Gérardmer 2020 : le cinéma d'horreur, ses peurs, ses souvenirs… rencontre avec Asia Argento

Présidente du jury de la 27e édition du festival de Gérardmer, Asia Argento a profité d’une pause entre deux projections pour une petite conversation sur le cinéma.

Asia Argento, présidente du jury au festival de Gérardmer ? Cela sonne comme une évidence tant la star italienne baigne, depuis son enfance, dans le cinéma d’horreur. Un goût prononcé pour l’étrange qui a été, évidemment, initié par son père, le cinéaste et Maître du giallo Dario Argento. Pourtant, très vite, et tout au long de sa carrière, l’artiste a su s’affranchir du statut d’icône de son patriarche. Polyvalante, elle a dévoilé l’étendu de son talent devant (elle a joué dans près de cinquante longs-métrages) mais aussi derrière la caméra, en tant que scénariste et réalisatrice. Son troisième et dernier film, L’Incomprise, avait été sélectionné dans la catégorie Un certain regard au Festival de Cannes en 2014. À Gérardmer, pour cette 27e édition du festival, Asia Argento passe de l’autre côté en prenant la tête du jury. Pour le moment, impossible de donner son avis sur la compétition, mais la présidente raconte se munir de son carnet devant chaque projection : « Quand on voit jusqu’à trois films par jour, il vaut mieux prendre des notes« . Seule, assise à une table située au fond du restaurant du Grand Hôtel, la cinéaste s’est octroyée un moment de répit avec Allociné. Rencontre.

Allociné : En 1999, vous étiez membre du jury aux côtés du réalisateur John Landis, qui était le président. Cette fois, ce rôle vous revient. Qu’est-ce qui a vous a donné envie d’accepter cette belle invitation ?

Asia Argento : J’ai gardé un beau souvenir de Gérardmer. C’était une ambiance très agréable et on discutait beaucoup de cinéma de genre. C’est tout ce que j’aime. Être présidente, c’est un honneur, une responsabilité, et je sentais que je pouvais le faire, ou du moins que j’allais faire de mon mieux. Tout le monde me demande : « Ça fait quoi d’être la première femme présidente ?« , mais je ne pense pas à ça. Dans la vie, que ce soit dans le cinéma ou dans les autres corps de métiers, on est pas égaux, donc ce n’est pas choquant que je sois la première. J’espère simplement que cela enverra un bon message aux autres festivals pour choisir davantage de femmes, qu’elles soient actrices ou réalisatrices.

Que venez-vous chercher, d’une façon générale, dans un film d’horreur ?

J’attends d’avoir peur, de sauter sur le siège. Le cinéma d’horreur te donne des émotions tellement fortes, surtout quand tu es dans une salle avec d’autres personnes, il y a vraie communion. Il y a une sorte d’extase dans la peur. Je sais que c’est un peu morbide, mais voir nos angoisses projetées sur un écran, ça nous permet d’exorciser. Parfois, on rit aussi. C’est comme les singes dans la forêt, quand ils ont peur et qu’ils se sentent attaqués, ils rient. J’ai toujours eu beaucoup plus d’attirance pour le cinéma fantastique que pour le cinéma politique ou les films de bourgeois sur les problèmes de famille. Ça ne m’intéresse pas tout ça, ils ne me racontent rien. Ma vie ne ressemble pas à ça. On voit beaucoup ce genre de films en Italie, même en France d’ailleurs.

Le Locataire est l’un des films qui m’a fait le plus peur.

Vous avez souvent parlé de votre amour pour le classique de Tod Browning, Freaks. Quels sont les autres films de genre qui ont compté pour vous ?

Je ne peux pas m’empêcher de dire que j’adore le cinéma de mon père. Bon, je ne dis pas ça parce que c’est mon père. Je pense réellement que c’est un génie. J’ai dû voir chacun de ses films plus d’une cinquantaine de fois. J’ai également une obsession pour les films de possession. Il y a évidemment L’Exorciste, mais j’aime aussi beaucoup le travail de Scott Derrickson, qui a fait Sinister, L’Exorcisme d’Emily Rose ou encore Délivre-nous du mal. J’ai déjà vu une scène de possession en vrai. Je ne crois pas que c’est une question d’hystérisme. Il y a des esprits partout et il suffit d’une petite fissure dans ton âme pour que quelque chose puisse s’y glisser. Ça, ça me fait très peur.

