Si l’on note quelques avancées du côté de l’inclusivité dans les maisons, la représentation des personnes en situation de handicap reste timide. Et rares sont les vêtements qui leurs sont adaptés. A l’occasion de la Conférence nationale du handicap ce 11 février à l’Elysée, tour d’horizon des initiatives à saluer.
La France compte 12 millions de personnes en situation de handicap, et 850.000 personnes à mobilité réduite, d’après les derniers chiffres de l’INSEE sur le sujet (2001). Dans le monde, on parle d’environ un milliard de personnes, soit 15 % de la population mondiale. À l’occasion de la conférence nationale du handicap qui se tient ce mardi 11 février à l’Élysée, Emmanuel Macron a rappelé que «les personnes en situation de handicap sont des citoyens à part entière». Un discours qui semble avoir bien du mal à s’appliquer à l’industrie de la mode. Dans les campagnes de mode comme dans les rayons des boutiques, la mode adaptive brille par son absence. Du côté de la représentation, on note cependant toutefois quelques avancées.
En 2017, et suite à une couverture polémique du magazine Interview montrant Kylie Jenner dans un fauteuil roulant, Aaron Philips, quadraplégique depuis sa naissance, se lance sur le mannequinat. La jeune femme, par ailleurs transgenre, prend alors la pose pour Asos, puis pour le magazine I-D en 2018. Mais le monde des podiums lui reste hostile : alors qu’elle était supposée défiler à la Fashion Week de New York, aucun catwalk n’était même accessible aux fauteuils. Une barrière de taille qui vient de tomber hier à l’occasion du défilé de la marque The Blonds à New York. Jillian Mercado, mannequin de 32 ans atteinte de dystrophie musculaire, a en effet défilé en fauteuil roulant pour le show du label américain. Un défi relevé haut la main et salué par le mannequin qui a dédié ce moment à «toutes les personnes handicapées qui se sont un jour senties incomprises ou invisibles.»
La représentation du handicap a aussi fait d’importantes avancées devant l’objectif des photographes de mode. En septembre 2018, Chelsea Werner, atteinte de trisomie 21, Jillian Mercado, et Mama Cax, amputée de la jambe, faisaitent la couverture du magazine américain Teen Vogue. En juin dernier, c’est Aaron Philips qui apparaissait en première page de Paper Magazine. Brenna Huckaby, amputée à 14 ans, a quant à elle été photographiée en maillot très sexy pour le magazine américain Sports Illustrated. La double championne paralympique de snowboard est également devenue égérie de la marque de lingerie Aerie (également reconnue pour ses photos non retouchées, NDLR) en début d’année dernière
En image, le défilé The Blonds automne-hiver 2020-2021 à New York
La maison américaine Tommy Hilfiger présente sa collection printemps 2018 adaptée aux personnes invalides.
À l’heure où les grands noms du luxe s’équipent de directeurs de la diversité (Gucci, Burberry, Chanel), les personnes en situation de handicap pourront-elles, enfin, compter sur une vraie visibilité ? Encore faut-il que les marques les prennent en compte dans leur processus créatif. Pour le moment, l’offre est cloisonnée. Le mass market s’y met timidement, comme chez Kiabi, collaborant depuis 2018 avec l’association Les Loups Bleus autour d’une collection pour enfants en situation de handicap. L’adaptation est alors une affaire de détails : tee-shirts faciles à enfiler, pantalons compatibles avec les fauteuils…
Une personnalisation qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement du luxe, où le sur-mesure prévaut. Mais hormis les travaux transhumanistes d’Alexander McQueen et Thierry Mugler en leur temps, et la récente ligne «Adaptive» de Tommy Hilfiger (où les coutures sont remplacées par des pressions magnétiques, des ourlets ajustables et des fermetures élastiques), bien peu d’avancées. Car comme le relève Amandine Labbé, co-fondatrice de la marque U-Exist, le tabou sur le handicap reste très prégnant dans notre société. Et si la mode, tissu d’expression des identités, tantôt ludique ou sérieuse, pouvait aider à le lever ? Focus sur deux marques qui veulent faire changer les choses.
« On peut faire du handicap une fierté »
C’est en 2014 qu’a été créée le studio de design orthopédique U-Exist. Mais son histoire débute en 2008 alors que Simon Colin, étudiant en orthopédie à Bruxelles, rédige son mémoire sur la reconstruction identitaire par la customisation : dans la pratique, quelle que soit la confection de la prothèse, les personnes opérées ne la reconnaissent pas comme leur jambe.
Simon fait alors appel aux graphistes, tatoueurs et illustrateurs de son entourage au service des patients. «J’ai immédiatement été séduite par l’idée d’une mode éthique, utile et qui fait sens», confie Amandine Labbé, co-fondatrice de U-Exist. Professeure à Esmod, celle qui venait plutôt du monde du luxe donne le souffle au projet avec une idée : faire de la prothèse personnalisée une prolongation du corps accessible à tous. Mais quelles différences avec la mode «classique» ? «Ce qui change la donne, c’est que je n’ai pas de cible spécifique. On s’adresse à des personnes appareillées de 7 mois à 94 ans.» Concrètement, on retrouve un catalogue de dessins préconçus, mais aussi une offre sur mesure, «un peu comme chez un tatoueur.» Pour Amandine Labbé, «les psychologues ont immédiatement appuyé l’initiative, qui aide à reconstruire son identité. On peut faire du handicap une fierté. Et remettre l’humain au cœur du médical.»
Fattoyz : « Les créateurs ont un rôle à jouer »
«C’est à la mode de s’adapter aux gens, pas l’inverse. Grands, gros, petits, de couleur : toute personne doit y avoir accès. Et les créateurs ont un rôle à jouer, cela fait partie de l’ADN de la création d’oser» expliquent Gwen et John, de la marque Fattoyz.
La griffe toulousaine a été fondée en 2009 par le couple après que Gwen ait perdu sa jambe dans un grave accident de la route. Impossible alors pour la jeune femme de trouver des vêtements et des prothèses esthétiques prenant en compte son handicap. Elle a alors l’idée de créer Fattoyz. «À l’époque où j’ai subi cette amputation, il y a presque dix ans, il n’y avait absolument aucune offre mode. Le handicap avait vraiment une mauvaise image, c’était très dur. La preuve, la plupart de mon entourage pensait que ma vie était finie et j’ai du me battre pour me prouver et leur prouver que j’allais continuer mon existence. Aujourd’hui, je suis contente de voir que cela se décoince quand je vois des modèles comme Aaron Philip, avec une paralysie cérébrale et signée chez Elite.»
Leurs créations regroupent à la fois des vêtements futuristes, d’inspiration Matrix, skate, punk et techwear et des jambes bioniques de couleur or, transparentes ou perforées. Ou comment transformer les prothèses médicales en véritables accessoires de mode.
Cet article, initialement publié le 22 juillet 2019, a fait l’objet d’une mise à jour.
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