Impressionnante mais chaleureuse, souriante mais inflexible, l’actrice, visage de Lancôme depuis plusieurs années, répond à nos questions avec attention, et nous fait un hug pour dire au revoir. Rencontre avec une femme sereine, éblouissante.
Nous la regardons cette femme qui sourit, beaucoup, franchement. Nous voyons ces yeux noisette animés d’un truc en plus, on ne sait pas quoi, mais l’œil vide on sait comment ça rend, ça ne donne rien. Nous ne comptons pas les fines rides autour des yeux, ni comblées ni effacées, qui disent toutes les vies d’une vie, qui racontent quelque chose de plus captivant que la course à la jeunesse, perdue d’avance. Nous sommes interloquées par la chevelure affolante, la silhouette fluide qui habille le vêtement plutôt que l’inverse.
Et cette attitude. Ni minauderie ni fausse modestie, elle magnétise l’espace. Julia Roberts est une star. L’ambassadrice Lancôme dit son âge, 51 ans, comme si elle vous donnait l’heure. Car ce qui compte est qui vous êtes et ce que vous faites : elle, c’est plus de cinquante films en trente ans de carrière, un oscar pour Erin Brockovich, trois enfants dont des jumeaux, et une activité de productrice. Son dernier rôle, une psychologue paranoïaque dans la série Homecoming, sur Amazon. Quand elle parle de son travail, on sent l’inflexibilité, et on se dit qu’il n’y a pas de place pour les faibles à Hollywood. Et quand elle évoque ses enfants, la douceur reprend le dessus. On a trouvé. Ce truc qui brillait dans ses yeux pendant la prise de vue, c’était l’intelligence. Rencontre avec une femme puissante.
J’adorerais savoir poser sur le tapis rouge. (…) Mais j’ai toujours le sentiment d’être une ado de 12 ans.
Marie Claire : Bonjour Julia ! Vous voir poser était incroyable. On avait l’impression que c’était juste ultra-normal pour vous d’être là. Je me demandais à quoi vous pensiez pendant que vous étiez prise en photo ?
Julia Roberts : Question intéressante. Quand vous assistez à un événement, une cérémonie, vous êtes merveilleusement habillée, des gens ont beaucoup travaillé pour que vous soyez sublime. Dans ces moments-là, je regarde les personnalités sur le tapis rouge, elles posent avec beaucoup de… vous voyez ce que je veux dire, j’adorerais savoir faire ça ! Mais je ne peux pas. Je me sens trop… je ne sais pas, j’imagine que j’ai toujours le sentiment d’être une ado de 12 ans. Ce n’est pas juste l’excitation, j’aimerais bien parfois, d’une certaine façon, occuper un petit peu plus l’espace, mais ce n’est simplement pas ma personnalité.
Avez-vous confiance en vous ?
Oui, je crois.
Et vous avez toujours eu cette confiance ?
Pas du tout ! Je crois que personne ne naît avec la confiance en soi. Ou si ça arrive, je ne pense pas que l’on puisse rester ainsi. Mais au point où j’en suis de ma vie, je crois vraiment que j’ai une très bonne compréhension de qui je suis.
Quel genre d’adolescente étiez-vous ?
J’étais une ado totalement ordinaire. Je n’étais pas pom-pom girl, j’étais pile dans la moyenne.
Vous avez grandi dans une famille d’acteurs. Devenir actrice était une évidence pour vous ?
Mes deux parents étaient acteurs, mon frère qui a onze ans de plus que moi est acteur, et ma sœur aînée, elle aussi, a quitté la maison pour prendre des cours et devenir actrice. Donc après mon bac, je suis partie à mon tour, surtout parce que ma sœur me manquait. J’ai emménagé ici, à New York, avec elle, et j’ai trouvé un boulot dans un magasin de chaussures. Je ne savais pas vraiment ce que j’allais faire.
Devenir actrice n’était donc pas un but pour vous ?
Ce n’était pas un but, mais… Ça n’avait pas marché pour mes parents, et même si mon frère avait réussi, être la cinquième dans la famille à dire « attendez, moi aussi, je veux être actrice », c’était un peu « bon, ils l’ont tous fait, à mon tour maintenant ». J’étais un peu sceptique quant à déclarer : je pourrais être actrice.
Et pourtant, vous êtes devenue « la » star américaine. Faut-il, pour réussir à Hollywood, faire preuve d’une volonté de fer, être ultra-déterminée ?
Je ne dirais pas déterminée, mais concentrée. Vous devez savoir ce que vous voulez, être claire sur ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Plus j’avance dans ce métier, et j’ai débuté il y a trente ans, plus je mesure la chance que j’ai de travailler avec les gens avec lesquels je travaille. Mon dernier rôle est le plus génial et le plus épanouissant que j’aie jamais eu. Et c’est vraiment exceptionnel qu’après autant d’années, je puisse encore me dire : c’est mon meilleur rôle !
