De « 24 heures chrono » à « 13 Hours », en passant par « Iron Man 3 », « Rubicon » ou « Lone Ranger », James Badge Dale n’a pas manqué de se faire remarquer par sa présence. À l’occasion de la sortie de « Mickey and the Bear », il revient sur sa carrière.
« C’est la première fois que je viens dans ce festival », nous dit James Badge Dale à Cannes, où il présentait le drame indé Mickey and the Bear réalisé par Annabelle Attanasio à l’ACID en mai dernier. « Et ce sera peut-être la dernière, donc j’en profite. C’est une habitude que j’ai prise avec le temps : traiter un travail comme si c’était le premier mais aussi le dernier. Ça le rend un peu plus spécial. » Solide second rôle du cinéma américain, celui qui s’est illustré dans Iron Man 3, Lone Ranger, 13 Hours ou des séries telles que Rubicon ou la saison 3 de 24 heures chrono revient avec nous sur sa carrière et l’évolution de son métier.
AlloCiné : « Mickey and the Bear » vous offre l’occasion de jouer un rôle de père, ce qui est assez nouveau dans votre carrière. Est-ce ce qui vous a donné envie d’incarner ce personnage ?
James Badge Dale : C’est effectivement inédit pour moi. J’ai atteint l’âge où je peux jouer des rôles de pères. Et j’ai même eu peur en lisant le scénario, en comprenant ce que l’histoire que nous racontons et les endroits dans lesquels elle nous emmène me demanderaient, car c’était profond, personnel et effrayant. Mais j’aime quand c’est effrayant, cela m’excite. Puis j’ai rencontré Annabelle et vu à quel point elle était calme et très expressive, et j’ai eu envie de l’aider à raconter cette histoire.
Il est amusant de vous entendre parler de votre peur face à ce projet, car au fil de votre carrière, vous avez joué dans un Marvel et un film Disney, vous avez fait équipe avec Jack Bauer et tourné pour Michael Bay…
Ah oui, Jack Bauer (rires)
Et au final c’est un rôle humain qui vous effraie le plus. Comment avez-vous abordé ce personnage, au-delà de votre collaboration avec Annabelle, pour surmonter cette peur ?
Plus vous faites une même chose, et plus vous vous y habituez. La peur peut être très paralysante, et je me rappelle, quand j’étais jeune, à quel point arriver sur un plateau était effrayant. Je souffre de phobie sociale, donc me retrouver entouré par plus d’une centaine de personnes qui te disent de faire ce pourquoi tu es là, c’est vraiment terrifiant. Mais je ne pense pas que l’on veuille voir cette peur disparaître pour de bon, on apprend à la gérer et composer avec. Elle a quelque chose de positif car elle vous permet de rester honnête, elle vous force à vous entraîner lorsque vous rentrez chez vous. Et je fais beaucoup de travail à la maison, beaucoup de préparation, pour pouvoir arriver sur le tournage et ne pas être bloqué par les personnes qui m’entourent quand je dois faire mon travail.
La peur est-elle un moteur dans vos choix ?
Dans ces circonstances, oui. Je veux prendre des risques, être stimulé par quelque chose. J’ai eu de la chance, tout au long de ma carrière, de ne pas arriver sur un plateau sans en avoir quoi que ce soit à faire. J’ai toujours recherché des choses capables de me passionner. Pour une raison ou pour une autre, mais il faut qu’il y ait quelque chose qui me motive. Parfois, ça peut petre la peur. Parfois l’envie de travailler avec une personne en particulier, ce qui est une très bonne raison d’accepter un travail.
Votre expérience sur les gros films que vous avez tournés vous aide-t-elle sur des projets plus petits tels que celui-ci ?
Oui bien sûr. Il y a une grosse différence entre Iron Man 3 et Mickey and the Bear, ne serait-ce qu’au niveau du tournage. Mais l’équipe de ce film m’est très chère, c’était un groupe de personnes très particulières. Quand il s’agit de donner naissance à un film, tout le monde est un artisan dont l’art se transmet d’une génération à l’autre. Il y a une bonne façon de faire les choses, et une mauvaise. Nous essayons tous de faire le meilleur choix et, comme vous l’avez souligné, j’entre dans une nouvelle étape de ma carrière et j’aime voir des jeunes à l’oeuvre comme Camila [Morrone], Annabelle ou des membres de l’équipe technique : c’était par exemple le premier long métrage de Conor A. Murphy, notre chef opérateur, et je l’ai en quelque sorte vu grandir et progresser dans son travail.
