- Le festival CanneSéries, qui s’ouvre ce vendredi, consacre pour la première fois une compétition aux séries documentaires.
- La série française Chevaline fait partie des œuvres sélectionnées et sera projetée lundi 17 avril en avant-première mondiale.
- La journaliste Imen Ghouali, coréalisatrice, s’est entretenue avec 20 Minutes afin de revenir sur son travail.
Pour la première fois, le festival international des séries de Cannes, qui s’ouvre ce vendredi, délivrera un prix spécial récompensant les documentaires. Quatre œuvres ont été sélectionnées dans cette nouvelle catégorie, parmi lesquelles Chevaline. Déclinée en six épisodes, la série revient sur le drame qui s’est noué sur les hauteurs d’Annecy, le 5 septembre 2012. Ce jour-là, une famille et un cycliste ont été mitraillés par un « tireur sorti de nulle part », alors qu’ils se promenaient « au milieu des bois, loin des parcours touristiques ». Dix ans plus tard, la série « tente de recoller les pièces du puzzle ». La journaliste Imen Ghouali, coréalisatrice du documentaire, s’est entretenue avec 20 Minutes à ce sujet.
Vous êtes trois à avoir travaillé sur ce documentaire, comment la collaboration s’est opérée ?
Initialement, c’est Sébastien Deurdilly, le patron d’Upside Film, qui m’a contactée pour travailler sur cette affaire. Au départ comme showrunneuse, puis en tant que réalisatrice. Il faut savoir qu’en amont, Brendan Kennet [le créateur de la série] qui est journaliste, avait commencé à défricher l’enquête en ayant beaucoup travaillé sur le dossier. Ensuite, Camille Bouvier-Lapierre, mon coréalisateur nous a rejoints. J’ai commencé à travailler dessus en janvier dernier, il y a plus d’un an, à la fois sur l’enquête, l’écriture des épisodes, le tournage, le montage et toutes les phases de fabrication.
Pourquoi avoir décidé de réaliser un documentaire sur la tuerie de Chevaline ?
L’idée était de se dire « Comment on raconte une enquête judiciaire qui s’étale quand même sur dix ans ? ». C’est une affaire hors-norme. Et pour compliquer un peu plus les choses, elle est toujours en cours. Donc sans dénouement. Je traite du judiciaire depuis vingt ans, notamment je travaille beaucoup pour Faites entrer l’accusé. Normalement, je ne m’intéresse qu’aux affaires terminées et jugées puisque cela permet de comprendre, d’analyser, de revenir sur la psychologie des uns et des autres. Là, c’est un mystère absolument entêtant. Pour le dire trivialement, c’est un mystère qui rend dingue car c’est un quadruple assassinat, un « mass murder », comme disent les Américains.
En France, hormis les actes terroristes ou les drames familiaux, c’est rare d’avoir autant de victimes dans un crime comme celui-ci. Et puis, dans cette enquête, il y a un travail colossal et minutieux or ça n’aboutit pas. On ne connaît toujours pas aujourd’hui, plus de dix ans après, ne serait-ce que le mobile de ces crimes. On ne sait même pas qui était visé. Était-ce la famille ? Était-ce le cycliste ? Tout cela crée vraiment une énigme passionnante. Des énigmes qui durent sur des décennies, il n’y en a pas beaucoup, à part l’affaire Grégory.
Pour les besoins du documentaire, avez-vous dû refaire toute l’enquête ?
D’une certaine façon, oui, puisque nous sommes allés interroger les témoins, les magistrats, les enquêteurs. Nous sommes allés sur le terrain, plusieurs fois à Annecy, en Angleterre. Après, le but n’était pas de résoudre l’enquête, les enquêteurs eux-mêmes n’y parviennent pas. C’était de faire le point sur toutes ces pistes, toutes plus crédibles les unes que les autres. A chaque fois, on y croit. On se dit « Mais oui, forcément ! ». Mais au final, non. Il faut savoir que les Anglais appellent ce dossier « Yes… But » (Oui… Mais). A chaque fois qu’on tient un truc, qu’on se dit « oui, c’est bon, là on y est » hé bien, non. C’est un dossier qui est particulièrement intéressant, presque dérangeant intellectuellement parce que, globalement dans les affaires criminelles, on a toujours une idée qu’on parvient à prouver ou pas. Là, on a une multitude de pistes toutes valables, les enquêteurs travaillent sans relâche mais cela n’aboutit à rien. Vraiment, ça rend fou.
J’imagine qu’il a fallu intégrer cet aspect-là dans le documentaire, le format série était donc bien adapté…
Aujourd’hui, les séries documentaires sont appréciées parce que le côté série permet de feuilletonner. Il permet d’apporter une écriture scénaristique, à travers laquelle on s’interroge beaucoup plus sur la narration et la construction que lors de documentaires unitaires. A chaque fin d’épisode, il faut qu’on ait envie de voir le suivant. Il y a toute une réflexion à avoir sur l’écriture : comment raconter les choses en sachant que c’est une affaire en cours ? On ne peut pas, non plus, se permettre de raconter tout et n’importe quoi ou même de tirer des conclusions.
le but n’était pas de résoudre l’enquête, les enquêteurs eux-mêmes n’y parviennent pas. C’était de faire le point sur toutes ces pistes, toutes plus crédibles les unes que les autres. »
Vous faisiez référence à l’affaire Grégory qui a fait l’objet d’une série documentaire sur Netflix, est-ce que cela vous a inspiré ?
Non, cela ne m’a pas traversé l’esprit. Mais je sais que le format série intéresse, à commencer par moi en tant que téléspectatrice. Comme tout le monde, j’en dévore beaucoup. Quand on a parlé de cette affaire, on s’est dit qu’il y avait matière pour faire une série mais comment la rendre intéressante en sachant que c’est toujours un mystère. Il fallait trouver la bonne écriture pour faire six épisodes dans lesquels on apprend des choses. Beaucoup ont déjà été dites ou écrites. On voulait faire quelque chose qui soit à la fois intéressant et instructif sur le déroulement d’une enquête.
Comment vous avez accueilli cette nomination pour le festival CanneSéries ?
Plutôt bien (rires). On est fier d’autant que nous sommes la seule série documentaire française qui a été retenue. On porte le drapeau (rires). Mais nous sommes aussi la seule série « true crime » de cette compétition, donc je ne sais pas comme cela sera accueilli par le jury.
Où pourra-t-on voir votre documentaire ?
Il a été fait pour Canal Plus, donc il sera diffusé en linéaire, sur My Canal et tous les supports de diffusion du groupe mais je ne peux pas encore vous donner de date précise (rires). Probablement à la rentrée…
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