Le post-partum dure 3 ans : "Il y a de la joie, mais aussi un tas de pathologies ou de désagréments psychiques qui guettent"

  • La grande mascarade layette-cadeaux
  • Distinguer baby blues et dépression du post-partum
  • Le cerveau sens dessus dessous
  • Baby clash, anyone ?
  • Dialoguer pour co-construire la place de chacun.e
  • Toute la famille en quête de nouveaux repères
  • Des remous dans la sphère amicale

Neuroplasticité périnatale, mamnésie, baby clash… les lignes bougent matière de post-partum ! « On zoome enfin sur les troubles à la fois physiologiques et psychiques qui chahutent les débuts de la maternité », se réjouit la sage-femme Anna Roy.

Avec Le post-partum dure trois ans (Larousse), la soignante engagée jette un pavé dans la mare. Selon elle, médecins et sage-femmes faisaient jusque-là peu de cas des états de corps et d’âme persistants des nouvelles mamans, trop concentrés sur la grossesse, la naissance et le retour de couches. « J’ai réalisé cette évidence lors des visites de suivi à domicile. J’étais obligée de chercher sur internet les réponses aux questions des jeunes mamans. J’ai dû mettre de côté la myriade d’idées reçues sur le sujet pour me former sur le tas ».

La grande mascarade layette-cadeaux

Première fausse croyance à abattre : le post-partum serait l’affaire de quelques jours, ou au pire, quelques semaines, à la suite de quoi la femme vivrait de nouveau normalement. « On sait maintenant que ni le corps, ni la tête, ni la vie ne mettent aussi peu de temps à se remettre de cet événement-là », observe la professionnelle.

Second cliché dangereux pour la santé mentale au féminin : la péri natalité ne serait qu’un moment heureux. « On nous l’a vendue pendant des siècles comme une pseudo cérémonie de mariage », décrit la sage-femme.

Personne ne nous prévient de l’ambivalence de nos ressentis à ce moment-là. 

Baby shower, faireparts, layette, cadeaux de naissance… dans cette grande mascarade aux tons pastel, aucune nouvelle accouchée n’a envie de renvoyer à la famille une image de soi un peu bancale ; tout le monde joue le jeu et perpétue ce mensonge généralisé. « En réalité, le post-partum est une parenthèse de forte vulnérabilité psychique dans laquelle il peut nous arriver un certain nombre de déboires », évoque Anna Roy. « Il y a de la joie, bien sûr, mais aussi un tas de pathologies ou de désagréments psychiques qui guettent. Troubles anxieux, dépression, phobies d’impulsion, hyper vigilance… personne ne nous prévient de l’ambivalence de nos ressentis à ce moment-là ». 

Distinguer baby blues et dépression du post-partum

Partie émergée de l’iceberg, le fameux baby blues est censé pointer entre J3 et J5 post accouchement chez 80% des mères. Pendant quelques jours – une semaine tout au plus -, les symptômes, ainsi que leur intensité, varient d’une femme à l’autre. Loin d’être une maladie, cet état transitoire s’explique en grande partie de manière physiologique : le taux d’hormones (œstrogènes et progestérone) chute fortement, ce qui peut provoquer une baisse de moral et rendre irritable, alors que la présence de ces hormones durant la grossesse a un effet anti-dépresseur.

« Le plus souvent, les nouvelles accouchées décrivent un sentiment d’incompétence, elles fondent en larmes à la moindre occasion et se sentent épuisées », explique la naturopathe Mélina Lecluze Amorotti. Suite au challenge de sa propre expérience, la créatrice du blog lafamilletortue.fr a décidé d’en partager le récit dans le livre Baby Clash (Larousse). Selon elle, les réactions de l’entourage ne font qu’aggraver le traditionnel sentiment de culpabilité de ne pas être capable d’être heureuse. Heureusement, les choses rentrent rapidement dans l’ordre, au fur et à mesure que l’organisme retrouve son équilibre hormonal. 

Si le baby blues dure rarement plus de 10 jours et disparaît spontanément, il est potentiellement suivi d’une dépression du post-partum autrement plus problématique. Moins fréquente, heureusement, elle concerne 15 à 20% des mères (jusqu’à 30% selon une étude d’août 2021 réalisée par OpinionWay pour l’entreprise Qare). Tristesse profonde, douleur morale, voire idées suicidaires… les symptômes du baby blues persistent alors au-delà de quinze jours ou ré apparaissent plusieurs mois après. Depuis 2022, un entretien postnatal précoce est proposé systématiquement aux jeunes mères entre la 4e et la 8e semaine après l’accouchement afin de repérer l’installation possible de cette dépression spécifique.

