- La 16e édition du Hellfest commence jeudi après-midi à Clisson (Loire-Atlantique) pour quatre jours.
- « On a une obligation de faire du monde. Je peux comprendre qu’une partie du public ne s’y retrouve pas », indique Ben Barbaud.
- « La France n’a jamais été un pays aux racines vraiment rock », estime ben Barbaud, déplorant le manque de passages radio du metal.
Il est à la fois son cofondateur et son directeur emblématique. Ben Barbaud, 41 ans, est, cette année encore, aux commandes du Hellfest, dont la 16e édition débute ce jeudi après-midi pour quatre jours. Sous sa coupe, le festival de Clisson (Loire-Atlantique) est devenu l’un des plus gros rendez-vous au monde consacré aux musiques extrêmes. Un événement capable de vendre en deux heures plus de 200.000 billets sans dévoiler le moindre nom d’artiste. Adulé par les fans, le festival soulève aussi des critiques chez les habitués moins convaincus par sa nouvelle dimension. Entretien.
L’édition 2022 du Hellfest, qui s’étalait sur deux semaines, avait connu un énorme succès. Avez-vous été tenté de reconduire ce format ?
Pas vraiment. Il y a eu cette possibilité l’an passé après deux années de Covid. C’était aussi une solution financière pour compenser les annulations. Mais la vérité c’est que c’était lourd à porter, très fatigant pour nos équipes. Même pour les festivaliers, je ne suis pas certain qu’il y avait l’envie de le refaire. On a voulu marquer le coup, maintenant on revient à une formule plus classique. Enfin, on a quand même rajouté un quatrième jour par rapport aux éditions d’avant 2019.
Quelles sont les principales nouveautés 2023 ?
Il y a pas mal de choses à découvrir mais la principale c’est l’agrandissement d’une scène, avec une extension de terrain d’un hectare supplémentaire. On a également repensé le stand de merchandising qui créait beaucoup d’attente. On espère que ces changements permettront d’apporter un meilleur confort et d’aérer un peu le site. On a entendu les reproches de festivaliers qui se sentaient un peu compressés. Passé 18 h-19h, c’est vrai qu’il y a beaucoup de monde.
Compte tenu du succès, êtes-vous obligé de vous remettre en question tous les ans ?
Ce qui fait la force du Hellfest c’est son organisation assez millimétrée, ses décors, sa scénographie, les nouveautés aussi. On est convaincu qu’un festival ça ne peut pas être uniquement des artistes sur scène. Il faut proposer bien plus pour que l’expérience soit globale, que les souvenirs soient au rendez-vous. Les améliorations sont donc illimitées. La seule chose qui nous limite ce sont les investissements. On ne peut pas, comme le fait le Tomorrowland, recréer 100 % des décors tous les ans. Par contre, des idées on en a plein. On essaie d’en concrétiser chaque année.
Des fans reprochent au festival d’être devenu trop gros, trop mastodonte…
On sait qu’il y a une partie du public, peut-être plus ancien, qui est nostalgique d’un festival considéré comme un peu plus familial. On entend beaucoup que le Hellfest est devenu « le Disneyland du metal ». Effectivement, c’est du gigantisme. Le festival répond à une demande pour accueillir des gros artistes comme Metallica, Kiss, etc. Ça demande un budget conséquent. On peut difficilement le faire dans le cadre d’un festival familial. On a une obligation d’accueillir du monde. Je peux comprendre qu’une partie du public ne s’y retrouve pas. Mais c’est la stratégie qu’on avait en tête et on s’y tient.
Des puristes déplorent aussi que le public a changé, que l’événement attire désormais des touristes peu aguerris au metal…
Oui, le public a évolué au fil des ans. Je n’aime pas utiliser les mots « touristes », « curieux », de façon péjorative. Que le Hellfest a permis à un certain nombre de personnes qui n’était pas familières avec cette culture, avec cette esthétique, de découvrir quelque chose, ce n’est pas un mal, au contraire. Ça peut, pourquoi pas, créer de nouvelles passions. Et puis il y a un peu d’exagération dans ces remarques. Quand on se promène dans les allées, on voit bien que les gens continuent d’arborer fièrement des t-shirts de metal, des tatouages, des cheveux longs. On n’est pas non plus sur un festival de ménagères de moins de 50 ans !
