- Lycéennes et victimes de violences protéiformes dans leur couple
- Emprise et harcèlement, des années après les violences
- La peur d’en parler aux parents
- Des clichés dangereux et tenaces chez les jeunes
- Le traumatisme des jeunes victimes
- Des violences sous le radar
- Signaler ces violences
« Deux ans de relation, quatre de terreur ». À 23 ans, elle raconte publiquement son histoire pour la première fois. Ses plus intimes amis « n’en connaissent pas la moitié ». Eva rembobine jusqu’à ses quatorze ans : le premier copain rencontré lors d’une fête, la sympathie de ses parents pour celui qui s’est intégré parmi les siens… Et puis, le basculement lorsqu’elle entre au lycée, la boule au ventre quand elle consulte un jour son téléphone et découvre une soixantaine de messages non-lus.
Lycéennes et victimes de violences protéiformes dans leur couple
Ce harcèlement se répètera et s’intensifiera. Même schéma durant plus d’un an : « Deux à trois fois par semaine, il m’envoyait au cours d’une même journée cent à cent cinquante messages ». Ceux-là comportent des questions insistantes (« Tu es où ? Avec qui ? »), des menaces (« J’espère que tu n’as pas d’amis garçons »), parfois de mort (« Je vais te couper en quatre au katana »), et des insultes en tous genres, de « grosse pute » (sic) à « grosse tout court ». « Dans les jours où tout allait bien, il m’adorait pour mes formes, et les jours où il me harcelait, il m’assurait : ‘Tu es trop grosse. Personne ne t’aimera à part moi' ».
Durant un an, Arthur (le prénom a été modifié) crache cette violence verbale, exerce cette violence psychologique. Puis s’excuse, chaque fois. Et isole Eva : « J’avais tellement peur qu’il me fasse un crise, que je ne sortais plus avec mes amis. Je les avais tous perdus. On parlait moins des mécanismes d’emprise à cette époque. Je me suis retrouvée seule », se remémore douloureusement celle qui multipliait alors les crises d’angoisse et avait perdu quinze kilos.
« Tu m’as menti, je vais te tuer. » Un jour de 2016, la lycéenne reçoit cette nouvelle menace, qui a surgi de son téléphone au milieu d’un cours de SVT. Arthur est parvenu à infiltrer ses contacts, en piratant son appareil. Puis a appelé chaque numéro qui y figurait, pour s’assurer qu’ils appartenaient bien tous à des femmes. Eva avait enregistré ceux de deux hommes, les petits-copains d’amies, sous les prénoms de ces dernières, pour contextualiser de qui il s’agissait. Arthur était ainsi tombé sur des voix masculines.
Je n’ai pas le temps de prononcer un mot qu’il me crache au visage et me frappe la tête contre un poteau, devant mes voisins et mes proches.
L’étudiante en journalisme fait alors le récit de l’extrême violence qui a suivi, cette scène dont elle a cru ne pas sortir vivante. « Il n’avait pas le permis, mais a emprunté la véhicule de son père. Il a fait 35 bornes pour me tuer. Alors que je l’entends klaxonner devant chez moi, je préviens ma famille en cinq minutes de la situation, leur révèle tout ce que j’ai toujours souhaité leur cacher. Mais je leur dis que je peux gérer seule. Je sors. Je n’ai pas le temps de prononcer un mot qu’il me crache au visage et me frappe la tête contre un poteau, devant mes voisins et mes proches. Puis il remonte dans ‘sa’ voiture, démarre en paniquant, manque de renverser mon frère et fuit à toute vitesse. »
Emprise et harcèlement, des années après les violences
Ce fut la fin de la relation, « pas de [son] calvaire ». Terrifiée, Eva bloque Arthur sur ses réseaux sociaux. Qu’il pirate, à plusieurs reprises. Ce harcèlement la pousse à « faire disparaître toute trace » d’elle sur la Toile. L’adolescente change cinq fois de numéro en deux ans. « Et chaque fois, il me disait qu’il allait me retrouver et me tuer. » « Marquée à vie », Eva confie en avoir fini avec la boule au ventre depuis 2020.
