« J’aime la montagne profondément. Je l’aime. Je l’aime parce qu’elle m’est nécessaire. Elle a été de tout temps le baromètre de mon équilibre physique et moral. Pourquoi ? Parce que la montagne offre à l’Homme la possibilité de dépassement dont il a besoin ». Les mots de Charlotte Perriand suffisent à retranscrire sa passion profonde pour ce territoire sauvage. Force de la nature et fille de la nature – d’origine savoyarde -, l’architecte et designer a toujours été imprégnée par l’immensité puissante de ces paysages vallonnés. Elle avait pour coutume hiver comme été de s’y installer pour se ressourcer et n’a cessé de penser et pratiquer son art au cœur de cet impressionnant panorama à l’abri des tumultes de la ville.
La montagne au coeur
Toujours en avance sur son temps, Perriand n’a guère attendu le grand sacre de la société des loisirs et de l’or blanc pour prendre ses quartiers à la montagne, comme le raconte le spécialiste de l’architecture et de l’oeuvre de Charlotte Perriand, Jacques Barsac, dans un livre colossal paru aux Editions Norma et baptisé Charlotte Perriand, Une Architecte en montagne. Dès son plus jeune âge, elle a développé un goût prononcé pour la liberté offerte par ce grand désert haut perché. A cette passion de jeunesse s’est associé le regard aiguisé de l’architecte sur cette terre, idéale pour goûter à l’avènement des congés payés à la fin des années 30 puis à la société des loisirs dès le début des années 60.
Habituée de ces lieux encore difficiles d’accès pour l’époque, Charlotte Perriand a accompagné leur métamorphose par la création de refuges inventifs, chalets respectueux de la nature et enfin station de ski mythique. En 1936, elle se spécialise dans l’architecture préfabriquée dans le but d’offrir un toit pour les vacances au plus grand nombre. Elle imagine alors un premier refuge bivouac futuriste aux côtés d’un ingénieur de l’Aluminium Français André Tournon. Quelques années plus tard, elle signe l’aménagement d’un premier hôtel qui présente déjà les caractéristiques emblématiques de son travail en montagne, mais le projet restera inachevé suite à la déclaration de guerre. A l’aube des années 60, elle se lance enfin dans la construction d’un chalet rien que pour elle à Méribel. Son architecture modeste et fonctionnelle s’inspire des architectures traditionnelles et paysannes des alentours. L’architecte puise dans l’architecture vernaculaire pour composer un habitat moderne capable de faire vivre son habitant une expérience en osmose avec la nature grâce à des pièces fonctionnelles dotées de grandes baies ouvertes sur l’extérieur, le tout en lui offrant le confort moderne né des prérogatives du mouvement hygiéniste : isolation thermique, système d’aération… Pensé comme un refuge vivant au rythme de la nature, organisé en espaces intimes avec pour centre de gravité une cheminée accueillante où se retrouver, l’endroit préfigure le travail titanesque qui l’attend à quelques kilomètres de là, dans la vallée de la Tarentaise…
Les Arcs, le projet d’une vie
De 1967 à 1989, Charlotte Perriand se consacre pleinement au chantier de sa vie : la création de la station de ski savoyarde Les Arcs en collaboration avec le promoteur immobilier Roger Godino. C’est la première fois qu’une femme est à la tête d’une telle épopée moderne. Un rôle qui lui vaudra de devenir une « référence » en la matière. C’est à la fin des Trente Glorieuses que le duo commence à réfléchir à ce projet ambitieux d’une station de sports d’hiver résolument intégrée au décor naturel. Elle promet un « engagement total » au promoteur qui ne peut qu’admirer son « fantastique sens du vrai et de l’esthétique » . Ils ont a cœur tous les deux d’imaginer une ville moderne qui va sauvegarder les emplois été comme hiver d’une vallée désertée et offrir un point de chute à des vacanciers en quête de nature, désireux de fuir l’esthétique bétonnée des villes. Ils refusent de succomber aux architectures de loisir qui fleurissent à la mer comme à la montagne sous la forme de grandes tours et autres grands ensembles. Amoureuse absolue de la montagne, l’architecte profite de ce projet pharamineux pour y greffer ses obsessions humanistes, et pour le moins avant-gardistes pour la grande époque de la société des loisirs et de la consommation, peu encline à se tourmenter avec des questions d’ordre écologique. Si Charlotte Perriand n’arrive pas à développer l’énergie solaire sur les toits comme elle le désirait au départ, elle fera des Arcs la première stations de ski sans voiture.
