Les combats féministes portés sur les courts de tennis

Ce dimanche 28 mai 2023 débutent les matchs du tableau principal à Roland-Garros – les qualifications ont débuté une semaine plus tôt, le 22 mai dernier. Jusqu’au 11 juin prochain, l’Ouest parisien va donc vibrer au rythme des affrontements des Internationaux de France. 

Si les exploits sportifs vont être mis en lumière ces prochains jours, d’autres batailles se sont livrées, au fil des années, sur les courts de tennis. Voilà plus de cent ans que les joueuses du sport à la balle jaune se battent contre leurs adversaires, mais aussi contre les inégalités de genre. 

Des matchs aux rivaux coriaces et aux enjeux sociétaux, qui ont mené à des victoires significatives pour la reconnaissance des femmes, au-delà du sport. Dotations égales, équipements adaptés au cycle menstruel, santé mentale, body shaming… De nombreuses championnes rayonnent aussi par leurs prises de parole nécessaires. Retour sur toutes les fois où les tenniswomen ont fait bougé ces lignes dessinées à la craie blanche. 

1921 : La "Divine" Suzanne Lenglen bat des records mollets et bras dénudés

Elle est la première star du tennis féminin français. Suzanne Lenglen est la prodige de la raquette des années 1900 : elle remporte le championnat de France (Roland-Garros aujourd’hui, là ou un court porte désormais son nom) à l’âge de 15 ans et se pare d’un titre britannique à Wimbledon, alors qu’elle vient de fêter ses 20 ans. 

Sa motivation et son dépassement de soi en font une joueuse des plus redoutables. « Elle suit un entraînement méthodique, technique, et joue contre des hommes, avec leurs méthodes. Elle travaille son footwork, sa vision, sa frappe. À cette époque, cette préparation intensive est rare et réservée aux garçons », dévoile un article lui étant consacré dans la revue Le mouvement social (2016). 

D’ailleurs, on la taxe d’être « trop » masculine, « trop » puissante. Pourtant, quand elle décide de jouer en t-shirt et jupe plissée, mollets et bras dénudés, un bandeau de tulle retenant ses cheveux – pensés par le couturier Jean Patou, dont elle deviendra l’une des égéries – l’opinion s’insurge, notamment outre-Manche. 

Jusqu’alors, « on joue dans les mêmes vêtements que ceux utilisés pour prendre le thé dans les salons victoriens. Les joueuses portent ainsi un corset sous leur ample robe », souligne FranceInfo.

Mais la Divine s’en contre-fiche et devient une fierté nationale. « Suzanne Lenglen incarne la femme libre et indépendante. Ni épouse, ni mère, elle démontre que la pratique sportive peut jouer un rôle important dans l’émancipation des femmes et la libération des corps« , résume un article consacré à la championne et paru sur Le Blog Gallica.

1973 : Billie Jean King participe à la création de la WTA et remporte "The Battle of the sexes"

Autre icône tennistique qu’on ne présente plus : Billie Jean King, celle qui « révolutionne le tennis féminin » au milieu des années 70.

Le 21 juin 1973, elle fonde la Women’s Tennis Association (WTA, qui fête cette années ses 50 d’existence) lors d’une réunion de joueuses convoquée par elle-même, à la veille des championnats de Wimbledon. « Frustrée par le sexisme dans le sport et par un establishment qui divisait le vivier de talents avec des circuits concurrents, King a reconnu la nécessité pour les femmes d’unir officiellement leurs forces pour prendre leur destin en main« , précise la WTA dans un document transmis à Marie Claire.

Avec déjà trois titres de Grand Chelem à son actif et pleinement engagée pour la reconnaissance des joueuses de tennis, elle relève le défi lancé par l’ex-numéro un mondial Bobby Rings : l’affronter lors d’un match simple, qui marquera l’histoire sous le nom de « battle of the sexes ». 

Le 20 septembre de cette année, à Houston (États-Unis), l’athlète bat l’ancienne tête de classement en 6-3, 6-4, 6-3, à l’issue d’un match scruté par plus de 30 000 spectateurs. Une victoire qui changea le cours des choses. 

« Bien qu’il y ait eu d’autres matchs de tennis masculins contre féminins, aucun n’a été basé sur la prémisse sexiste selon laquelle la valeur athlétique d’une femme dépend de sa capacité à battre un homme ou non. Lorsque King a combattu Riggs, elle combattait une attitude culturelle répandue selon laquelle les femmes étaient inférieures aux hommes. Elle savait qu’une confrontation théâtrale était le moyen idéal pour attirer l’attention de la nation et changer d’avis », rappelle The Guardian.

1999 : Amélie Mauresmo embrasse sa compagne Sylvie Bourdon devant les caméras du monde entier

Amélie Mauresmo est une pionnière tout-terrain. 25 titres dont deux en Grand Chelem, première femme à diriger Roland-Garros (depuis 2022) et première sportive française à adresser publiquement son homosexualité. 

À 19 ans, l’athlète officialise sa relation avec Sylvie Bourdon – sa compagne de l’époque – en l’embrassant devant les caméras internationales. Puis, quelques semaines plus tard, elles font la couverture de Paris Match, rayonnantes. « J’arrête de mentir, j’arrête de me cacher« , confiait-elle alors, dans un long entretien. 