Il paraît de plus en plus difficile pour des petits films indépendants d’exister aujourd’hui. Le ressentez-vous ainsi à votre niveau ?
Au contraire, j’ai presque le sentiment que nous vivons une belle époque pour le cinéma indépendant. Les temps sont difficiles pour les films du milieu, car les studios produisent de moins en moins de ces longs métrages pour mieux ce concentrer sur des blockbusters géants, gargantuesques, sur des mondes imaginaires. Et puisque les films du milieu sont abandonnés, les gens font de plus en plus de films indépendants. Beaucoup d’acteurs vont dans cette direction, ce qui permet de toujours avoir une scène indé pleine de vie. Et puis c’est vraiment sympa d’arriver au travail et de ne pas avoir un chef d’entreprise présent sur place (rires)
La peur a quelque chose de positif car elle vous permet de rester honnête, elle vous force à vous entraîner lorsque vous rentrez chez vous.
Vous avez récemment tourné dans un film pour Netflix (« Aucun homme ni Dieu »), qui incarne le changement à l’oeuvre dans le cinéma avec l’importance grandissante des plateformes de streaming. Pensez-vous qu’elles peuvent aider des petits films à exister plus facilement ?
Oh mec… Les choses changent tellement vite… Je ne peux pas en parler et faire comme si je maîtrisais le sujet car je suis en plein milieu, et j’essaye de comprendre ce qu’il se passe. Tout le monde essaye de comprendre. Cela peut être stimulant, comme dans mon cas avec le film de Jeremy Saulnier que j’ai fait pour Netflix, qui nous a laissé les rênes, en tant qu’artistes, pour faire ce que nous voulions : ce qu’ils voulaient, c’était un film de Jeremy Saulnier, pas de Netflix. Ils l’ont embauché pour ça. Et cette expérience me manque.
Comme cette idée de voir un film sur grand écran, avec d’autres gens ?
Oui voilà.
C’est le coeur des débats qui entourent ces plateformes aujourd’hui : s’agit-il de vrais films, de cinéma ?
Aucun homme ni Dieu n’était pas un simple téléfilm. C’est étrange. Le monde change très vite, la technologie aussi, et les gens ne quittent plus leurs maisons. Ils restent chez eux, devant leurs écrans géants. Ce qui est bien à plusieurs niveaux. Mais ce que nous faisons ici, c’est autre chose. Le cinéma est une expérience collective, qui repose en partie sur le bouche-à-oreille. Surtout dans des festivals comme celui-ci. Et c’est quelque chose que je ne veux pas perdre, car cela fait partie de ce que nous faisons. Cela se transmet de génération en génération. Nous devons nous battre pour conserver cela.
Il y a aussi des changements à l’autre extrémité du spectre, car Marvel semble avoir créé une formule avec son Cinematic Universe que tout le monde veut copier. Quels souvenirs gardez-vous du tournage de « Iron Man 3 », qui marquait le début de la Phase II ?
J’ai passé un super moment. Shane Black et Robert Downey Jr. étaient très joueurs, et même s’il s’agissait d’un film de studio, Marvel faisait preuve d’un grand respect à l’égard de Robert et de sa façon de jouer, donc ils nous ont laissés tranquilles sur le plan créatif. Je n’oublierai jamais ces moments sur le plateau : je suis quelqu’un de bizarre, qui fait parfois des choses bizarres, et quand j’allais voir Shane Black pour lui demander si ça n’était pas trop, il me répondait que ça ne pouvait jamais être trop bizarre (rires) Avoir ce genre d’indication sur un film de studio à 200 millions de dollars, c’est cool.
Le film est sorti en 2013, qui a été une grosse année pour vous car vous étiez également à l’affiche de « Lone Ranger », qui semble avoir été aussi dingue que compliqué à faire. Était-ce vraiment le cas ?
C’était dingue oui. Mais j’adore Gore Verbinski et ce film, que je trouve sous-estimé. Les gens n’ont pas compris ce que nous avons fait, mais ce n’est pas grave. Nous nous sommes vraiment amusés, et vous parliez de la folie du film : tout l’argent investi a été mis dans les décors, qui étaient massifs. C’était différent d’Iron Man 3 où beaucoup de choses ont été faites en post-production. Là nous tournions en extérieur et en lumière naturelle, donc nous avons eu des problèmes de météo, avec les décors… mais Gore Verbinski n’a jamais élevé la voix une seule fois, ce qui est une énorme qualité chez un réalisateur. Et rien que pour ça, le reste de l’équipe et moi-même étions prêts à le suivre jusqu’aux confins du monde.
