Elle n’avait que 13 ans. Elle était jolie, et c’était son seul crime, inexpiable dans certaines cours de récréation… Elle a fini par se pendre. Depuis, sa famille demande justice.
Aller tous les matins à l’école avec la peur au ventre. Savoir qu’on va affronter les moqueries, les insultes et les coups. Tel a été le chemin de croix de la petite Lindsay au collège Bracke-Desrousseaux de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). Neuf mois durant, cette enfant a enduré l’indicible. D’abord les tags, inscrits près des casiers ou des toilettes : « Grosse pute », « Salope », « T’es grosse », « Va te suicider », « Lindsay la pute », « Lindsay la salope »… Puis, quatre de ses harceleuses en sont venues aux mains, n’hésitant pas à lyncher l’adolescente dans la cour de récréation. Un tabassage en règle, évidemment filmé avant d’être mis en ligne sur les réseaux sociaux.
Un reportage de TF1 consacré à cette terrible affaire nous apprend « qu’aucun adulte n’est intervenu »… Mais quel est le profil de ces sauvageonnes ? Toujours selon la même source : « quatre adolescentes de 3e. Leurs familles ont refusé de témoigner. Les autres évoquent de jeunes harceleuses à la dérive. “Elles sèchent souvent les cours, elles ne sont pratiquement jamais là. Ce n’est pas des bonnes filles avec qui traîner”. » Bref, des « terreurs », à en croire d’autres personnes interrogées à l’occasion de ce reportage.
“On m’attend à la sortie”
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En bonne logique, les autorités scolaires auraient dû remettre un peu d’ordre républicain dans ce qui est censé être un sanctuaire. Il n’en a rien été. Peur du scandale ou d’être mal noté par le rectorat ? Les deux, sûrement, car le maître mot de l’Éducation nationale semble aujourd’hui consister à occulter ces problèmes qui lui paraissent impossibles à régler à l’heure actuelle.
Mais Betty Gervois, la mère de Lindsay, elle, ne saurait se résoudre à cette lâcheté généralisée. Car après un premier passage à tabac perpétré par quatre furies déchaînées, l’horreur a vite resurgi. Et c’est dans un sanglot que cette maman terrassée par le chagrin se souvient : « Lindsay m’a envoyé des messages en me disant “Maman, on m’attend à la sortie, je reçois des menaces.” Et quand Lindsay est sortie, elles l’ont battue. Elle avait demandé de l’aide juste avant au directeur, en lui disant qu’elles l’attendaient à la sortie et, au lieu de protéger Lindsay, la mettre dans une pièce et m’appeler, ils l’ont laissée sortir comme ça. »
La voix désormais presque éteinte, elle poursuit : « Lindsay m’a dit “J’ai dû attacher mes cheveux, retirer mes bijoux pour aller me faire frapper…” Il y avait le CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr], le directeur, les surveillants. Mais ils ne les séparaient pas. » Ou quand la couardise administrative laisse une enfant aller au supplice… Comment expliquer un tel aveuglement ? Djany, le petit ami de la défunte, a de son côté reconnu : « Je savais qu’on l’embêtait. Mais je n’imaginais pas que ça allait jusqu’au harcèlement. » Peut-être que ce jeune garçon refusait de voir la réalité ou préférait-il se taire au risque d’être harcelé à son tour ? Il est désormais trop tard pour le savoir.
“Elle avait tout pour elle”
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Mais quelles étaient les raisons d’une telle haine ? D’après Betty Gervois, il est question de « jalousie… Lindsay était jolie, coquette. Elle avait tout pour elle ! ». Depuis, cette mère éplorée fait ce qu’elle peut et tente de secouer l’incompréhensible inertie de l’administration. Lysiane, la grand-mère, a même écrit à Emmanuel Macron après avoir découvert sous l’oreiller de Lindsay une lettre dans laquelle elle assurait vouloir mettre fin à ses jours…
Un papier enfoui en même temps que ses rêves d’enfant, soit l’époque d’un bonheur perdu, lorsqu’elle imaginait avec Maëlys, sa meilleure amie, à quoi ressemblerait leur avenir. Cette dernière se rappelle, encore sous le coup de l’émotion : « On avait les mêmes centres d’intérêt, on était pareilles, on aimait les mêmes types de musique, le maquillage. […] On voulait être en coloc plus tard, on voulait voyager partout. Lindsay voulait aller à The Voice. »
Puis, une terrible journée de mai, le 12 précisément, alors que le soleil commençait à se coucher et que, dans son cœur, il avait disparu depuis longtemps, Lindsay a trouvé une corde, l’a accrochée au plafond avant d’y faire un nœud coulant, y a glissé sa tête de princesse et s’est laissée tomber.
Aussitôt après la macabre découverte, une enquête est diligentée et quatre personnes, les harceleuses, sont mises en examen, ainsi qu’une autre femme, majeure celle-ci. Pour Pierre Debuisson, l’avocat de la famille Gervois : « Il ne s’agit pas forcément d’envoyer des gens en prison, il s’agit de faire réagir. » À propos de réaction, il a aussi jugé « inconcevable » que le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, n’ait « pas pris le soin d’aller à la rencontre de la famille ». L’entrevue a finalement eu lieu le 4 juin, mais a laissé un souvenir mitigé à Betty Gervois : « Il y a des choses qui ont été dites, mais nous n’avons pas été pris au sérieux. […] Je ne l’ai pas trouvé sincère. J’attends que les choses bougent, j’attends de voir des actes. On n’a pas été aidé à temps, ni avant, ni pendant, ni après. »
“Priorité absolue”
Depuis, la Première ministre, Élisabeth Borne, a assuré que « la lutte contre le harcèlement serait la priorité absolue de la rentrée 2023 ». On attend de voir, sachant qu’en politique, une priorité – régulièrement qualifiée d’absolue – en chasse souvent une autre. Du côté de l’Élysée, Betty Gervois estime avoir reçu un accueil plus chaleureux : « Madame Macron est une femme très touchée par cette histoire, elle me l’a fait ressentir comme ça. […] C’était une conversation entre une maman et une autre maman. » Il est à craindre que malgré ces indéniables marques de compassion, la situation ne soit pas prête de s’arranger. En effet, s’indigne l’avocat Pierre Debuisson : « Après la mort de Lindsay, les insultes continuent de circuler, “Lindsay est enfin morte” et autres “Nous irons pisser sur ta tombe”… »
Emmanuel Macron évoquait il y a peu la « décivilisation », concept controversé développé au mitan du siècle dernier par le sociologue Norbert Elias. En voici un exemple flagrant.
Nicolas GAUTHIER
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