Près de 20 ans plus tard, en 2018, elle déclarera : « Je n’ai pas de regrets. Peut-être le referais-je d’une façon différente, moins brutalement. À l’époque, j’étais d’une grande naïveté. Cela n’a pas été facile, même si je me suis rendu compte très rapidement que c’était important », sur le plateau de 20h30 le dimanche (France 2). Quelques minutes plus tard, elle se confira également au sujet de la PMA – l’ex joueuse est maman de Aaron, né en 2015 et Ayla, née en 2017 – « cette loi, c’est permettre à toutes les femmes d’avoir le choix. On ne peut pas refuser ça, finalement, à une femme aujourd’hui ».

Celle qui ne voulait pas être une « porte-parole », restera une pionnière qui n’a pas cherché à l’être. Mais surtout une rôle modèle. « Je suis fière de vous ! Tout ira bien », tweetait-elle en 2021 aux six athlètes ayant fait leur coming-out dans le documentaire Faut qu’on parle (Canal +). 

2007 : Les 4 tournois du Grand Chelem offrent (enfin) une dotation égale entre hommes et femmes

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À l’heure où Billie Jean King arguait pour des dotations égales entre joueurs et joueuses, Bobby Riggs, l’ancienne star du tennis masculin répondait, que « les femmes jouent environ vingt-cinq pour cent aussi bien que les hommes, elles devraient donc recevoir environ vingt-cinq pour cent de l’argent que reçoivent les hommes », comme le rappelle Susan Ware dans le prologue de son ouvrage Game, Set, Match: Billie Jean King and the Revolution in Women’s Sports Game (2011).

Et ce n’est qu’en 2007 que tous les tournois du Grand Chelem offrent (enfin) une dotation égale entre hommes et femmes – « equal prize money ». L’US Open a ouvert la voie dès 1973, suivi (longtemps après) par l’Open d’Australie en 2001, puis Roland-Garros et Wimbledon en 2007, notamment grâce à la persévérance de Venus Williams.

Pendant plus de quinze ans, la championne s’est battue corps et âme. Elle a même rencontré les responsables de Roland-Garros en 2005 pour plaider au nom des joueuses de tennis professionnelles afin qu’elles gagnent le même prix que leurs homologues masculins, comme elle le rappelait dans un entretien à Forbes, en 2017. « Le tennis m’a donné tellement d’opportunités dans la vie, y compris une plate-forme, alors quand l’opportunité s’est présentée de me battre pour les femmes à travers le sport, c’était une décision facile ». 

Mais aujourd’hui encore, les inégalités persistent. Hors Grand Chelem, les dotations entre joueuses et joueurs diffèrent parfois de plusieurs centaines de milliers de dollars. Et les tenniswomen ne cessent de le dénoncer. À l’image de la numéro 1 mondiale, Iga Swiatek. En avril dernier, elle déclarait : « il y a encore des choses à faire concernant l’égalité des dotations sur les tournois WTA comparés à ceux de l’ATP (…) pourtant, on fait à peu près le même boulot ». 

2018 : Serena Williams joue en combinaison à Roland-Garros

Serena Williams est la championne de tous les records. Mais elle est aussi celles des prises de position engagées. Maternité, égalité des prix… Au fil des années, l’Américaine aux 23 titres de Grand Chelem (simple) à également changé la donne hors des courts. 

Et pendant plusieurs années, ce sont ses tenues de compétition qui ont fait couler beaucoup d’encre. Notamment en 2018, à Roland-Garros, où la joueuse afro-américaine a concouru vêtue d’une combinaison moulante noire, agrémentée d’une ceinture rose, inspirée de Black Panther

La jeune maman qui venait d’accoucher quelques mois avant avait expliqué, lors d’une conférence de presse relayée par The Guardian, qu’après son accouchement difficile, elle était sujette aux caillots sanguins. « Mon Dieu, je ne sais pas combien j’en ai eu au cours des 12 derniers mois. Je porte beaucoup de pantalons en général quand je joue pour pouvoir maintenir la circulation sanguine », précisait-elle alors. 

Pourtant, « ‘je pense que parfois ça va trop loin' », a déclaré Bernard Giudicelli (président de la FFT), selon l’Associated Press. Il a spécifiquement mentionné la tenue de Williams et a déclaré: ‘Ce ne sera plus accepté. Il faut respecter le jeu et le lieu' », reprenait NPR.

Une prise de position qui a fait réagir jusqu’à Billie Jean King. « Le contrôle du corps des femmes doit cesser. Le ‘respect’, on le doit au talent exceptionnel que Serena Williams apporte au jeu », rétorquait-elle alors, comme le relaye l’Obs

Dans la foulée, Nike, équipementier de la star afro-américaine depuis 2004, tweetait : « On peut retirer le costume d’une super-héroïne, mais on ne peut pas lui retirer ses super-pouvoirs ». 