Le fait que vous précisiez que l’argent a été investi dans les décors est intéressant, car c’est ce qui fait la particularité de Gore Verbinski à Hollywood. Mais on a l’impression que peu de films sont faits de la sorte aujourd’hui, que tout passe beaucoup par la post-production et les fonds bleus et verts, et que Gore Verbinski est comme un dinosaure.
Il y a des changements dans l’industrie, oui, et j’ai apprécié la façon dont Lone Ranger a été fait, l’action dans laquelle nous avons été plongés.
Il faudrait revenir à cela.
Oui ! C’était le cas sur Lone Ranger mais également 13 Hours que j’ai fait avec Michael Bay : tout était réel ! Nous parlions d’artisans, et il y a justement les cascadeurs et les experts en pyrotechnie, dont l’art doit se transmettre alors que l’on tend de plus en plus à se reposer sur les effets spéciaux numériques, qui fonctionnent moins bien selon moi. J’aime que nous fassions vraiment les choses, que nous les filmions. Et c’est stimulant de voir ces gens bosser, surtout que quand vous travaillez avec de bons cascadeurs, ce sont des personnes à qui cet art a été transmis, par leur père ou leur grand-père. Je trouve que cette partie de l’industrie est belle.
Gore Verbinski et Michael Bay ont d’ailleurs la même image auprès d’une partie du grand public, qui ne voit en eux que des faiseurs de blockbusters génériques, mais ne réalise pas que presque tout est fait sur le plateau.
Volà, et Michael Bay aussi aime la folie, même si 13 Hours était un film sérieux. Je l’adore et je retravaille avec lui immédiatement s’il m’envoie un texto, mais il me faudra juste prendre trois mois de repos pour m’en remettre ensuite. Car c’est intense.
Pour les spectateurs aussi !
(rires) Il faisait chaud, tout le monde criait, mais il se sent à l’aise dans cet environnement. Mais il n’est pas comme cela en-dehors de plateaux, c’est plus un personnage de travail. J’ai des histoires pour chaque jour de tournage et il m’arrivait parfois de regarder les autres acteurs, dont John Krasinski, et nous nous disions : « – Ça vient vraiment d’arriver ça ? – Oui, ça a bien eu lieu. » (rires)
Surtout que l’entraînement a dû être intense lui aussi.
Oui mais j’avais déjà travaillé avec des militaires par le passé, donc j’ai pu apporter un peu de ma propre expérience. Et heureusement car nous n’avons pas passé longtemps sur le côté technique des choses. Il y avait six anciens membres de Navy SEALS sur le plateau, et ils avaient connu ceux dont l’histoire de 13 Hours est inspirée. Ils pouvaient nous renseigner sur ces hommes et nous aider sur quelques points techniques. Et le plus dur pour moi sur ce film, c’était de réussir à avoir la carrure de Tyrone Woods [son personnage dans 13 Hours, ndlr], qui était bien plus massif que moi. C’était le mâle alpha de l’équipe. Et Michael a engagé des acteurs qui faisaient plus d’1m90 [contre 1m78 pour lui, ndlr], donc j’ai fait ce qu’il fallait pour avoir davantage de présence physique.
Si vous êtes capable de travailler dans l’environnement d’un film de Michael Bay, vous pouvez le faire n’importe où.
Pourquoi un réalisateur comme Michael Bay est-il toujours au top aujourd’hui ?
Il y a quelque chose comme cinq personnes capables de faire ce que lui ou Gore Verbinski font. Quoi que vous pensiez d’un film de Michael Bay, ce mec est un artisan. Dès le second jour de tournage, il plonge dans le feu de l’action et s’empare de la caméra qu’il utilise lui-même. Il est très vocal lorsqu’il s’agit du processus de réalisation, sur ce qu’il fait, ce que nous devons faire, ce qui va se produire ensuite, la place de chacun… Dès le deuxième jour de tournage de 13 Hours, John Krasinski m’a dit que c’était la meilleure équipe avec laquelle il avait jamais tourné, car tout se passe littéralement devant vous. On est dans l’instant. Et si vous êtes capable de travailler dans cet environnement, vous pouvez le faire n’importe où.
En matière d’intensité, « 24 heures chrono » vous a-t-il préparé à jouer pour Michael Bay ?
24 heures chrono, ça remonte tellement… Ce qui est amusant avec cette série, c’est que l’on est pris dans l’action, avec le temps qui défile, les différentes péripéties. C’est très intense, mais dès que l’on crie « Coupez ! » sur le plateau, l’ambiance était très détendue et nous rigolions beaucoup. J’ai vraiment aimé passer une année sur cette série, et faire partie de cette belle famille. J’étais un jeune acteur [25 ans au moment du tournage, ndlr] et j’ai sans doute fait quelques erreurs. Peut-être des choses bien aussi, mais j’ai grandi en participant à cette saison.