« J’étais encore sous son emprise, dans ce schéma vicieux, quatre ans après la rupture », lance celle qui peine parfois à réaliser que c’est bien elle qui a subi de telles épreuves. Le propre du phénomène de dissociation : tenir l’évènement à distance la sauve.
Si Eva a révélé dans l’urgence ce qu’elle traversait à sa famille, Yasmine leur cache encore aujourd’hui les violences verbales, psychologiques, sexuelles et physiques endurées à l’adolescence. « Je ne pouvais pas en parler à mes parents car ils n’auraient pas accepter que j’aie un petit-ami. Je ne voulais pas qu’ils rejettent la faute sur moi. »
La peur d’en parler aux parents
Yasmine a 16 ans lorsqu’elle rencontre via Instagram celui qui devient son premier petit-copain. Rudy (le prénom a été modifié) n’habite pas dans sa ville. Alors, durant presque une année, le smartphone de Yasmine est indéboulonnable de son oreille. La voix de Rudy l’accompagne sur le chemin du lycée, à l’aller comme au retour, et tous les soirs avant le coucher. « C’était la première fois qu’un garçon s’intéressait à moi, confie celle qui était à cette époque victime de harcèlement scolaire et de slut shaming. Cette relation était très importante à mes yeux, même si elle n’était que téléphonique. »
Il me disait qu’il n’y avait que moi qui le mettait dans cet état-là, parce qu’il m’aimait.
Comme Eva, cette cheffe-hôtesse dans un restaurant identifie aujourd’hui – plus jeune, et sous emprise, cela lui était impossible – un point de bascule, ce moment où son conjoint a changé de comportement. La violence s’est immiscée lorsque le couple se découvre dans la vie physique, qu’Eva rend visite à Rudy. « Il réservait un hôtel pour ma venue, où il me rejoignait. On couchait ensemble, et juste après, il partait. Une fois, je me suis énervée, car on ne laisse pas sa copine dans une chambre d’hôtel. C’est là qu’il m’a frappée pour la première fois. Une grosse gifle. Je suis tombée à terre. Je me souviens de quelques secondes de flou. Puis je me suis relevée, et il m’a de nouveau giflée », retrace la jeune femme.
Après les premiers coups, la culpabilisation perverse de la victime : « Il me disait que c’était de ma faute s’il me frappait, que je l’avais énervé, qu’il n’y avait que moi qui le mettait dans cet état-là, parce qu’il m’aimait ».
Des clichés dangereux et tenaces chez les jeunes
Rudy assure qu’il regrette. Puis un mois plus tard, Yasmine se retrouve à nouveau dans une chambre d’hôtel, sans lui, mais avec deux copains de ce dernier. « Ces garçons se sont assis de chaque côté du lit et ont commencé à me draguer. Je vous laisse imaginer l’ambiance dans la chambre. J’avais l’impression de leur devoir des faveurs sexuelles. J’ai appelé mon conjoint pour qu’il revienne. Lorsqu’il a réapparu, ses amis sont sortis. »
Cela m’a réveillée. Je lui ai demandé comment on pouvait ‘faire l’amour’ puisque j’avais un tampon. Il m’a répondu qu’il l’avait déjà retiré. Je n’ai pas réalisé sur le moment que c’était un viol.
Encore sous le choc, apeurée par ce qu’elle vient de vivre, Yasmine lui lance qu’il n’aurait pas dû lui infliger ça. Et lui donne une gifle. « Après mon geste, on s’est battus. Il m’assenait des coups de poings comme s’il était face à un homme. J’essayais de me débattre en mettant des coups de pieds. Ça a duré trois ou quatre minutes. De longues minutes, au cours desquelles j’ai encaissé des coups sans interruption. »
Fin janvier 2023, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a publié les résultats de son rapport annuel sur l’état du sexisme en France. Celui-ci alerte d’un « ancrage plus important des clichés masculinistes » chez les jeunes. Parmi les 25-34 ans, 23% des hommes estiment qu’il faut être parfois violent pour se faire respecter. 22% de cette même tranche de la population ne voient pas de problème à ce qu’un homme gifle sa conjointe. « Cinq ans après #MeToo, une partie de la nouvelle génération des hommes se sent fragilisée, parfois en danger, réagit dans l’agressivité, et peut trouver une voix d’expression politiques dans de nouveaux mouvements virilistes et très masculins », pointe le HCE.
