INTERVIEW – Maïwenn : “J’ai été très surprise par Johnny Depp”

Elle vient d’ouvrir Cannes sous les traits de Jeanne du Barry, femme du peuple devenue la favorite d’un roi aimant, incarné par la star américaine. Une histoire qui fait écho à une partie de sa vie.

Et de six. Maïwenn poursuit son chemin de cinéaste en poussant toujours plus loin son talent pour la mise en scène. Quel chemin parcouru depuis Pardonnez-moi ! sorti en 2004, exercice d’auto-analyse sauvage tourné avec les moyens du bord ! Aux antipodes, Jeanne du Barry, c’est littéralement Versailles, l’actrice réalisatrice ayant pu tourner sur les lieux mêmes où Ese déroule l’histoire de son film, après un travail de préparation monstre qui l’a conduite à dormir aux abords du château, à passer des journées entières sous ses ors tandis qu’elle écrivait, pour s’imprégner du cadre dans lequel évolua sa du Barry, la favorite de Louis XV. Explications.

GALA : La du Barry, devenue comtesse, était issue d’un milieu populaire. Comme vous.
MAÏWENN
: Je viens d’une famille pauvre, mais de parents plutôt intellos, très de gauche, avec une vision de la culture très pointue, que je ne partageais pas. Je me suis créé la mienne contre la leur : quand on m’indiquait de voir tel truc, moi j’allais voir Les bronzés font du ski ! J’étais plus proche des goûts de mes grands-parents. Eux, ils aimaient Belmondo, Montand, Signoret : le cinéma du dimanche soir. Ce qui n’intéressait pas du tout ma mère, par ailleurs très cinéphile.

GALA : Enfant, votre du Barry s’ouvre au monde grâce aux livres, comme on le voit dans le film.
M.
: Oui. Elle sent que la culture est un moyen de s’élever. Comme moi, qui avais aussi quitté l’école très tôt. Et de livre en livre, elle découvre la littérature libertine. Elle sera même chassée d’un couvent à cause de ça.

GALA : Dans libertine, il y a liberté.
M
. : Et elle y accède à travers son goût pour l’érotisme, c’est vrai. Elle cherche la place qu’elle estime mériter dans cette société-là en devenant une courtisane. Elle n’était pas la seule, mais ceux, à la cour, qui n’acceptent pas qu’une roturière ait droit à tant d’égards, l’enferment dans l’image de la putain du roi.

GALA : Entrée en cinéma très jeune, vous avez déclaré avoir ressenti aussi ce sentiment de rejet.
M.
: Oui, jusqu’à réaliser mes premiers films et être acceptée dans cet autre Versailles qu’est le monde du cinéma. J’ai commencé à ce moment à me sentir légitime. Jeanne aussi aspirait à l’être. C’était une femme honnête.

GALA : Votre portrait d’elle est en tout cas bienveillant.
M.
: Un peu trop pour certains ! A mesure que j’écrivais, je donnais à lire autour de moi et les retours étaient souvent les mêmes : c’est une sainte, on en oublie que c’était une femme vénale, etc… Pareil lorsqu’on a commencé le montage. Pourtant, je n’avais fait que me baser sur les faits rapportés dans la documentation historique. Du coup, j’ai enlevé des scènes où s’exprimaient encore plus sa bonté envers les enfants, les religieuses qu’elle gratifiait, les soins qu’elle prodiguait à son beau-fils…

GALA : Votre fils, Diego Le Fur, apparaît dans le film sous les traits d’un tout jeune Louis XVI…
M.
: Dès l’écriture, il y a six ans, je pensais à lui, mais le temps passant, j’ai craint qu’il ne grandisse trop vite.

GALA : Voyez-vous Diego devenir acteur ?
M
. : Je ne crois pas: il ne pense qu’au tennis ! Mais, j’étais sûre qu’il allait amener son tempérament un peu froid, sec, en décalage avec l’excitation de la cour. Compte tenu de tout ce que j’avais lu sur Louis XVI, je voulais qu’on voie autrement ce roi, qui plus tard, paiera de sa vie la Révolution à venir. J’en ai fait un personnage humain qui n’apprécie pas nécessairement les codes qui régissent la cour ni le traitement réservé à Jeanne.

GALA : En 2015 vous aviez réalisé Mon Roi, l’histoire d’une femme qui cherchait à se défaire de l’emprise d’un homme manipulateur. A l’inverse, Jeanne du Barry est le portrait d’une femme à qui un vrai Roi, cette fois, permet de s’épanouir.
M.
: Oui, une femme qui gagne cette liberté à travers l’amour véritable et sincère qu’ils se portent mutuellement. Une histoire vraie, je précise.

GALA : Johnny Depp dit avoir vu très vite en vous “une âme soeur”.
M.
: J’ai été très surprise, car nous avons passé très peu de temps tous les deux seuls pour qu’il prononce des mots aussi flatteurs. On n’a jamais dîné, mais on a quelquefois bu des coups, on parlait de tout. En tout cas, j’ai compris très vite que c’était quelqu’un d’intuitif, d’animal. Vraiment pas comme les autres.

GALA : On a évoqué une gestion complexe sur le plateau. Ce fut le cas ?
M.
: Les génies sont comme ça. Et j’en ai rencontré : Fanny Ardant, Vincent Cassel… Ce n’est pas tous les jours facile, on ne va pas se mentir. Mais ce qu’ils délivrent devant une caméra est une bénédiction pour un réalisateur. Ils ne connaissent pas la peur et c’est ce qui produit leur charisme. Un acteur qui a peur, ça se voit tout de suite. Tout peut sonner faux. Avec Johnny Depp, il n’y avait pas une seule scène à jeter. Il suivait mes indications puis m’offrait toujours une autre option. Je n’avais qu’à choisir.

GALA : Il y a quelque chose de Marlon Brando chez lui.
M. :
Ils étaient amis, il l’a beaucoup influencé et ne s’en cache pas. Il nous a régalés d’une imitation inouïe : la voix de Brando, son regard, sa gestuelle. Il nous a fait hurler de rire !

GALA : Comment s’est-il préparé ?
M
. : En lisant des livres sur Louis XV qui m’avaient échappé, en écoutant des podcasts. Il m’a fallu préciser que je n’envisageais pas une œuvre historique, puis il s’est attaché aux petits détails qui faisaient le quotidien d’un roi.

GALA : Que représentait Johnny Depp dans votre imaginaire ?
M.
: J’ai eu un choc émotionnel l’année de la sortie de Cry-Baby, je ne sais plus quand (1991, ndlr). Je l’ai vu au moins quatre fois. Ensuite je suis allée acheter la B.O., ce qui représentait quelque chose puisque j’y ai laissé mon argent de poche. Je connaissais toutes les chansons, j’étais malade de ce film. A l’époque, je n’aurais pas cru celui qui m’aurait dit « Tu vois, ce mec dont tu es raide dingue, tu vas le diriger un jour au cinéma… » La vie réserve de belles surprises parfois…

Cet article est à retrouver dans le Gala N°1562, disponible dans les kiosques ce jeudi 18 mai 2023.

Crédits photos : @ Yves Bottalico

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