Durant dix-neuf saisons, cette série policière aura marqué la fiction télévisuelle dominée par la figure emblématique du flic incorruptible mais humain incarnée par Roger Hanin.
« Navarro, j’écoute… » Pour la plupart des Français, Roger Hanin restera comme le roi des héros récurrents, celui du commissaire divisionnaire de police Navarro qui élevait seul sa fille. Il l’incarnait avec une telle conviction qu’il s’était confondu avec lui aux yeux des Français.
Ceux-ci reconnaissaient immédiatement le commissaire de TF1 quand il leur arrivait de croiser le comédien, éclipsant tout un pan de sa carrière cinématographique et théâtrale pourtant prolifique, et durant laquelle il avait déjà gagné ses galons d’acteur populaire. Seuls Columbo ou Derrick pouvaient se targuer d’un tel pouvoir d’incarnation.
Produite par Pierre Grimblat jusqu’en 1997, puis par Jean-Luc Azoulay à partir de 1999, cette série policière a achevé de parachever la popularité de cet acteur aux épaules larges et à l’âme à vif. Une série au merveilleux destin, imaginée par Tito Topin, et qui a connu une belle longévité sur TF1, de 1989 à 2007.
Gentleman cambrioleur de l’audimat, Hanin cartonnait à chaque diffusion, suivi en moyenne par neuf millions de téléspectateurs, soit plus de 41 % de parts d’audience. Et un pic à 12,5 millions de fans !
Flic Story
©James
Navarro est né au bar d’un grand hôtel de Monte-Carlo, lors de l’édition 1989 du Midem (Marché international du disque et de l’édition musicale). Trois hommes trinquent : Pierre Grimblat, Tito Topin et Roger Hanin. Le premier, de Hamster Productions, est alors à la recherche d’une série télé au héros récurrent, mais qui ne soit pas inspirée de la littérature.
Le second, dessinateur de BD à ses débuts, affichiste de cinéma, auteur de nombreux romans policiers, puis scénariste, est venu à la télévision au début des années 80, avec la collection Série noire. Lui aussi réfléchit à l’époque à un personnage de polar, mais de préférence un héros bien français.
Quant à Roger Hanin, il rêve d’incarner à la télévision une sorte de « Kojak à la française » avec un postulat : l’humanité du personnage dont l’ombre du passé est douloureux.
Navarro est né : un commissaire droit dans ses mocassins, incorruptible et tenace, mais capable d’humanité. Une figure modèle de la justice. Entouré d’une harde de mulets (ses adjoints), il fait régner l’ordre avec autorité, en démêlant des intrigues solides et carrées. Mais Navarro est aussi un père aimant et affectueux, tout dévoué à sa fille unique, la capricieuse Yolande qu’il élève seul, et que les spectateurs voient grandir en même temps que leurs propres enfants.
Roger Hanin avait prêté beaucoup de lui-même à Navarro, à commencer par ses origines pieds-noirs, mais pas seulement. « J’avais accepté le rôle à condition qu’il me ressemble, qu’il ait ma tendresse et ma violence, un certain humour à plat. Si les spectateurs l’avaient rejeté, c’est moi qu’ils auraient jugé », expliquait-il. Son personnage aime se détendre en allant se jeter quelques godets et se délecter de la blanquette de Ginou, la confidente de comptoir interprétée par Catherine Allégret.
©JULIEN CAUVIN
Des sujets de société
Les aventures du commissaire Antoine Navarro, avec ses coups de gueule, son accent « de là-bas » et son cœur gros comme ça, auront duré près de vingt saisons. Les quelque 108 épisodes prenaient leur inspiration dans des faits de société.
Drames familiaux, drogue, mafia, corruption, la série reprenait les thèmes classiques du polar, mais n’hésitait pas aussi à empoigner des sujets hautement inflammables, comme le suicide dans la police, les émeutes dans les banlieues ou le harcèlement scolaire.
En dehors de l’écrasante présence du commissaire Navarro, les rôles secondaires ont largement contribué à la popularité de la série. Les fameux mulets placés sous les ordres du commissaire ont aussi emporté l’adhésion du public à l’instar des inspecteurs Bain-Marie (Jacques Martial), mais encore Auquelin (Christian Rauth), Blomet (Daniel Rialet) ou Borelli (Jean-Claude Caron).
Mais l’immuabilité de son personnage lui a fait perdre, petit à petit, l’intérêt du public qui découvrait de nouveaux modèles de policiers télévisuels, à l’instar des flics new-yorkais de NYPD Blue, magnifique série de David Milch et Steven Bochco, mais aussi ceux de séries comme PJ, Engrenages ou la jeune garde des policiers façon Les Experts.
En chiffres
7 650 heures diffusées.
3 Sept d’or.
1 200 comédiens ont participé à la série.
12 personnages récurrents.
28 auteurs ont écrit les scénarios.
9 réalisateurs se sont succédé.
14 épisodes ont dépassé les 10 millions de téléspectateurs.
Le saviez-vous ?
- Avec 651 748 euros de cachet (3 millions de francs) par épisode, Roger Hanin a été le comédien le mieux payé de la télévision française.
- Une série respectueuse du Made in France : Navarro ne conduisait que des voitures françaises. Dans les premiers épisodes, c’est dans une Peugeot 405 que le commissaire mène ses enquêtes. Entre 1991 et 2002, il sera fidèle à la marque Citroën. La XM ainsi que la C5 passeront entre ses mains. Enfin, en 2002, Navarro opte pour la Renault Vel Satis.
- La série a vu défiler de grands noms, comme Gilbert Bécaud, Dany Boon, Nicole Calfan, Michel Creton, Agnès Jaoui, Michèle Laroque, Viktor Lazlo, Herbert Léonard, Ludivine Sagnier, Gaspard Ulliel, Christian Vadim, Tomer Sisley, Georges Moustaki, Clovis Cornillac et Filip Nikolic, leader des 2Be3, devenu un personnage récurrent à partir de 2002.
- À plusieurs reprises, Roger Hanin a invité des écoliers clunysois à venir assister au tournage de la série car sa femme, Christine Gouze-Rénal, sœur de Danielle Mitterrand, était originaire de la cité abbatiale et y avait une maison.
- Jean Yanne, ami de Tito Topin, le créateur de la série, avait été pressenti pour jouer le rôle du commissaire. Mais à l’époque, l’acteur tournait aux États-Unis et aurait demandé un cachet trop important.
- Tous les tournages des lieux récurrents se sont déroulés à Bezons (Val-d’Oise) dans une ancienne usine désaffectée.
- Le logement de Navarro était situé dans la tour Athènes du quartier Italie dans le XIIIe arrondissement de Paris.
- Le café de Ginou était le Café de l’Époque, installé au 2, rue du Bouloi, dans le Ier arrondissement de la capitale, à côté de la Galerie Véro-Dodat.
Emmanuelle Boidron, comme sa fille
©STEPH
Celle qui interprétait sa fille à l’écran depuis l’âge de 11 ans lui était très chère : « Elle est devenue ma vraie fille. Je l’aime comme telle, je lui fais des cadeaux, je l’emmène en vacances », racontait-il. Au décès du comédien, l’actrice avait exprimé sa tristesse : « Je perds un papa, un professeur, un mentor. » Elle racontait : « Quand j’ai eu mon permis, il m’a offert ma première voiture. À chaque épisode, il organisait une couscousserie géante. Un jour, un photographe me demande de mettre un pull rouge. Discrètement, il me glisse une liasse : “Prends ce qu’il y a de plus beau, ma chérie, l’argent est là pour être claqué !” »
Dominique PARRAVANO
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