2021 : Naomi Osaka se retire de Roland-Garros pour préserver sa santé mentale

Si le tabou autour de la santé mentale se lève petit à petit dans la société, beaucoup d’athlètes n’ont encore que trop peu de place pour panser et/ou évoquer le sujet de leur psyché. 

La joueuse japonaise Naomi Osaka a ainsi été la première à lever le voile sur ces non-dits. En 2021, alors numéro deux mondiale, elle se retire de Roland-Garros après avoir passé le premier tour et refusé de participer aux conférences de presse en début de tournoi. Dans un long texte posté sur les réseaux sociaux, elle se confie. 

« Je ne suis pas une oratrice naturelle et je suis très anxieuse avant de parler aux médias du monde entier. Je suis nerveuse et c’est stressant d’essayer de donner les meilleures réponses possibles », avant d’ajouter qu’elle a connu de « longues périodes de dépression depuis l’US Open 2018 ». 

Si elle a repris le chemin des courts dès les Jeux Olympiques de Tokyo (2021), elle s’émouvra de cette période décisive en décembre 2022, sur le plateau du Late Show de Stephen Colbert. « J’ai senti que [la pause] était nécessaire, mais j’ai eu un peu honte à ce moment-là parce qu’en tant qu’athlète, on vous dit d’être fort et de résister à tout, mais je pense que j’ai appris qu’il vaut mieux se préserver et ajuster les sentiments que l’on a à ce moment-là pour revenir plus fort ». 

Un acte de courage salué par de nombreux.ses internautes, mais également pas d’autres athlètes. « Cela – son abandon, ndlr – m’a en quelque sorte ouvert les yeux en disant: ‘Wow, il y a une autre joueuse de tennis aussi grande que la championne qu’elle est, qui traversait également cela’. Je me suis senti plus à l’aise pour en parler », expliquait le tennisman Nick Kyrgios en août dernier, comme le rapporte People.com.

2022 : Ons Jabeur devient la première joueuse tunisienne, arabe et africaine la mieux classée

L’actuelle numéro 4 mondiale impressionne par sa puissance et son humilité. À 28 ans, Ons Jabeur est la première joueuse tunisienne, arabe et africaine à tutoyer les sommets tennistiques (n°2, en 2022, WTA et ATP confondus). 

Celle que l’on surnomme « Onstoppable » ou encore la « ministre du bonheur » en Tunisie a failli rafler son premier titre en Grand Chelem l’année dernière, où elle a atteint la finale du tournoi de Wimbledon mais a été battue par l’actuelle numéro 1 mondiale, Iga Swiatek.

À la sortie du court, elle se confiait, toujours positive, à L’Équipe. « Je sais que je fais partie de ces joueuses qui vont gagner un Grand chelem. Ça va venir difficilement, mais ça va venir un jour. Je garde cette positivité pour vraiment être là et gagner ce put… de Grand Chelem ». 

Et c’est cette détermination qui fait d’elle une rôle modèle pour toute une génération. Un costume qu’elle revêt volontiers. « Je suis tellement heureuse de voir les réactions, surtout en Tunisie, en Afrique, des jeunes qui rêvent maintenant de jouer au tennis professionnellement ou plus largement de réaliser leurs rêves. Pour moi, c’est extraordinaire et j’espère continuer à faire cela. Désormais, je ne joue plus au tennis pour moi, mais je joue pour tout le monde », confiait-elle à Marie Claire à l’occasion d’un entretien exclusif, quelques jours avant le tournoi de Stuttgart (WTA500) en avril dernier. 

2023 : À Wimbledon, les tenues blanches ne seront plus imposées aux joueuses

Autre tabou sociétal qui a la dent dure dans le sport : les règles. Et si, au fil des années, la parole s’est libérée – l’année dernière la joueuse Qinwen Zheng évoquait ses douleurs de règles et comment elles avaient diminué sa performance en 8e de finale de Roland-Garros – les règlements vestimentaires stricts ne facilitent pas la tâche aux tenniswomen. 

À Wimbledon, depuis 2014, la politique est au « tout blanc ». « Les concurrents doivent être vêtus d’une tenue de tennis appropriée qui est presque entièrement blanche et cela s’applique à partir du moment où le joueur entre dans l’enceinte du terrain. Le blanc n’inclut pas le blanc cassé ou le crème », peut-on encore lire sur le site officiel du tournoi britannique.

Alors que plusieurs joueuses anglaises dénonçaient cette partie du règlement, la légende Billie Jean King déclarait à CNN : « Ma génération s’est toujours inquiétée parce que nous portions du blanc tout le temps. Nous étions toujours en train de vérifier si nous n’avions pas une tâche. C’est une source de stress ».

Mais en 2023, les lignes bougeront enfin. En novembre dernier, la direction du tournoi a décidé d’assouplir ses règles. « À la suite de discussions et d’engagements avec la WTA, les fabricants de vêtements et les équipes médicales sur la meilleure façon de soutenir les femmes participant aux championnats, le comité de gestion a pris la décision de mettre à jour la règle des vêtements blancs de Wimbledon pour permettre aux compétitrices de porter des vêtements mi/sombres – des sous-shorts de couleur s’ils le souhaitent », reprend un communiqué. 

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