On vous a également vu dans des séries telles que « Frères d’armes » ou « Rubicon », qui datent d’avant ce nouvel âge d’or des séries que nous traversons actuellement. Même si vous avez récemment tourné dans « ‘Hightown », avez-vous eu d’autres propositions entre-temps, ou cherchiez-vous à vous concerntrer le cinéma uniquement ?
Après la fin de Rubicon, j’ai demandé à ce qu’on ne me fasse plus lire de scénario de série. Car je voulais raconter des histoires avec une fin. Je suis le genre de personne qui travaille et se sent mieux dans cet environnement : je préfère faire des pièces ou des films, où il y a un début, un milieu et une fin. Mais c’est vraiment la façon dont je fonctionne moi. Il m’a donc fallu dix ans (rires) Dix années pendant lesquelles j’ai parcouru le monde, travaillé avec des réalisateurs et acteurs géniaux, mais aussi ruiné chaque relation amoureuse. Et aujourd’hui je suis de retour dans le monde de la télévision, avec une série tournée à New York. Je suis rentré à la maison, et je suis content.
Votre demande est-elle venue d’une frustration liée au fait que « Rubicon » n’a pas eu de vraie fin ?
Oui… Mais vous savez qu’il existe un épisode caché. Henry Bromell, qui n’est plus parmi nous, a écrit un tout dernier épisode, qui est sans doute dans un coffre on ne sait où. Mais il a terminé l’histoire. AMC a été super avec nous, mais la seule fois où ils sont intervenus, c’était pour nous dire que nous ne pouvions pas filmer ce scénario. Henry a donc dû le réécrire pour que cela se finisse sur un cliffhanger en vue d’une deuxième saison… qui n’a finalement pas eu lieu. Malgré tout, cela reste la meilleure expérience de ma carrière, avec le tournage à New York aux côtés de ces acteurs, pour une chaîne qui nous encourageait à prendre des risques.
Ce qui n’est pas très fréquent à la télévision, qui est devenue un environnement d’entreprise. Les gens sont inquiets quant à leurs investissements, ce que je peux comprendre car cela représente beaucoup d’argent. Mais AMC n’était pas comme ça : ils nous indiquaient la direction du terrain de jeu, et nous laissaient y jouer. Lorsque cela s’est terminé, je me suis demandé ce que je pouvais alors faire. Il me fallait forcément quelque chose de différent, donc ça n’est pas pas tristesse ou parce que j’étais amer, mais parce que c’était tellement bien que je devais changer radicalement.
Qu’y avait-il alors dans cette fin ?
Presque tous les personnages y étaient tués (rires) C’était la politique de la terre brûlée. Mais l’une des choses les plus courageuses que j’aie lues. Surtout pour une série télévisée. J’ai adoré. Adoré. Mais je vais m’arrêter là sur le sujet (rires) Retenez juste cette idée de terre brûlée.
Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui trop de séries, entre les networks, les chaînes câblées et les plateformes de streaming ?
Il y a beaucoup de contenu. Et comme nous le disions plus tôt, nous sommes en plein milieu. Je regarde les choses se produire, et c’est comme un nouveau monde. Mais est-ce que je crains la sursaturation ? Oui. Bien sûr.
Quel est le réalisateur avec lequel vous avez le plus appris au cours de votre carrière ?
J’en ai côtoyé beaucoup, et j’ai appris de tous. Chacun a un style différent, unique, et j’ai vraiment eu de la chance. Je n’ai pas tant de mauvaises expériences sur mon CV. J’aime les films qui se sont révélés ne pas être si bien au final – et j’en ai quelques mauvais (rires) – car j’ai appris des choses avec. Il faut pouvoir en rire.
Pas de regrets, donc ? Car j’ai la sentiment que vous êtes un acteur sous-estimé.
Non, je n’ai pas de regrets. Je pense que les choses se produisent pour une bonne raison, et j’ai fait des choix, dans ma vie comme dans ma carrière, que l’on pourrait revoir aujourd’hui en se disant que c’était des erreurs (rires) J’ai refusé certains trucs, mais je suis heureux. Je vis l’instant présent. Et si tout doit s’arrêter demain, je suis en paix avec la façon dont j’ai passé les vingt dernières années de ma vie.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 19 mai 2019
« Mickey and the Bear » est à voir en salles depuis le 12 février :
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