Au cours de la discussion, une autre scène resurgit à l’esprit de Yasmine. « Je dormais. ‘Ça’ m’a réveillée. Je lui ai demandé comment on pouvait ‘faire l’amour’ puisque j’avais un tampon. Il m’a répondu qu’il l’avait déjà retiré. Je n’ai pas réalisé sur le moment que c’était un viol. C’est le féminisme qui m’a éduquée au fait que ce n’était pas normal. »
Le traumatisme des jeunes victimes
Yasmine répète que ses lectures féministes, dans lesquelles elle s’est « réfugiée », lui ont « sauvé la vie ». « Grâce à elles, j’ai compris que ce n’était pas de l’amour. Pendant cette relation et longtemps après, je pensais que les violentes disputes faisaient parties de l’amour. Je n’avais aucun modèle à ce niveau. Mes parents ont divorcé lorsque j’avais deux ans et sont en guerre depuis », déplore la jeune femme qui en a aujourd’hui 24.
Comme pour Eva, la rupture n’a pas mis un terme aux violences. Rudy a régulièrement essayé d’entrer en contact avec Yasmine. Sa dernière tentative ? Il y a six mois, soit, sept ans après avoir quitté cette chambre d’hôtel, répétant, furieux, que c’était de la faute de Yasmine s’il était violent. « Ce que j’ai cru, longtemps. Il m’a énormément traumatisée », soupire-t-elle.
Pendant deux ans, la jeune femme s’est « énormément renfermée » sur elle-même, a arrêté de parler à des garçons. « Je n’arrive plus à avoir confiance. Je suis hyper vigilante, avec tout le monde », témoigne à son tour Eva, aux séquelles similaires.
Des violences sous le radar
Eva et Yasmine n’ont pas déposé plainte. « Je ne voulais pas être confrontée de nouveau à lui, et, sous emprise des années encore après la rupture, je ne souhaitais pas non plus qu’il soit mal vu », précise la première, tandis que la seconde confie avoir « l’impression que de nombreuses femmes de [s]a génération ont vécu ce genre de violences ». Elle pense immédiatement à cette amie qui lui a raconté que son partenaire lui avait lancé un cendrier au visage, à une autre frappée par son petit-ami qui n’aimait pas la manière dont elle était vêtue.
« En France, les jeunes femmes de 15 à 25 ans sont les premières victimes de violences sexistes et sexuelles », alerte sur le site de la région Île-de-France Pow’Her, un Lieu d’Accueil et d’Orientation (LAO) unique, dédié à l’accueil des victimes dans cette tranche d’âge, avec ou sans enfant.
Pourtant, les 15-25 ans représentent seulement 10% des bénéficiaires de structures spécialisées ou de droit commun, et en 2020, sur les 97% des femmes qui ont appelé le 39 19 (le numéro national de référence d’écoute téléphonique et d’orientation à destination des femmes victimes de violences), seules 10% étaient âgées de 18 à 25 ans. « Cela reste probablement en deçà du nombre de jeunes femmes victimes de violences dans le couple », commente auprès du CIDJ (Centre d’information et de documentation jeunesse) Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité femmes, qui a créé cette ligne d’écoute.
Maître Elsa Costa-Attal, engagée pour les droits des femmes et la protection de l’enfance, aussi membre de l’antenne des mineurs du Barreau de Paris, s’attèle elle aussi à parler de « violences dans le couple » : l’expression « violences conjugales » évoque une relation installée, un statut marital ou un concubinage, note-t-elle.