Le budget du Hellfest s’élève à 35 millions d’euros. Est-ce un festival qui rapporte tant que ça ?
On est un colosse aux pieds d’argile, je ne vais pas vous mentir. C’est une grosse machine, oui, mais ça ne dégage pas des millions d’euros de bénéfice. On est une association loi 1901, comme les Vieilles Charrues. On ne distribue pas de dividendes. A chaque fois qu’on dégage des bénéfices, on réinvestit pour apporter des nouveautés. Nos revenus c’est la billetterie, c’est le bar, en particulier les consommations de bière, et le merchandising. On a aussi quelques recettes liées au sponsoring et au mécénat. Les subventions publiques sont, elles, quasi inexistantes.
Le festival investit de plus en plus sur son site dont il est propriétaire. L’idée c’est d’en faire un lieu touristique à l’année ?
Tout à fait, on y croit ! On s’est rendu compte que notre parc, avec ses décors, était déjà plébiscité par les gens à l’année. Des gens du coin mais aussi au-delà. On se dit que, maintenant, il serait bien d’investir dans un projet touristique et culturel. De là est né ce projet de Gardienne des Ténèbres avec les Machines de l’île. C’est un gros morceau. Ce ne sera pas une activité rentable puisque le parc restera gratuit. C’est un projet pour le territoire qui nous a toujours soutenus.
Vous auriez aussi pu choisir de consacrer une partie de cette dépense à ne pas augmenter le tarif des billets (329 euros le pass quatre jours cette année) ?
C’est un choix que nous assumons, on aurait pu en faire un autre. Certains diront que le Hellfest est toujours à faire plus, plus, plus. L’inflation, tout le monde la subit, nous aussi. Les prestations de service, l’énergie, les locations, tout a augmenté entre 10 et 20 %. Les cachets d’artistes aussi, chaque année c’est de plus en plus cher à partir du moment où il y a de la demande.
Pour fonctionner, l’organisation mise sur un nombre considérable de bénévoles…
On en a 5.000 sur le festival et il y en a plus de 2.000 en liste d’attente. Mais les Vieilles Charrues en ont encore plus. C’est une force indéniable. Il y a plusieurs façons de vivre un festival, faire partie de l’équipe organisatrice en est une qui intéresse beaucoup de gens, de 18 ans jusqu’à 70 ans. Remplacer une partie des bénévoles par des contrats courts ? On pourrait y réfléchir. Mais il faut relativiser. C’est quatre heures par jour, une plage horaire moindre que d’autres festivals. Et puis la majorité de nos bénévoles sont là depuis des années, ils connaissent parfaitement leurs missions.
Le metal a de nombreux fidèles mais ne passe quasiment pas à la radio. C’est quoi le problème ?
Je n’arrive pas à comprendre. C’est pourtant une musique qui a son public en France. AC/DC, Metallica remplissent encore des stades. Alors pourquoi pas à la radio ? Je crois que la France n’a jamais été, contrairement à l’Angleterre et aux pays nordiques, un pays aux racines vraiment rock. Pourquoi n’existe-t-il pas aux Victoires de la musique une catégorie rock-metal alors qu’on a énormément de bons groupes chez nous ? Le rap, lui, a réussi. C’est dommage pour le metal. J’aimerais que ça se démocratise un peu plus, qu’on enlève les préjugés. On a souffert, nous, de nombreuses idées reçues au démarrage du Hellfest et maintenant les gens se rendent compte que tout se passe très bien, les festivaliers sont très respectueux, même les forces de l’ordre le disent.
Depuis Metallica l’an passé, tous les grands groupes du genre sont venus au Hellfest. Tous, sauf un. C’est pour quand AC/DC ?
Il reste AC/DC, on est bien d’accord. Je ne considère pas ça comme un objectif. Evidemment que si, demain, il y a une opportunité, on tentera notre chance. Maintenant, cette opportunité n’existe pas. Personne ne sait si le groupe va décider d’une nouvelle tournée. Ce sont des artistes relativement âgés aussi. C’est compliqué. Peut-être qu’un jour les astres vont s’aligner. Ce serait une grande fierté.
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