À la veille du Quinté+ 100% féminin, qui se tient à l’hippodrome de Paris Longchamp le 31 octobre, nous avons rencontré les trois meilleures femmes jockeys de France. Plongée dans un monde de galop et de casaques.
Les hippodromes sont leurs royaumes. Les écuries, leurs deuxièmes maisons. Elles s’appellent Coralie Pacaut, Mickaëlle Michel et Delphine Santiago, et sont la fine fleur des femmes jockeys en France. On précise «femmes» jockeys, mais ces femmes-là montent comme les hommes, dans les mêmes courses, sur les mêmes pur-sang. La course hippique est encore aujourd’hui le seul sport – avec la voile – où femmes et hommes s’affrontent dans une seule et même catégorie. Dire que l’égalité entre les sexes est respectée sur les parcours est pourtant loin d’être vrai. Comme à beaucoup d’endroits, les courses de galop ont longtemps préféré les hommes.
«Il y avait là-dedans une part de machisme, concède Jean-Pierre Colombu, vice-président de France Galop, mais aussi cette certitude qu’il fallait énormément de force dans les bras pour finir une course ; que rester suspendu les pieds sur les étriers pendant plus de 2 km tout en dirigeant un animal entre 450 et 500 kg à 60 km/h était plus difficile pour les femmes.» Difficile, mais pas impossible. En 1804, la première femme jockey connue, Mrs Thornton, originaire de York en Angleterre, se mesurait déjà à un homme dans une course de 6.400 mètres… Au début du XXe siècle, la discipline fleurissait aux États-Unis, puis au Japon, en Australie, avec des capes et des jupes claquant au vent en guise de casaques (les tenues de jockeys), laissant apparaître bas brodés et bottines de couleur.
Remise de poids et avènement des femmes
Delphine Santiago lors d’une arrivée à Fontainebleau, en avril 2019.
En France, les choses se font plus tardivement, dans les années 1960. Au début des années 2000, c’est Delphine Santiago qui ouvre véritablement la voie à une plus large féminisation. À 22 ans, la «gamine» de Castres, 1,50 m pour 49 kg, est la première femme à obtenir le statut de meilleur apprenti jockey de France, accordé à celui qui engrenge le plus de victoires en un an. «Quand j’étais enfant, je voulais être police à cheval, nous raconte-t-elle avant une course à l’hippodrome de Longchamp. Mais on m’a dit qu’1,50 m, c’était trop petit.» Alors elle a découvert les courses, la compétition. «J’ai commencé à lire Paris Turf ; à 14 ans, je connaissais tous les chevaux par cœur, tous les entraîneurs et les propriétaires du Sud-Ouest», raconte-t-elle. Presque vingt ans plus tard, elle est toujours la Française à détenir le plus de titres, dont le record de Quintés (les courses vedettes outre celles du groupe 1, les plus prestigieuses), hommes et femmes confondus.
À 40 ans, elle a connu l’avant et l’après de ce que l’on appelle la «remise de poids», c’est-à-dire le fait de décharger les femmes jockeys de 2 kilos dans une course, afin qu’elles soient plus sélectionnées en compétition. Édouard de Rotschild, le président de France Galop, l’a instaurée en 2017 après ce triste constat que les entraîneurs et les propriétaires de chevaux ne leur faisaient pas assez confiance en courses. «Cette décharge a le mérite d’avoir mis les femmes à cheval», résume Mickaëlle Michel, la jockey indépendante de 24 ans qui a battu le record de victoires pour une femme en 2018. Son plus beau succès, elle l’a pourtant connu lors d’une course de groupe 1 (qui interdit les remises de poids) au Japon, «au même titre qu’un homme». Cette vieille histoire selon laquelle la course de galop est un sport de bras, elle n’y croit plus. «Les bras sont là pour accompagner le cheval, pas pour le porter ! Ce qui fait que le cheval va plus vite lors d’une arrivée, c’est le parcours qu’on lui donne tout au long de la course, ne l’obligeant pas à faire des efforts inutiles, préservant au mieux son énergie.» La décharge est passée à 1,5 kilo en 2018, après que les hommes se sont plaints de ne plus assez travailler. L’ironie du sort.
En vidéo, la spectaculaire arrivée de Michelle Payne, première femme à gagner la Melbourne Cup en 2015
Danger de mort et agendas surbookés
À 40 ans, Delphine Santiago reconnaît que la décharge aurait été bien utile à ses collègues forcées d’arrêter leur carrière parce qu’elles n’arrivaient pas à vivre de leur métier. «Nous sommes peu nombreuses à avoir tenu, confie-t-elle, et la plupart d’entre nous ont eu des accidents, souvent fatals.» Elle-même a évité de peu la paralysie après une mauvaise chute sur l’hippodrome de Bordeaux. «J’ai mis un an et demi à m’en remettre, et j’ai dû signer une décharge à mon retour selon laquelle j’acceptais qu’il y ait des sequelles, que mon corps s’abîmerait plus rapidement.»