Vous parlez du rôle de mère dans « Ben is back » ou de la thérapeute de la série « Homecoming » ?
Homecoming est mon dernier job, Ben is back, je l’ai tourné juste avant.
Comment expliquez-vous cette carrière impressionnante, alors que tant d’actrices explosent en vol, dans une industrie tellement vorace de nouveaux talents ?
Ça a beaucoup changé, c’est très différent maintenant. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de réseaux sociaux, à peine Internet, les gens ne pouvaient pas faire de photos avec leur téléphone portable. Il y avait des étapes logiques dans la progression d’une carrière. Vous faisiez un film, s’il marchait vous pouviez avoir la chance de retravailler. Si votre deuxième film était un succès, vous pouviez obtenir un meilleur cachet, et décrocher encore un nouveau rôle. Maintenant, quelqu’un peut surgir de nulle part et atteindre ce truc incroyable, ce qui j’imagine est très déstabilisant. Construire une carrière était bien plus méthodique il y a trente ans.
Le réalisateur Joel Schumacher vous a définie comme quelqu’un de sage et brillant. Entre 1988 et 1991, vous avez tourné dans deux à trois films par an, puis vous êtes devenue plus rare. Il disait que vous avez su « mettre votre âme en perspective ».
Je n’ai jamais hésité à refuser les projets que je ne voulais pas faire. Je suis reconnaissante envers la vie d’avoir eu cette liberté. Il y a eu un moment, j’avais joué dans Mystic pizza, enchaîné sur Potins de femmes d’Herbert Ross, puis l’année suivante Pretty Woman. Et après, L’Expérience interdite de Joel Schumacher, Les Nuits avec mon ennemi de Joseph Ruben, et encore deux autres films la même année (1991, ndlr.) Puis je n’ai plus tourné pendant deux ans. J’avais besoin d’un répit, de temps pour prendre des décisions.
Vous n’avez pas craint, alors que vous étiez en pleine ascension, de freiner votre carrière ?
Ça ne m’inquiétait pas. Enfin si, j’ai été un peu inquiète, mais ça n’a pas infléchi ma décision. Jusqu’à ce que l’incroyable Alan Pakula, l’un des plus grands réalisateurs, m’approche pour L’Affaire Pélican. Je suis revenue pour faire ce film. Une expérience incroyable.
J’ai lu que vous étiez devenue plus exigeante ces dernières années dans le choix de vos films.
Je l’ai toujours été. Regardez mes films, comment aurais-je pu être plus sélective ? Non, je voulais sûrement dire qu’aujourd’hui, je fais encore plus attention à mes choix de films parce que nous avons une famille et cela ne dépend pas seulement de moi. Avec mon mari, nous évitons de travailler en même temps. C’est arrivé quelques fois, mais… Donc, il y a mes projets, ceux de Danny (Daniel Moder, directeur de la photographie, ndlr), le planning scolaire des enfants, bref, l’organisation, c’est des maths.
En paix avec elle-même
Si vous deviez choisir entre votre vie de famille et votre travail, quel serait votre choix ?
Ce n’est pas une question de choix, le choix n’entre pas en compte, pour personne.
Malheureusement si, parfois. Beaucoup de femmes doivent travailler.
Évidemment ! Je parle depuis la position qui est la mienne. Je ne parle pas des millions de femmes qui travaillent chaque jour. Ma mère travaillait à plein temps, 365 jours par an, avec seulement deux semaines de vacances, et elle s’occupait de nous, elle n’avait le choix. J’ai une admiration sans bornes pour ces femmes et tout ce qu’elles doivent faire pour joindre les deux bouts.
J’ai une admiration sans bornes pour ces femmes qui, comme ma mère en m’élevant, travaillent dur pour joindre les deux bouts.
Vous auriez confié à Lancôme que vous aimiez l’idée d’être un mannequin qui vieillit. C’est vrai ?
Quand je me vois dans le miroir, je plaisante avec moi-même : « Super mannequin. » C’est de l’humour. Je devais avoir 42 ans quand j’ai commencé à travailler avec Lancôme. Qu’ils aient choisi de me solliciter à cet âge-là, je trouve ça génial. J’en ai maintenant 51, et ils me traitent exactement de la même façon. Nous avons développé une belle collaboration, pleine d’harmonie. Oui, ça me réjouit d’avoir une carrière de mannequin à 51 ans, c’est mignon.
Vous êtes non seulement l’égérie du parfum La Vie est belle, mais avez aussi participé à sa création. Qu’est-ce que ce parfum signifie pour vous ?
