Pourquoi certaines personnes savent-elles toujours tout mieux que tout le monde ?

La bonne question.- Sans que vous le leur ayez demandé, ils vous conseillent, vous reprennent, vous font la leçon. Selon eux, vous n’avez rien saisi et ces coachs autoproclamés ont la solution. Pourquoi ?

Ils détiennent la science infuse, l’encyclopédie de la relation de couple, de la parentalité ou bien de la vie professionnelle. «Ils», ce sont celles et ceux qui savent toujours tout mieux que tout le monde, à commencer par l’interlocuteur en face. Pourquoi ? Pas parce qu’ils sortent de Science Po, non, mais bien à cause de quelques rouages psychologiques. Explications.

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Narcissisme et fragilité

Au risque d’enfoncer une porte ouverte, rappelons d’abord à celles et ceux en bout de course et qui commencent à douter que personne ne sait mieux que les autres. Selon le psychologue clinicien Samuel Dock, qui analyse l’hyper-individualisme contemporain dans son livre Le Nouveau Malaise dans la civilisation (Plon, 2017), ces ultimes détenteurs du savoir présentent une caractéristique particulière : le narcissisme. Et alors que l’assurance de leur discours pourrait laisser croire à une solidité, elle cache en réalité une sérieuse fragilité, alimentée de doutes, d’angoisses.

«Ces personnes ne laissent pas de place à leur interlocuteur car le non-savoir de l’autre révèle leur propre non-savoir. Accepter cela, c’est affirmer que l’on est vulnérable, incomplet, et que l’on n’est pas tout-puissant. Voici ce qui leur est insupportable», précise Samuel Dock. En clair, comprenez bien qu’en comblant votre connaissance, ces personnalités comblent leur propre vide. «Elles cherchent dans le regard de l’interlocuteur à être « ré-assurée », car la seule chose qu’elles savent c’est qu’elles ne savent pas», complète le psychologue.

La société du « like »

À l’origine d’un tel fonctionnement, on retrouve sans surprise ce qui se tramait durant l’enfance. Pour le psychologue, ces personnes peuvent avoir souffert de carences infantiles, «avoir manqué d’un regard valorisant qui leur donne forme. L’image d’elles-mêmes qui se constitue dans le regard parental a pu faire défaut».

L’univers dans lequel nous évoluons au quotidien n’y serait pas pour rien non plus. Pour Samuel Dock, la «virtualisation du lien social» accentue ce type de comportement. «Sur les réseaux, on compose avec l’autre via un écran. Notre image devient le moyen de nous affirmer dans notre individualité et la pensée devient moins importante, plus fragile. Cette culture du like nuit à la reconnaissance de l’autre, le débat n’est plus possible, et on finit par être dans la vie, tout-puissant face à l’autre».

Selon le professionnel, nous voudrions également penser que les choix que nous faisons pour nous construire sont les meilleurs. «Les autres chemins pour y arriver deviennent alors impossibles», ajoute-t-il.

L’intime, le domaine à risques

Par définition, ces personnalités peuvent vous exposer la (leur) voie royale à propos de n’importe quel sujet. Mais force est de constater que certains domaines y sont plus propices que d’autres, à l’instar du couple, de la parentalité, de la maternité. Quand il s’agit d’intime, les détenteurs du savoir ont un boulevard devant eux, et se sentent pousser des ailes. «Ce sont des domaines où il n’y a justement pas de règle, où le savoir doit être redéfini. Cela peut générer des angoisses chez ces personnes, elles peuvent se construire un savoir pour se rassurer», explique le psychologue.

Au-delà du fait que ce comportement soit horripilant, il peut aussi fausser les rapports voire empêcher les relations authentiques. Comment réagir quand le détenteur du savoir est un(e) ami(e) ? Samuel Dock est catégorique : rien ne sert de se lancer dans un débat, mieux vaut entreprendre un discours clair et rassurer. «Il est important de reconnaître sa propre impuissance car l’autre n’est pas capable de le faire. On peut lui dire : « J’ai entendu ton discours, pour autant, dans mon vécu personnel, c’est ainsi que j’ai ressenti les choses, et peut-être que je me trompe ». On peut aussi demander à l’autre de « nous laisser de la place » pour penser». Enfin, si l’on tombe dans l’excès, le mieux reste encore d’enjoindre l’autre… à consulter.

* Initialement publié le 13 janvier 2019, ce papier a fait l’objet d’une mise à jour.

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