Difficile, souvent, de faire la différence entre une personne excessivement méfiante et un véritable paranoïaque au sens pathologique du terme. Comment se manifeste la paranoïa ? Comment vivre avec ce type de personnalités ? Explications et témoignages.
« Il est complètement parano », « arrête ta parano« , « c’est de la paranoïa »… Comme bon nombre de termes psychiatriques, le mot est souvent utilisé à tort, pour décrire des personnalités ayant tendance à se victimiser ou exagérément méfiantes.
Pourtant la paranoïa – du grec « penser à côté » – est une véritable pathologie qui, lorsqu’elle est avérée, peut se traduire par des délires et des comportements dangereux pour ceux qui en sont atteints ou pour autrui.
Attention toutefois, les « vrais » paranoïaques sont peu nombreux. Selon le psychologue Pascal Neveu, ils ne représentent que 0,5 à 2,5 % de la population. Un pourcentage bien plus élevé en hôpital psychiatrique, les paranoïaques étant difficiles à traiter sans internement.
Tout un chacun peut être considéré comme parano à ses heures
Les paranoïaques interprètent le réel au travers d’un filtre
« On parle généralement de « trouble de la personnalité paranoïaque », explique la psychologue Emmanuelle Lacroix. Ceux qui en sont atteints se caractérisent par une absence d’affect. Ils semblent souvent rationnels au premier abord mais collectionnent les a priori et certitudes sur la vie. Un paranoïaque est extrêmement méfiant, faisant sienne la fameuse maxime, « L’enfer c’est les autres ».
Il s’attache également à des détails que vous n’aurez pour votre part pas remarqué. Un paranoïaque interprète en effet le réel au travers d’un filtre – « les autres me veulent du mal et sont méchants » – afin de confirmer ses scénarios intérieurs. C’est par exemple, illustre Emmanuelle Lacroix, « cette collègue qui va se convaincre qu’elle n’a pas été mise en copie d’un mail par sa responsable parce que cette dernière veut la licencier. Alors que l’explication est ailleurs : ce mail ne la concernait pas. » Une faculté à se sentir « visé » que nous pouvons tous avoir de temps à autre.
A la différence près qu’un vrai paranoïaque n’en démordra pas même après une explication circonstanciée. En d’autres termes, tout un chacun peut être à ses heures « parano ». Mais les paranoïaques pathologiques parviennent rarement à sortir de cette histoire qu’ils se racontent et dont ils sont convaincus.
Internet et les réseaux sociaux peuvent renforcer facilement un sentiment d’exclusion
La société actuelle renforce en outre notre tendance naturelle à la paranoïa, constate Emmanuelle Lacroix : « il suffit de se lever du mauvais pied pour être très vite offensé par une absence de like sur notre dernier Instagram. Internet et les réseaux sociaux peuvent renforcer facilement un sentiment d’exclusion. Sur des personnes pathologiquement atteintes ou sur des ados fragiles, cela peut être dévastateur ».
« Un goût prononcé pour la procédure »
Autre caractéristique souvent partagée par les paranoïaques, un goût prononcé pour la procédure. « Ma mère n’a jamais été diagnostiquée formellement parce que comme tous les paranos, elle refuse catégoriquement d’aller chez un psy, qui représente pour elle un danger évident, raconte Sandrine, 37 ans. Mais j’ai passé ma vie à la voir écrire des lettres de plaintes à diverses administrations, à rester des heures au téléphone avec les services clients d’EDF ou de France Télécom, pour se plaindre du traitement injuste qui lui était réservé. »
« Elle s’est peu à peu fâchée avec tout son entourage à force de dénoncer les soit-disant complots qui se tramaient dans son dos… A première vue, elle n’est pas « folle ». Mais elle vit clairement dans une autre dimension, convaincue que le monde entier lui veut du mal ou cherche à la flouer. C’est épuisant parce qu’il ne lui vient jamais à l’esprit qu’elle s’imagine des choses qui n’existent pas. Et gare à ceux, moi par exemple, qui tentent de lui ouvrir les yeux. »
Une psychose qui nécessite la prise de médicaments adaptés
« Les paranoïaques sont généralement dans l’incapacité de se remettre en question« , confirme Emmanuelle Lacroix : « pour eux, les autres sont responsables de tout. Sachant que la maladie peut évoluer vers des bouffées délirantes, accompagnées d’hallucinations visuelles et auditives ou encore un sentiment de persécution pouvant provoquer des comportements agressifs ou suicidaires. »
Dans ce cas, insiste Emmanuelle Lacroix, il n’y a pas d’autre choix que l’internement : « Un délire paranoïaque ne peut être géré en famille ou par des amis. C’est une psychose qui nécessite la prise de médicaments adaptés. »
« Ce sont en outre des personnalités que nous croisons peu en cabinet », ajoute la psychologue. La thérapie demande en effet une remise en question impossible pour le parano, qui est trop fragile psychiquement pour cela. « Le travail avec un psy repose par ailleurs sur une relation de confiance, très compliquée pour une personne qui se méfie de tout. »
Un délire paranoïaque ne peut être géré en famille ou par des amis
Comment réagir face à un paranoïaque ?
Les proches de paranoïaques en témoignent, il est difficile de vivre avec ces personnalités. Sandrine a ainsi coupé les ponts avec sa mère : « j’avais l’impression de sombrer avec elle et n’en pouvais plus de me justifier sans cesse », confie-t-elle.
S’il n’y a pas de « recette miracle », Emmanuelle Lacroix conseille néanmoins d’être extrêmement précis dans les communications que l’on a avec un paranoïaque : « toujours dire clairement ses intentions. Éviter tout ce qui peut être équivoque et notamment les mails et sms, respecter les formes, les règles élémentaires de courtoisie ».
Elle suggère aussi « de s’appuyer avec eux sur les lois et les règlements, qu’ils connaissent souvent très bien, d’éviter les menaces et ne pas s’épuiser à essayer de les convaincre que leurs pensées sont fausses » : « cela ne fait que renforcer la paranoïa et aggrave leur méfiance vis à de vis de leur interlocuteur ». Ne pas hésiter enfin à se protéger, en donnant le minimum d’informations personnelles sur son intimité.
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