Autre écueil dont on parle peu : les phobies d’impulsion, qui sont des pensées intrusives et angoissantes se traduisant par des pulsions agressives envers le bébé. S’il n’y a quasiment jamais de passage à l’acte, le poids de la crainte reste lourd. Tous ces troubles peuvent en bouleverser plus d’une si l’on n’est pas avertie, d’autant que l’on a vite fait de les mettre sur le compte de la déstabilisation hormonale persistante, d’une dette de sommeil ou de l’épuisement général dû au rythme biologique contraint. Or, les recherches pointent désormais des causes multifactorielles qui peuvent concerner le corps, le cerveau ou la vie émotionnelle.

Le cerveau sens dessus dessous

D’après Anna Roy, les chercheurs en neurosciences cernent de mieux en mieux les modifications du cerveau de la jeune mère. Et ces dernières agiraient pendant près de trois ans ! Hugo Bottemanne, psychiatre et chercheur en neurosciences à l’Institut du cerveau, et Lucie Joly, psychiatre, abordent ainsi les notions de post-partum cérébral ou de neuroplasticité périnatale dans l’ouvrage Dans le cerveau des mamans (Editions du Rocher).

En tête des troubles les plus fréquents, brouillard mental et sensation de ralentissement sont ressentis chez 80% des femmes enceintes et jeunes accouchées. Ces symptômes d’inattention avaient déjà été décrits par le psychologue Winnicott dès 1956. Jodi Pawluski, neuroscientifique, se penche sur leur mécanique neuronale dans Mommy Brain (Larousse, 2022), – en français « mamnésie ».

Un long travail de reconstruction est parfois nécessaire afin de restaurer une image positive de soi.

En marge de ces phénomènes, Mélina Lecluze Amorotti appelle pour sa part à ne pas minimiser l’effet déstabilisant des transformations corporelles ou l’impact des épreuves obstétricales sévères. « Une césarienne ‘code rouge ou orange’ ou une épisiotomie peuvent avoir des conséquences non négligeables, notamment sur la vie sexuelle ultérieure. Sentiment de corps meurtri, abîmé… la mère se sent facilement vulnérable et fragilisée après l’épreuve de l’accouchement. Un long travail de reconstruction est parfois nécessaire afin de restaurer une image positive de soi ».

« Certaines devront faire le deuil du corps d’avant la grossesse », avance la bloggeuse naturopathe. D’autres affronteront le « syndrome du ventre vide » ; il s’agira alors de faire le deuil de la grossesse et de la relation unique qu’elles avaient avec leur enfant.

Baby clash, anyone ?

Anna Roy est formelle : la maternité exige de se réinventer, qu’on le veuille ou non. « L ‘arrivée de l’enfant, a fortiori quand c’est le premier, est un peu comme une boule lancée dans un jeu de quilles », illustre la sage-femme. « Le couple devient parental, avec un nombre extraordinaire de tâches supplémentaires à faire dans la journée ; à moins d’avoir des moyens illimités pour payer des armées de nounous, vous n’aurez plus le même rapport au travail ». La maman ou le coparent trinque forcément ; voire les deux, quand les tâches sont réparties de manière équitable. 

Ses conseils pour adoucir le passage : trouver une sage-femme pour vous accompagner ; installer un maillage efficace de professionnels de la santé ; s’organiser pour que le coparent puisse prendre un temps suffisant pendant le premier mois. « Quitte à manger des pâtes, quand c’est possible, posez un mois de congé sans solde pour accueillir le bébé », insiste-t-elle. 

Dialoguer pour co-construire la place de chacun.e

De son côté, Mélina Lecluze Amorotti invite à conscientiser la relation avec le co-parent. « Avec du recul, j’ai fait beaucoup d’erreurs, liées sans doute à mon état physique et psychique fragilisé… En voulant préserver mon compagnon, je ne lui ai pas laissé prendre sa place. Notre seule tentative de dialogue a échoué. (…) Nous n’étions pas sur le même bateau… » et de recommander de communiquer avec le conjoint.e, de demander de l’aide au moindre signe de fatigue, de tristesse, d’irritabilité.

