Manque de budget, personnel débordé, désorganisation… Les conditions de travail à l’hôpital se dégradent, avec des conséquences non négligeables sur la santé des patients. Comment les soignantes vivent-elles la situation au quotidien ? Quelles améliorations proposent-elles ? Témoignages.
Cela fait maintenant plusieurs mois que le personnel hospitalier est en grève et déplore une grave crise de l’hôpital public. Dans une lettre adressée début janvier 2020 à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, des milliers de médecins hospitaliers menaçaient même de démissionner de leurs fonctions administratives et d’encadrement. Une menace déjà mise à exécution par près de 300 d’entre eux ces derniers jours à Marseille, Paris, Rennes ou encore Caen.
En colère, les soignants regrettent notamment que la dégradation de leurs conditions de travail remette en cause la qualité des soins et menace la sécurité des patients.
Pour Marie Claire, nous sommes allés à la rencontre de quatre femmes, qui tous les jours sont directement confrontées à ces difficultés. Témoignages.
Séverine*, 48 ans, chef de service en gynécologie : « Les CHU se déshumanisent »
« L’hôpital d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu il y a 20 ans. Nous manquons de secrétaires, d’infirmiers et de médecins, ce qui a des répercutions sur la qualité des soins mais aussi sur l’écoute des patientes.
Avant l’arrivée de la tarification à l’acte il y a 11 ans, 90% de nos journées étaient consacrées aux malades. À présent, nous faisons beaucoup plus de paperasserie et de tâches administratives. Nous n’avons plus de temps pour l’empathie, pour mettre des mots sur les pathologies diagnostiquées, pour bien expliquer les actes que nous pratiquons et les traitements à suivre au sortir de l’hôpital. C’est dommage car tout ceci est partie intégrante des soins.
Les patientes arrivent ici très angoissées, elles ont besoin d’un réconfort qu’on ne leur donne plus. Beaucoup de médecins quittent l’hôpital public non pour des raisons financières, comme cela est souvent dit, mais pour retrouver une meilleure qualité de soins, une relation médecin-malade plus acceptable et un meilleur confort de vie. Pour ma part, j’ai choisi l’hôpital par vocation mais je craque de plus en plus souvent. J’ai encore éclaté en sanglots la semaine dernière dans mon bureau à force de surmenage et d’insatisfactions. Les pouvoirs publics doivent absolument nous redonner les moyens d’être plus humains. »
Nous n’avons plus de temps pour l’empathie
Marine*, 28 ans, auxiliaire de puériculture en maternité : « Le manque de matériel porte préjudice aux patientes »
« Nous sommes une petite équipe qui fonctionne bien. Mais depuis quatre ans que je suis dans ce service, j’ai vu la situation se dégrader. Nous manquons surtout de matériel pour bien travailler. Les personnels administratifs n’écoutent pas nos demandes : ils préfèrent changer les fauteuils de la salle d’attente plutôt que d’investir dans la prise en charge des patientes.
Nous avons du acheter nous-même un thermomètre et n’avons qu’un seul tensiomètre dans tout le service, ce qui n’est pas assez. De même, nous sommes restés six mois avec une seule table de réanimation pour bébé alors qu’il en faut au moins deux théoriquement, compte-tenu du nombre d’accouchements réalisé dans notre maternité. On nous a dit que l’hôpital n’avait pas les moyens suffisants, mais pendant ce temps-là, des crédits ont été alloués pour refaire la peinture de certains couloirs. Il y a donc un vrai problème dans la répartition des budgets. La vocation d’un hôpital est bien de rendre un service médical aux patients, non ? »
Nous avons du acheter nous-même un thermomètre
Roxane*, 31 ans, infirmière de bloc en gynécologie mammaire : « On nous en demande toujours plus »
« L’hôpital fait trop d’économies sur les effectifs de personnels soignants. Résultat : notre volume de travail a considérablement augmenté. Dans de nombreux services, il faudrait deux fois plus d’infirmières pour accomplir correctement le travail demandé. Tout le monde tire sur la corde, est épuisé et n’accompagne plus les malades comme il se doit. On finit par oublier la base du métier.
Cela me fait de la peine de voir l’absence de plus en plus fréquente de chaleur humaine, le non-respect croissant des patients, de leurs émotions et de leur pudeur. Cette course au rendement crée beaucoup de frustration et de souffrance. On n’a même plus le temps d’échanger entre infirmières pour déstresser. Même si on essaie de faire au mieux, cette surpression génère aussi beaucoup d’erreurs médicales. Et comme le personnel est exténué, les arrêts de travail se multiplient, ce qui accroît le problème du manque d’effectif.
Cette évolution est inquiétante car on pourrait faire mieux en termes de qualité de soins avec les mêmes moyens si on communiquait plus au sein des services et si la hiérarchie nous respectait davantage. Aujourd’hui nous sommes des pions. On nous demande d’être de plus en plus polyvalents pour faire le travail de plusieurs personnes. Mais du coup, on approfondit moins chaque spécialité et on est moins compétent, ce qui pose des soucis de sécurité pour les patients. Je suis parfois au bloc dans un bâtiment et on me bipe pour que j’intervienne dans un autre bâtiment en cas d’urgence. Mais je ne peux pas me dédoubler. C’est décourageant. »
Même si on essaie de faire au mieux, cette surpression génère aussi beaucoup d’erreurs médicales
Pascale*, 34 ans, médecin en service d’urgence : « Les urgences, c’est l’usine ! »
« Ici le ras-le-bol est général. Nous frôlons régulièrement la catastrophe à force de tout faire à la va-vite. Nous n’avons plus une minute de répit entre deux patients, même après un cas lourd. Tout le monde est sans cesse sur les dents. Les malades attendent des heures, stressés et résignés, et nous accordons de moins en moins de temps à chacun d’eux. L’interrogatoire médical est réduit à la portion congrue et nous établissons des diagnostics au plus vite, ce qui n’est jamais optimal.
Le problème de l’engorgement des urgences est triple : nous manquons souvent de personnel et nous sommes confrontés à la disparition des consultations sans rendez-vous en médecine de ville. Du coup, beaucoup de patients viennent aux urgences pour un souci bénin. Mais compte-tenu du fonctionnement actuel de l’hôpital, nous ne pouvons pas les refuser car les urgences sont l’un des services qui rapportent le plus à l’établissement. Nous passons aussi parfois beaucoup de temps à chercher des lits susceptibles d’accueillir les patients. Et quand il n’y en a pas, nous les gardons aux urgences, parfois même sur des brancards dans les couloirs quand tous les box sont occupés.
Ce retard de prise en charge peut être catastrophique : il augmente le risque de mortalité pour les cas les plus graves, mais on n’a pas d’autres choix. On est démunis. Il faut repenser tout le système : rouvrir de nouveaux lits dans de nombreux services hospitaliers et mettre en place des dispensaires en ville qui soient ouverts 7 jours/7 et 24h/24 pour recevoir les petites urgences afin que l’hôpital puisse se concentrer sur les cas les plus lourds. »
* Les prénoms ont été modifiés
- Les femmes doivent-elles avoir peur de la retraite universelle ?
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