La course hippique est une discipline ultradangereuse, autant pour les jockeys que pour les chevaux. «C’est du vivant qu’on a entre les jambes, et ça va très vite, mais très très très vite», traduit Mickaëlle Michel, éjectée de son cheval en juillet alors qu’elle tournait avec lui à l’arrière des stalles de départ, prenant notamment un vilain coup au visage. «Les courses sont devenues plus dangereuses parce que les jockeys sont plus fatigués qu’avant, ils ont donc plus de mauvaises réactions, ils se respectent moins», rajoute Delphine Santiago. La fatigue, ici, on en parle peu. «On part rarement en vacances, parce que sinon on perd nos clients, les chevaux, la condition physique», résume Mickaëlle Michel qui, il y a encore un mois, a monté neuf chevaux dans la même journée, sur deux hippodromes différents. Ces chevaux qui, eux aussi, s’entraînent dur quotidiennement, sont élevés pour gagner. «On peut tisser des liens avec un cheval qu’on monte régulièrement ou avec qui on a gagné un bonne course, mais on n’est pas là pour rentrer en communion avec eux non plus, ils n’en ont d’ailleurs pas envie, ce sont eux aussi des sportifs de haut niveau.»
Coralie Pacaut, l’étoile française
Coralie Pacaut sur le rond de présentation du Prix du Château de Compiègne, le 17 septembre 2019.
Par chance, la talentueuse Coralie Pacaut n’a jamais été gravement blessée. «Juste un écrasement du muscle du bras» après une chute à la sortie des stalles de l’hippodrome de Cagnes-sur-Mer, en janvier 2018. Deux jours d’arrêt. À 22 ans, celle qui a toujours voulu être «jockey ou rien» est, chose rare pour une femme, au service de l’un des plus importants entraîneurs français, Jean-Claude Rouget. Chaque matin, elle est à cheval dès 7 heures, pour entraîner deux lots (chevaux) en moyenne, avant de partir à travers l’Hexagone pour les courses de l’après-midi, et finalement rentrer chez elle, à Deauville, à la nuit. Considérée comme la jeune étoile du galop français, elle est la première femme jockey au classement mixte (9e du Top 10) avec, à date, 62 victoires sur 597 courses en 2019. En guise de comparaison, le numéro 1, Maxime Guyon, affiche 208 victoires pour 1.270 courses.
«Rien ne me rend plus heureuse que de passer le poteau en tête», sourit la sportive d’1,69m (elle fait partie des grands) pour 52 kg, qui a commencé les courses à 16 ans «à côté de ceux qui en avaient déjà 40». Aujourd’hui, grâce à son entraîneur et à son agent, elle a la chance de monter «des super chevaux avec des grosses casaques (comprenez pour de gros propriétaires, NDLR)». Son succès fulgurant (elle n’est plus apprentie depuis tout juste un an) ne lui vaut pas pour autant d’inimitiés. «C’était un peu compliqué avec les hommes au début, parce qu’on évolue quand même dans un milieu aigri et jaloux, mais je n’ai jamais eu de problèmes avec personne.» Pas d’intimidation dans les vestiaires, pas de mauvais comportement en courses. Ici, pas de sexe fort. «De vous à moi, les trois quarts du vestiaire, si je leur mets une gifle ils ont mal», plaisante Delphine Santiago, en référence aux petits gabarits des jockeys hommes en général.
Petits cachets et grandes victoires
L’Australienne Michelle Payne et son pur-sang néo-zélandais Prince of Penzance s’apprêtent à remporter la course 7 de l’Emirates Melbourne Cup, le 3 novembre 2015.
Si les femmes se font donc largement fait remarquer sur les hippodromes, elles restent encore en minorité sur les parcours. Sur 600 jockeys en France, elles sont 127, réunissant à elles toutes – seulement – 9% des gains totaux de courses, soit environ 2 millions d’euros. Autant dire que la plupart ne peuvent décemment pas à en vivre. Delphine Santiago s’estime, elle, «plus qu’heureuse avec ses 12.000 euros par mois» – avant déduction de ses frais. Rien à voir, cependant, avec ceux qui ont la chance d’avoir été sélectionnés dans une course de groupe 1. En guise d’exemple, le dernier jockey vainqueur du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe, le Français Pierre-Charles Boudot, est reparti avec 200.000 euros (sur les 5 millions d’allocation, revenus majoritairement au propriétaire du cheval gagnant, Waldgeist).
À ce jour, rares sont les femmes jockeys à avoir remporté un groupe 1, la dernière étant l’Australienne Michelle Payne lors de la Melbourne Cup 2015, cette course dont on dit qu’«elle arrête l’Australie», tellement elle est suivie à travers le pays. Mickaëlle Michel, seule à avoir représenté le drapeau tricolore dans plusieurs tournois internationaux, regrette qu’il n’y ait pas autant d’engouement en France. Autant qu’en Angleterre, aux États-Unis, au Canada ou au Japon, où elle est devenue une star en l’espace d’une course remportée lors du World All-Star Jockey. «Depuis mon retour il y a deux mois, je reçois des lettres, des cadeaux, des colis, des photos à retourner dédicacées, jubile celle qui projette d’aller y faire une saison en 2020. Ambitieuse, elle vise aujourd’hui une carrière à l’international. «Je veux être un jockey comme les hommes, connue et reconnue à l’étranger comme peut l’être Christophe Soumillon (jockey belge parmi l’élite mondiale, NDLR), qui, l’hiver, va au Japon, à Dubaï, aux États-Unis, pour monter les grandes courses partout dans le monde.» Si rien ne dit que Mickaëlle Michel réalisera son rêve, France Galop a en tout cas atteint le sien. Aujourd’hui, l’Afasec, l’Association de Formation et d’Action Sociale des Écuries de Courses, forme 67% des filles qui se préparent aux métiers de courses. Un pourcentage en constante augmentation depuis une quinzaine d’années.
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