Crées « de l’urbanisme à la petite cuillère » selon ses soins – et selon sa formule désormais culte -, Les Arcs demeurent la grande œuvre de sa vie. Durant près de 25 ans, malgré les contraintes financières et temporelles, elle va y déployer toutes les facettes de son immense talent pour concevoir une station en phase avec l’époque, mais surtout et avant tout avec la nature. L’architecture des lieux reprend ainsi la forme conique des montagnes, les toitures celles des pistes de ski, et le tout s’intègre littéralement au paysage. De l’urbanisme à l’architecture intérieure, la station porte l’empreinte des nombreux travaux antérieurs de Charlotte Perriand. Les principes d’habitat minimum, les concepts d’interpénétrations des espaces avec des équipements amovibles, les apports de l’architecture japonaise enrichissent la création d’une station résolument tourné vers un avenir où la nature et le bien-être de l’homme serait une double priorité.
Retour en images sur cette oeuvre majeure de l’architecture française et de la carrière de Charlotte Perriand.
- Le livre du mois : Charlotte Perriand : comment voulons-nous vivre ?
- Charlotte Perriand, une vie de création à jamais inspirante
Le chalet de Meribel de Charlotte Perriand
Ouverte sur la nature avec une immense baie vitrée, la pièce principale du chalet de Meribel, aménagée par Charlotte Perriand, accorde largement une belle place au bois comme dans les chalets savoyards traditionnels. Des murs à la charpente en passant par le mobilier, comme cette table à manger composée de tronc d’arbre brut, ce matériau authentique raconte l’histoire des lieux et des paysages voisins.
La pièce principale du chalet de Meribel
La pièce principale du premier étage du chalet de Méribel avec son coin-cuisine et sa bibliothèque coulissante.
La Résidence les Belles Challes-Lauzières aux Arcs
Aux Arcs, l’ensemble résidentiel Les Belles Challes-Lauzières, dont la construction est implantée perpendiculairement aux courbes de niveaux pour fondre l’habitat dans le paysage enneigé.
La station Les Arcs vue des montagnes voisines
Le toit-terrasse de la Résidence Les Lauzières aux Arcs
Pensée comme un toit-terrasse, la toiture de la Résidence Les Lauzières accueille dès les années 70 des cours de Taï Chi.
L’intérieur d’un appartement en duplex de la Résidence Les Mirantins aux Arcs
En 1984, Charlotte Perriand ajoute des appartements en duplex sur la demande de Roger Godino. On y reconnaît les caractéristiques phares de son style : emploi de menuiserie, mobilier fonctionnel en bois et large place accordée au paysage naturel grâce à une impressionnante baie vitrée avec terrasse.
Un appartement de la Résidence et hôtel Les Trois Arcs
Première construction des Arcs, la Résidence et hôtel Les Trois Arcs annonce toute la fonctionnalité du projet architectural de Charlotte Perriand. La plateforme intérieure avec banquette devient terrasse en extérieur, les rangements intégrés se parent d’aérations longilignes pour laisser filer l’air tandis que le mobilier privilégie le bois pour un ensemble cohérent et fonctionnel.
Une chambre de l’Hôtel du Golf aux Arcs
Au coeur des Arcs, l’Hôtel du Golf fleure l’esthétique seventies avec son fauteuil Matra et sa table à café avec piètement métallique à retour tripode.
Charlotte Perriand dans les Alpes italiennes vers 1929
Charlotte Perriand, une architecte en montagne de Jacques Barsac aux Editions Norma
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