Y a-t-il une image dans le cinéma de genre qui reste imprimée dans votre esprit ?

Je vais en choisir deux. Il y a ce plan génial dans le film de mon père, Profondo rosso (Les Frissons de l’angoisse en version française, NDLR), où l’on aperçoit très brièvement l’assassin, dissimulé sur une peinture, mais les spectateurs ne le voient pas du premier coup d’œil. Je lui ai demandé : « Mais comment tu as fait ça ? Personne n’a jamais vu qu’il était là !« , et il m’a répondu qu’il n’avait rien fait de spécial, il savait juste que le public n’allait pas faire attention, car il était trop occups à suivre l’action de la scène et les mouvements du personnage. Un autre plan qui m’a beaucoup marqué, celui dans Le Locataire de Roman Polanski, où le personnage découvre des dents dans le mur. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est quelque chose qui me donne envie de hurler.

Il y a également ce moment où Roman Polanski regarde par la fenêtre et voit, de l’autre côté de l’immeuble, une personne couverte de bandage qui l’observe… C’est effrayant.

Ah oui ! Je dois dire que Le Locataire est l’un des films qui m’a fait le plus peur. Ces derniers jours, on m’a beaucoup demandé de citer des œuvres, j’ai parlé de pleins de films, mais quand j’y pense, Le Locataire est fait de très peu de choses, pourtant tout fonctionne. C’était un grand moment d’angoisse dans la vie de Polanski et il a tout mis dedans.

Vous avez travaillé avec beaucoup de cinéastes prestigieux durant votre carrière d’actrice : Abel Ferrara, Sofia Coppola, Gus Van Sant, Patrice Chéreau, votre père bien sûr, mais aussi George A. Romero pour Le Territoire des morts. C’est une légende dans le monde de l’horreur. Que retenez-vous de ce tournage ? 

Tout était tourné la nuit et c’était étrange car on allait se coucher quand le soleil se levait. Tout ça, pendant deux mois. On vivait comme des zombies en fait. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à être DJ. Entre quelques prises, j’allais dans un bar punk, j’avais mes discs et j’ai commencé comme ça. Je retiens surtout mon expérience avec lui sur le plateau. J’étais très touché qu’il me veuille dans son film. Je devais déjà tourner pour lui avant, car il avait aimé mon premier long-métrage, Scarlet Diva, mais finalement ça ne s’est pas fait. Il était tellement gentil et je me souviens qu’il fumait tout le temps ! Et puis me retrouver avec Dennis Hopper, avec qui j’avais déjà tourné dans The Keeper, c’était génial. Ils étaient des maîtres pour moi et je les ai perdus tous les deux. C’est terrible. J’ai trouvé une photo de Dennis, George et moi à Cannes. On se marrait beaucoup ensemble. Ils étaient d’une grande humanité.

Vous allez bientôt rejouer sous la direction de votre père dans son nouveau film, Occhiali neri. Que pouvez-vous nous dire sur ce projet ? 

Je ne peux pas raconter l’histoire, mais c’était un scénario qu’il avait écrit au moment du Syndrome de Stendhal, en 1996. C’était génial. Finalement, il a fait d’autres films après et il l’a oublié. Et c’est moi qui lui en ai reparlé en lui disant : « Tu te rappelles de ce script ? C’était super, tu l’as encore ? ». Il l’a retrouvé, il l’a modernisé et le résultat marche parfaitement bien. On a rapidement trouvé la production, qui sera franco-italienne. Mon père a 81 ans et je crois que, depuis que je travaille avec lui, c’est l’un de ses meilleurs scénarios. D’ailleurs, il dit toujours : « Quand tu as un bon scénario, 80 % du film est fait« . Donc voilà, on a déjà fait 80 % du travail (rires).

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