Après un physicien excentrique dans Poissonsexe, des ados des cités au regard singulier sur le monde dans son documentaire Swagg, et un duo improbable sur les routes dans Robert Mitchum est mort (cosigné avec Fred Kihn), Olivier Babinet met en scène Benoît Poelvoorde en veuf alcoolique atteint de sclérose en plaques protégé par sa fille de quinze ans. Dans Normale, qui sort mercredi 5 avril, l’acteur, à contre-emploi, touche au cœur.
Aidante
A quinze ans, Lucie (Juliette Lacroix) s’occupe de William son père veuf, adolescent attardé, alcoolique et atteint de sclérose en plaques (Benoît Poelvoorde). Imaginative, elle s’évade dans l’écriture d’une autofiction entre rêve et réalité, alors qu’elle peine à trouver sa place entre un adulte dépendant et le collège, où elle est la souffre-douleur de sa classe. Jusqu’au jour où les services sociaux annoncent leur visite à domicile, poussant le père et sa fille à dissimuler leur précarité pour rester ensemble.
Adapté de la pièce de David Greig Le Monstre du couloir, Normale avait tout pour inspirer Olivier Babinet. Une histoire simple, mais pas banale, où les émotions prévalent et où les enjeux sont ancrés dans l’air du temps. Mis sous les feux de l’actualité avec leur statut mal défini, les aidants sont au cœur de Normale à travers Lucie, qu’interprète Juliette Lacroix, une jeune actrice pleine de naturel, très émouvante et drôle en garde-malade harcelée. Prise dans les affres de l’adolescence et à l’étonnante maturité, habitée par ses rêves qui la sauvent du désarroi, elle « gère » un père qui perd pied.
Décade prodigieuse
On pourrait reprocher à Normale d’accumuler les nuages noirs sur la tête de la Lucie : orpheline de mère, père alcoolique gravement malade, persécution à l’école, argent manquant, habitat à la limite de l’indigence… Si le film est naturaliste, il n’est pas excessif et il est empreint d’humour. Le sort de William, ce père malade, résulte d’un trauma ayant entraîné une décadence prodigieuse. Plus d’un de nos contemporains ayant traversé des crises semblables se retrouvent dans la rue aujourd’hui, perdent leurs enfants et sont de santé précaire, chaque malheur en entrainant un autre.
Dans ce tableau miséreux, mais jamais excessif ou caricatural, demeure l’amour d’un père pour sa fille et de l’enfant pour son papa. L’imagination créatrice est aussi salvatrice pour Lucie. On sera plus dubitatif sur le moyen utilisé par le duo pour gruger les services sociaux dans le film, mais il est amusant. Reste un défaut de rythme, le récit tournant un peu en rond en peinant à trouver des relances dans la seconde partie. Mais le duo père-fille fonctionne parfaitement, avec une mention spéciale à Benoît Poelvoorde dans un de ses meilleurs rôle. Touchant.