Si le coparent ne vit pas de changement physique, il peut être tout de même sujet à des troubles. « Il n’a pas un rôle encore bien défini dans la préparation à la naissance et à l’accouchement. Ce n’est pas évident pour lui de trouver sa place pendant la grossesse, puis lors du post-partum », constatent Agathe Verhack (@agathe.holimama) et Justine Legname (@justine.holimama). Respectivement sage-femme et professeure de yoga périnatal, ces deux mères de trois enfants chacune ont fondé holi-mama.fr, une plateforme d’accompagnement holistique des futures et nouvelles mamans. Leur livre pratique Pimpe ton post-partum !, (Larousse) invite à installer le plus tôt possible un véritable « mindset postpartum ». Pilier majeur de cet état d’esprit : l’accueil de nos ressentis.

« Le fait de devenir maman peut s’accompagner de nouveaux sentiments que l’on va plus ou moins bien vivre », affirment-elles. La clé ? S’autoriser à ne pas aller bien, à tomber le masque et à exprimer ce que l’on ressent vraiment, à lâcher prise pour se recharger… Une approche auto-compassionnelle qui affleure, entre autres, sur le compte Instagram @le_regret_maternel, d’Astrid Hurault de Ligny. 

Toute la famille en quête de nouveaux repères

Le post-partum ne se contente pas de faire vaciller l’équilibre du couple. Il ébranle toute la famille. « Nous ne sommes plus uniquement la fille, la sœur ; nous devenons la mère« , décrivent Agathe Verhack et Justine Legname.

Nous pouvons dès lors éprouver le besoin d’être davantage reconnue, écoutée, car nous ne sommes plus ‘la petite fille’. Cette rupture avec l’enfance change notre propre relation à nos parents, qui basculent dans le rôle de grands-parents alors qu’eux-mêmes ne l’ont pas décidé. À chacun.e de trouver une place dans ce remaniement intergénérationnel. 

La qualité de l’environnement familial et social, le projet du couple, le déroulement de la grossesse entrent aussi en ligne de compte.

Le couple doit former son propre modèle, en choisissant ce qu’il souhaite conserver des repères issus des parents respectifs. « Cela peut créer des conflits entre les générations ou les fratries, car elles aussi projettent leur propre modèle parental », soulignent les fondatrices de Holi-mama. En fonction de l’histoire personnelle de chacun.e, l’arrivée d’un nouvel être ravive les événements de l’enfance, et notamment ceux de vie, de deuil, de perte et de séparation. « La qualité de l’environnement familial et social, le projet du couple, le déroulement de la grossesse entrent aussi en ligne de compte »,  relèvent les expertes. 

Des remous dans la sphère amicale

Le cercle amical est aussi impacté, à fortiori quand les proches sont célibataires ou sans enfants. Dans les premières semaines, voire les premiers mois, tout jeune parent est forcément moins disponible, change de préoccupations. « Nous n’avons plus la même liberté et il faut bien le dire, nous passons notre temps à parler bébé », sourit Anna Roy. Certaines relations se distendent pour se recréer à la sortie du postpartum. Ou pas. « Devenir mère est l’occasion de tisser des liens avec de nouvelles personnes qui vivent en même temps que toi ces changements, ou les ont vécus récemment », considèrent Agathe Verhack et Justine Legname.

C’est donc souvent une nouvelle femme qui s’incarne quand on sort la tête de l’eau, une fois que l’enfant atteint ses 3 voire 4 ans. Et si on rempile dans une nouvelle grossesse ? « On repart pour un cycle, avec plus ou moins de facilité. Certaines sont mieux armées pour le suivant ; d’autre non. Il n’y a pas de règle« , relativise Anna Roy. Des mamans ne sont toujours pas remises métaboliquement de la première grossesse. Les chanceuses qui ont été très épaulées par les grands-parents pour le bébé numéro un, font parfois face à un désinvestissement de ces derniers concernant le suivant. Parfois, c’est la situation professionnelle qui se tend.

Heureusement, l’information est désormais largement disponible (livres, podcasts…), ce qui permet d’être mieux préparée. « Les femmes doivent maintenant prendre l’habitude de demander de l’aide quand elles en ressentent le besoin », suggère Anna Roy. Sage-femme, sexologue, psychiatre, et même avocat si on a un de problème de travail… vous n’êtes pas seule !

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