C’est génial, non ? Je n’avais pas réalisé à quel point c’est unique et spécial d’être invitée à cette étape du processus, pas mesuré l’intensité absolue à l’œuvre dans le métier du parfum. (Rires.) C’était un tel honneur de collaborer, de sentir les différentes notes, de dire « J’aime bien celle-là, celle-ci, non, je ne suis pas sûre ». Et nous avons réussi à faire quelque chose qui sent divinement bon, et qui en plus est magnifique. Oui, j’en suis vraiment fière ! Nous avons fabriqué cela ensemble et les gens adorent. C’est un peu comme avoir réalisé un film ou écrit une histoire, et regarder les gens apprécier, se régaler.
Nous avons toutes une relation particulière à notre parfum. Pour vous, quel est le rôle d’un parfum ?
C’est une invitation, une des premières choses que vous captez de l’autre. Quand vous prenez quelqu’un dans vos bras pour dire bonjour, vous lui dites : « Comme tu sens bon ! » Ça démarre la conversation, ça invite à un moment de partage. J’adore quand, au cinéma, un couple s’assoit devant et que je murmure à l’oreille de mon mari : « Elle porte mon parfum. » C’est touchant, ça me fait frissonner.
Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite récemment ?
Une prise de vues que j’ai faite l’été dernier, avec la même équipe qu’aujourd’hui. Nous sommes allés dans le désert faire des photos. Alexi, le photographe, voulait que j’escalade une falaise en m’appuyant avec mes genoux contre la roche. Je portais une robe de soirée incroyable, rose vif, des baskets ultra-trendy, et j’étais hissée par une corde. Comme j’ai le vertige, il a fallu que j’utilise pas mal de techniques de respiration pour surmonter l’appréhension ! Nous avons beaucoup ri, c’était un grand moment. Mon travail me permet de vivre encore et encore ce genre de moments. Lorsque vous rentrez le soir à la maison, chacun parle de sa journée pendant le dîner : « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » « En fait, j’ai grimpé la paroi d’une falaise. » C’est tellement drôle de pouvoir relever ce genre de défis dans un cadre professionnel. En vacances, je ne me mettrais jamais dans des situations pareilles.
Vous avez beaucoup voyagé à l’étranger ?
Quand j’ai eu les moyens de voyager… Avec mon métier, j’ai eu la chance d’avoir accès à des endroits où je ne serais jamais allée. J’adore partir avec ma famille, c’est important que mes enfants voient des versions très différentes du monde. Voyager aide à comprendre beaucoup de choses.
Que signifie être mère aujourd’hui, dans ce monde très troublé ?
Je ne peux parler que de ma propre expérience, mais ce que je ressens, c’est de l’émerveillement, mes enfants me fascinent, on s’amuse beaucoup. Quand ils ont 5 ans, on se dit que c’est le meilleur âge, puis à 7 ans, c’est le meilleur âge, à 12 ans, c’est le meilleur âge. Ce sont des merveilles.
Vos enfants sont adolescents. Trouvez-vous facile de les comprendre ? Et eux, vous comprennent-ils ?
Facile, non, c’est un exercice de chaque jour depuis le début. Tous les cinq, on échange beaucoup, on se parle beaucoup, on a passé notre vie ensemble à se parler, à partager.
Quelle mère êtes-vous ? Inquiète ou confiante ?
Je suis confiante. Inquiète parfois aussi, mais comme dit ma sœur, ne t’inquiète pas avant que ce soit le moment de s’inquiéter. Quel intérêt d’être soucieux quand il n’y a pas de raison ? J’essaie d’être présente et de leur faire confiance.
Vous avez l’air confortable avec vous-même, c’est rare.
Si, collectivement, on se donnait les uns les autres un peu de répit, si on lâchait, si on s’accordait un peu d’espace pour les erreurs personnelles, on se rendrait compte que finalement, ça ne marche pas si mal. Beaucoup de gens y arrivent, ils font du mieux qu’ils peuvent et sont plutôt heureux. Si vous débarquez avec un regard inquisiteur, ça provoque une réaction de défense chez l’autre, d’autoprotection. Si tout le monde s’asseyait tranquillement pour se parler, on verrait qu’on occupe le même espace de bonheur.
D’où vient l’harmonie qu’on sent chez vous. Est-ce votre pratique de la méditation de pleine conscience qui vous a apporté cela ?
En partie, oui. Et j’ai beaucoup de chance d’avoir autour de moi des gens spirituels. Je crois aussi qu’on est heureux quand on a la volonté de l’être.
Vous pensez que le bonheur relève de la décision ?
Oui, le bonheur comme le reste. C’est important pour moi de me sentir bien, d’aider les gens que j’aime à se sentir bien, de les faire rire. Il y a des années de cela, j’ai passé du temps dans une communauté de nonnes en Inde. Leurs vœux, ceux qu’elles avaient prononcés en entrant dans la communauté, étaient affichés près de la porte d’entrée. L’un de ces vœux était la joie. Pas le bonheur, pas l’optimisme, la joie. Extraordinaire.
Une interview publiée dans le n°801 de Marie Claire
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