Comment l’après Murdoch pourrait tourner à une guerre fratricide pour Fox

  • Rupert Murdoch a annoncé jeudi qu’il passait définitivement la main à son fils Lachlan à la tête de son empire médiatique.
  • Mais avec des droits de vote divisés entre quatre enfants, dont deux frères ennemis, l’avenir de Fox News s’annonce incertain.
  • Selon Neil Chenoweth, biographe de Murdoch, le scénario le plus probable, quand le patriarche ne sera plus là, est une vente de la chaîne.

De notre correspondant aux Etats-Unis

C’est l’histoire d’un titan des médias vieillissant, devenu le faiseur de roi de la politique américaine, qui a passé les vingt dernières années à préparer une succession à couteaux tirés entre deux frères ennemis. On ne parle pas de Logan Roy et de la série de HBO Succession, qui s’est achevée en mai dernier, mais de son inspiration principale : la famille Murdoch et l’empire Fox. Et alors que Rupert Murdoch a annoncé jeudi qu’il passait les rênes à son fils Lachlan, aligné avec ses vues politiques, l’avenir s’annonce particulièrement incertain pour Fox News.

Déjà fragilisée par les procès sur la présidentielle de 2020 et la mise à pied de son animateur vedette Tucker Carlson, la chaîne conservatrice risque de se retrouver au cœur d’une bataille fratricide, avec un contrôle futur du royaume divisé à parts égales entre quatre des six enfants du milliardaire australien. Une guerre qui pourrait, à terme, se terminer par une vente de Fox News, estime le journaliste australien et biographe de Rupert Murdoch Neil Chenoweth, contacté par 20 Minutes.

Un contrôle à quatre sans « tie-breaker »

La bataille n’est cependant pas pour tout de suite. A 92 ans, Rupert Murdoch restera président « émérite » de ses deux entreprises, Fox Corporation (les chaînes télé Fox, Fox News et Fox Sports) et News Corp (Wall Street Journal, New York Post et le Sun). Surtout, il conserve le contrôle décisionnaire via une majorité des droits de vote.

La «Succession» de Murdoch pourrait tourner à la guerre entre ses 4 enfants les plus âgés (sur 6), qui ont tous un contrôle identique sur les voting shares du trust. Avec l’héritier conservateur Lachlan et son frère libéral James qui se détestent, et leurs deux soeurs en arbitre. pic.twitter.com/cWe70whCro

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Neil Chenoweth explique le montage : le trust familial est géré via une structure basée dans le Nevada, Cruden Financial Services. Rupert Murdoch contrôle quatre voix, et ses quatre enfants les plus âgés, une chacun. Il y a l’aînée, Prudence, qui est toujours restée à l’écart du business familial, puis une fratrie issue de son second mariage avec l’actrice australienne Anna Torv : Elisabeth (Liz), Lachlan et James. Cet équilibre a été négocié lors de son divorce en 1999. Le magnat australien a également eu deux filles avec Wendi Deng – Grace et Chloe –, qui toucheront un sixième de l’héritage mais n’ont pas de droit de vote.

Après le décès de Rupert Murdoch, « le contrôle du trust sera divisé en quatre. Historiquement, Lachlan et Prudence sont proches, tout comme James et Elisabeth. Mais en cas de vote à égalité 2-2, il n’y a pas de mécanisme pour débloquer une impasse », précise Neil Chenoweth.

Rupert Murdoch et Anna Torv ont eu trois enfants, Lachlan, James et Elisabeth.

Pendant longtemps, le benjamin, James, a été vu comme l’héritier naturel, partageant la passion de son père pour la presse. Mais il se retrouve éclaboussé au début des années 2010 par le scandale du hacking téléphonique de News International – qui révèle que des tabloïds du groupe familial ont piraté des téléphones portables de citoyens britanniques et de politiques.

Rupert Murdoch choisit alors de faire de son fils aîné, Lachlan, le coprésident de News Corp et de 21st Century Fox. James, lui, devient directeur général des studios de cinéma et de télévision, qui sont vendus à Disney en 2018 pour 71 milliards de dollars. Une transaction qui permet, selon le Financial Times, à chacun des six enfants d’empocher jusqu’à 2 milliards de dollars, avant impôt.

Fox News en crise

Avec cette vente, Fox News devient plus que jamais le joyau de la galaxie Murdoch. Selon le New York Times, la chaîne câblée représente 95 % des bénéfices avant impôts de Fox Corporation, qui ont atteint 1,7 milliard de dollars l’an dernier. Sauf que depuis la présidentielle de 2020, Fox News est en crise. Comme le docteur Frankenstein, la chaîne, qui a beaucoup contribué à l’avènement de Donald Trump quatre ans plus tôt, ne sait plus quoi faire de sa créature populiste. D’un côté, Trump fait de l’audience, de l’autre, Rupert Murdoch l’aurait qualifié en privé de « fucking idiot » et donné son feu vert à Lachlan pour être le premier média à projeter la victoire de Joe Biden dans l’Arizona.

Le grand écart continue les semaines suivantes. Face à l’hémorragie des audiences, Fox News finit par relayer les théories du complot trumpistes à l’antenne tandis que ses dirigeants les ridiculisent dans des échanges privés. C’est principalement à cause de ces conversations versées au dossier que la chaîne accepte de verser 787,5 millions de dollars au fabricant de machines à voter Dominion pour éviter un procès en diffamation embarrassant. La chaîne est d’ailleurs encore sous la menace de poursuites similaires de Smartmatic, qui lui réclame 2,7 milliards de dollars.

Dans la foulée de l’accord avec Dominion, la chaîne se sépare de son animateur vedette Tucker Carlson. Pourquoi ? On ne le sait pas avec certitude. Les médias américains évoquent la découverte de messages racistes de Carlson, des poursuites d’une ancienne productrice ou la ferveur religieuse de l’animateur qui « ferait flipper » Rupert Murdoch.

Statu quo, changement de cap ou vente

En confiant les clés de l’empire à son fils Lachlan, Rupert Murdoch fait le pari du « statu quo », juge Neil Chenoweth. Comprendre : un cap maintenu à droite, où se trouve l’audience, mais en continuant d’explorer des alternatives à Trump sans se le mettre totalement à dos, des fois qu’il gagne en 2024. Après avoir tenté de booster Ron DeSantis, la chaîne met en avant ces dernières semaines Nikki Haley, depuis son bon débat télé.

C’est sans compter sur une potentielle rébellion de James Murdoch, le gauchiste de la famille, déjà accusé par Lachlan, selon Vanity Fair, de leaker des secrets familiaux aux scénaristes de Succession. En claquant la porte de News Corp en 2020, il dénonce le « déni » des médiaux familiaux sur le changement climatique. Un sujet particulièrement cher à son épouse, Kathryn, passée par la Clinton Climate Initiative. Après l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, James Murdoch tacle encore les « mensonges propagés » par les médias américains sur l’élection, qui ont déchaîné « des forces insidieuses et incontrôlables » sur l’Amérique.

Dans son livre The Fall, qui sort ce mardi avec un timing parfait, le journaliste américain Michael Wolff prédit « la fin de Fox News et de la dynastie Murdoch ». Au moins sous sa forme actuelle. Selon lui, James Murdoch voudrait transformer radicalement Fox News en « une force pour le bien » tandis que sa sœur Liz préférerait vendre, avec l’aînée Prudence en potentiel arbitre. En espérant que ça se termine mieux pour eux que pour les enfants de Logan Roy.

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