popstar sexy. Pis : il ne l’approuve pas, manque le premier concert solo de sa belle car il a une nouvelle fois trop bu. Et parce qu’au fond, il vit mal son succès, alors que lui est de plus has been. Il lui reproche de vouloir compenser son manque de confiance en elle en essayant de séduire, et l’accuse de se dénaturer. « J’ai échoué avec toi », lui dit-il alors qu’elle prend un bain. La scène est terrible, malaisante au possible. Mais chaque sortie cinglante de la star de country se termine en embrassades, Ally se contentant d’un « Tu m’as beaucoup blessée », avant le pardon, qui finit par être incompréhensible. 

L’amour est une chose, l’auto-destruction une autre, et Jackson entraîne Ally dans sa chute, même s’il serait tentant de dire qu’il le fait « malgré lui ». Lorsqu’Ally remporte le Grammy Award de la révélation de l’année, son époux la rejoint sur scène ivre et drogué, et urine dans son pantalon. Ally essaie de le cacher avec sa belle robe dorée. On le retrouve ensuite dans les coulisses, porté par son beau-père, furieux, qui le glisse dans une baignoire pour le laver. « C’est à moi de le faire », pleure Ally, qui se jette sous l’eau avec lui, en tenue de soirée. 

Si l’amour rend aveugle, A Star Is Born ne se demande pas si cela est une bonne chose. Mais il montre que l’amour ne guérit de rien. En tombant amoureux d’Ally et de sa voix, Jackson croit trouver sa « porte de sortie », comme lui dit son grand frère. La vie lui prouve le contraire, et c’est cette découverte qui le fait à nouveau plonger. Le film est prenant malgré tout, et devrait au moins valoir à Lady Gaga une nomination – méritée – aux Oscars. 

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