Plus de dix ans, avec longues pauses, retours en arrière et fausses routes, voilà ce qu’il a fallu au Québécois Nicolas Delisle-L’Heureux pour mettre un point final à Un grand bruit de catastrophe (Éd. Les Avrils), son fascinant deuxième roman (le premier publié en France) que le Prix du Roman Marie Claire 2023 vient de couronner.
La raison de cette gestation à tâtons ? Cette scène de viol, noeud du livre, que l’auteur a mille fois soupesée et refaçonnée à l’aune des évolutions sociales qui ont émaillé la dernière décennie. Et l’auteur de lister : « Il y a eu le mouvement #MoiAussi (au Québec, on a francisé #MeToo), il y a eu les nouveaux féminismes, il y a eu la question de savoir qui avait le droit de raconter l’histoire de qui, alors moi, en tant qu’homme, je ne me donnais plus la permission de raconter le viol de mon héroïne. »
- « Comment #MeToo a changé mon couple »
- Cinq ans après #MeToo, en France, le chemin est encore long pour punir les agresseurs
L’héroïne de Nicolas Delisle-L’Heureux affranchie du « male gaze »
Loin de nous dire cela sur le mode « nous les hommes, on ne peut plus s’exprimer », Delisle-L’Heureux a au contraire, avec humilité et acuité, « examiné [son] propre male gaze, questionné [sa] conception des relations de genre et des personnages féminins, jusqu’à ce qu’une amie, à qui j’ai fait lire la copie, me dise de faire confiance à ma sensibilité ».
Riche de ce « remue-méninges » (brainstorming en québécois) que l’auteur s’est imposé de bon coeur, forte de toutes les déconstructions qu’il a mises en branle, voici donc Louise, l’héroïne qui a tant enthousiasmé nos juré·es : le Prix du Roman Marie Claire a vocation à récompenser un ouvrage racontant un destin de femme qui résonne avec l’époque, alors cette Louise bravache en remplissait formidablement les critères ! Gamine, elle mène par le bout du nez ses copains Laurence et Marco ; ado, elle brave les entraves dont sa famille évangéliste la harnache ; adulte, elle se venge de la violence des hommes et navigue comme elle peut avec ses traumas…
Une écriture splendide
Son roman, l’auteur le localise dans un Canada des Confins, là où les bourgades désolées, tout en terrains vagues, se tiennent en lisière de la nature la plus brute. Loin de là, Nicolas Delisle-L’Heureux, lui, a grandi à Gatineau, « une ville-dortoir en périphérie d’Ottawa pour fonctionnaires gouvernementaux, une banlieue parfois chouette mais très très laide aussi qui me déprimait complètement, et même si ma famille était super, c’était comme si je n’étais né ni au bon endroit ni du bon ventre. »
Dans la famille, il y avait un grand-père qui, quand ses petits-enfants tramaient un mauvais coup, les traitait d’ »enfants de chienne », « mais d’une manière affectueuse, comme s’il détournait le caractère misogyne et insultant de l’expression ». C’est ce qui donna, au Canada, son titre à son livre : Les Enfants de chienne.
Un grand bruit de catastrophe, titre de l’édition française, « plus guttural, plus tambour battant », dit peut-être davantage de la langue de l’auteur : toute percussive, elle pétille d’humour noirâtre, envoie valdinguer la chronologie, vibrionne d’un personnage à l’autre, sans que jamais l’architecture générale, si splendide et si patiemment dessinée, n’accuse la moindre fissure.
- Quand les autrices se mettent au vert et écrivent l’aventure d’être une femme dans la nature
- Séries, films : pourquoi les héroïnes badass dérangent-elles autant ?
Source: Lire L’Article Complet