Les statistiques sont très certainement inférieures à la réalité, car « il est plus difficile pour les jeunes de prendre conscience du fait qu’ils sont victimes de violences et d’emprise », a-t-elle observé. Plus difficile, du fait de leur jeunesse, d’une part. Il s’agit parfois de leur première expérience, et, comme le témoignage de Yasmine le raconte, ils n’ont pas de point de comparaison. Outre ce facteur de « vulnérabilité », l’avocate spécialiste en relève d’autres, sociétaux.
Les campagnes de sensibilisation aux violences dans le couple ne représentent pas des jeunes, mais des couples installés, souvent avec des enfants en bas âge.
« Les campagnes de sensibilisation aux violences dans le couple ne représentent pas des jeunes, mais des couples plus âgés, qui vivent ensemble, souvent avec des enfants en bas âge, or, il s’agit d’un public tout aussi concerné, sinon plus, car ils sont de plus confrontés à de nouvelles formes de violences en ligne », pointe l’avocate spécialiste.
Et puis, ces campagnes sont souvent axées sur les violences physiques. Il est alors plus compliqué pour le jeune public d’identifier comme de la violence les autres formes de violences qu’il subit. Les violences verbales, psychologiques, parfois économiques… Et sexuelles : « Quand j’interrogeais des jeunes filles, elles n’arrivaient pas à définir si elles étaient ou non pleinement consentantes ou non. Elles se trouvaient dans cette ‘zone grise’, sous pression », explique Maître Elsa Costa-Attal, qui souligne que la notion de consentement devrait être au cœur de l’éducation sexuelle à l’école.
Pensé pour les jeunes victimes par l’association En avant toute(s) – qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles et agit principalement auprès des jeunes -, le centre Hubertine Auclert, les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, et la mairie de la capitale, le « Violentomètre » s’avère être un outil simple, graphique, qui permet de mesurer la toxicité et la dangerosité de la relation.
Signaler ces violences
« Un mineur peut déposer une plainte simple, seule, mais ne pourra saisir seul la justice. Il faudra nécessairement qu’un majeur la saisisse pour lui », informe l’avocate.
Mais il existe d’autres manières de signaler des violences qui sont faites sur un mineur. Alerter la CRIP (cellule départementale de recueil des informations préoccupantes), par exemple, « permet de déclencher une action au civil, par le biais de la procédure de l’assistance éducative ».
Maître Elsa Costa-Attal rappelle que « l’article 40 du Code de procédure pénale pose une obligation de signalement pour tout fonctionnaire qui a connaissance de ces crimes ou délits ». « Le secret professionnel, auquel sont tenues certaines professions, peut être levé dans ces cas graves », complète-t-elle.
De plus, « quiconque qui aurait connaissance de mauvais traitements et violences sur mineurs a le devoir de prévenir les autorités judiciaires », comme il est écrit dans l’article 434-3 de ce même Code.
Ne pas avertir de la situation dangereuse dans laquelle un mineur se trouve est punissable de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, précise l’interviewée. Comme un rappel de notre devoir de ne pas abandonner ces jeunes victimes, de regarder ces violences dans les yeux.
- Violences conjugales : comment la création d’une allocation d’urgence va-t-elle aider les victimes ?
- Pourquoi les victimes de violences sexuelles mettent-elles parfois des années à parler ?
Où trouver de l’aide si vous êtes victimes :
– Quelques numéros :
119 : numéro destiné à tout enfant ou adolescent victime de violence
3919 : numéro d’écoute téléphonique et d’orientation à destination des femmes victimes de violences
3018 : numéro d’écoute des victimes de harcèlement en ligne et de violences numérique
3020 : numéro pour les victimes de harcèlement scolaire et leur famille
– Quelques associations :
En avant toute(s) et son tchat en ligne « Comme on s’aime »
Collectif féministe contre le viol
Collectif France victimes
« Arrêtons les violences » : tchat en ligne sur le site du gouvernement
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