Alors que le film “Le Magnifique” souffle ses cinquante bougies, l’héroïne et complice de Jean-Paul Belmondo nous a ouvert son cœur…
À 78 printemps, la Britannique qui vit surtout à Los Angeles peut se vanter d’avoir tourné avec les plus grands réalisateurs : John Huston, Truffaut, Cukor, Polanski, etc. D’une beauté irréelle, elle peut aussi se targuer d’avoir fait tourner la tête des plus beaux mâles du 7e art : Steve McQueen, Paul Newman, Marcello Mastroianni. Avec un tel CV, certaines auraient affiché une attitude condescendante. Seulement voilà, l’inoxydable Jacqueline Bisset a toujours su se détacher des contingences hollywoodiennes et, grâce à son humour so british, elle occupe une place à part…
Dans La Maison de jade (1988), de Nadine Trintignant, avec Vincent Perez, adaptation du roman éponyme de Madeleine Chapsal – ©DC
France Dimanche : Quels souvenirs gardez-vous du tournage du Magnifique avec Belmondo au sommet de sa forme ?
©DC
Jacqueline Bisset : Je me souviens de Jean-Paul qui était très drôle et toujours partant pour les blagues. Il était fin, ironique et avait le chic pour vous faire rire. C’était un homme charmant et plein de vie. Il avait ce talent, en plus de jouer merveilleusement bien, de vous mettre à l’aise sur un plateau. Quand j’étais avec lui, je me sentais décontractée. Surtout quand je devais jouer en français que je ne maîtrisais pas ! Avant qu’il nous quitte, je l’avais vu à Los Angeles à un déjeuner au consulat de France. Puis je l’ai croisé également à la première de A Star Is Born. C’était très chouette de se retrouver. Ce qui m’avait marquée, c’est que malgré le poids des ans et son état de santé, il avait toujours ce sourire de gosse aux lèvres et les yeux pétillants de vie !
FD : Mais vous parlez très bien le français pourtant…
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JB : Ma mère avait des origines françaises mais j’ai été élevée en Angleterre. Je n’ai pas parlé français avant l’âge de 28 ans. J’ai passé deux ans dans un lycée français, mais je n’y ai rien appris. J’étais bien trop occupée à m’intéresser aux garçons ! J’avais 16 ans et je débarquais dans un lycée mixte. Venant d’un établissement de jeunes filles, je vous laisse imaginer le choc !
“Jean-Paul était toujours en ébullition, prêt à déconner ! Parfois, ça dégénérait.”
FD : Vous jouiez deux rôles dans Le Magnifique, cela signifie que vous avez été doublement payée ?
JB : Dans mes rêves, oui ! (Rires). C’est vrai, je jouais deux rôles, tout comme Jean-Paul. Une première pour moi. J’interprétais une sorte de James Bond girl sophistiquée et une étudiante en jeans et t-shirt. Je préférais ce dernier rôle car je passais moins de temps au maquillage ! Jean-Paul était au top de sa forme. Il était entouré de tous ses amis, mais aussi de son maquilleur, de son coiffeur, etc. Une vraie cour. Il était surtout toujours en ébullition et toujours prêt à déconner. Parfois, ça dégénérait. Il n’était pas rare que des chambres soient ravagées ou que, vêtus d’habits de grands couturiers, nous plongions tout habillés dans la baignoire !
FD : En 1973 sortait aussi sur les grands écrans La Nuit américaine de François Truffaut. Parlez-nous de ce film…
©ZUCCA Pierre
JB : François, c’était un rêve ! J’aimais tellement son travail, sa vision du cinéma. D’ailleurs, c’était le metteur en scène que je connaissais le mieux. Sa filmographie n’avait aucun secret pour moi. Quand il m’a demandé de tourner sous sa direction, j’étais déjà un peu en terrain connu.
FD : Vous attendiez-vous à ce coup de fil ?
JB : Non, c’était une surprise totale. Pour la petite anecdote, mon agence s’était bien gardée de me dire que l’agent de Truffaut l’avait contactée. Il avait demandé des informations me concernant l’année précédente. Apparemment, il m’avait vue danser chez Castel, alors que je séjournais à Paris pour quelques jours seulement. J’étais dans ma chambre d’hôtel et comme je tournais en rond, je me suis dit : « Et si j’allais danser ? ». Il était deux heures du matin ! Le lendemain, vers midi, le garçon de la réception m’informe que quelqu’un essaie de me joindre au téléphone. Franchement, j’ai cru que c’était une blague dans la mesure où personne ne savait que j’étais descendue dans cet établissement. Je prends la communication et me retrouve au téléphone avec Gérard Lebovici, l’agent de Truffaut, qui me demande ce que j’ai pensé du script… Quel script ? Pour moi, c’était un canular.
FD : Comment s’est passée votre rencontre avec Truffaut ?
JB : Quand je l’ai vu la première fois, il était tellement modeste ! Il n’arrêtait pas de s’excuser. Il me disait à quel point il était désolé que mon rôle ne soit pas assez important. À l’époque, je ne parlais pas très bien français, et j’avais peur que cela soit un handicap. Il m’a alors répondu, « Tu sais, tu ne joues pas une Française, tu peux faire des erreurs ! Écorcher des mots, faire des fautes de syntaxe. » Ça m’a totalement libérée. Avec la mort de Truffaut, le monde du cinéma a vraiment perdu quelqu’un de cher. Sa sensibilité était tellement particulière. Il aimait surtout les femmes ! Le Magnifique n’a pas connu aux États-Unis le succès qu’il aurait dû avoir. Par contre, La Nuit américaine a décroché l’Oscar du meilleur film étranger. Ces deux productions françaises ont boosté ma carrière et m’ont rendue populaire en Europe !
“J’ai voulu devenir actrice en découvrant Jeanne Moreau.”
FD : On a le sentiment que vous vous êtes toujours très intéressée au cinéma français ?
JB : Oui, à en devenir accro ! J’ai commencé à m’y intéresser en débarquant au lycée français de Londres. C’est ce qui m’a poussée à vouloir devenir actrice. Notamment en découvrant Jeanne Moreau. Puis j’ai élargi les frontières avec Bergman, Visconti, Fellini, Pasolini. Bergman, c’était un talent immense pour moi, parce que je ne comprenais pas vraiment ce que je regardais ! J’étais fascinée par sa manière de photographier les femmes. Son approche m’attirait complètement. À ce jour, je ne vois pas qui, chez les réalisateurs, a si bien su mettre en beauté les femmes ! Quand il filmait ses actrices, leur peau avait l’air presque translucide, profonde et brillante. Bergman, Truffaut, Rohmer et d’autres ont changé ma vie. J’ai mal pour les jeunes qui, aujourd’hui, ne connaissent pas ces films.
FD : Vous avez tourné avec Steve McQueen, David Niven, Rob Lowe, Paul Newman, Vincent Perez, Ryan O’Neal, Jean-Louis Trintignant… Un homme sexy, c’est quoi pour vous ?
Dans Airport (1970) de George Seaton avec Dean Martin – ©DC
JB : C’est exactement la même chose que pour les femmes ! Sans aller jusqu’à la chemise boutonnée jusqu’en haut, je dois avouer que j’ai du mal avec ces hommes qui laissent leur liquette ouverte jusqu’au plexus ! J’aime les hommes qui savent qu’ils sont irrésistibles, mais qui font croire qu’ils en doutent ! J’aime aussi les hommes qui me respectent, qui redoublent d’attention à mon égard et qui savent vous mettre en avant. J’adore être en couple ! J’ai vécu des passions plus ou moins longues avec des hommes. Trois de sept ans, une de quatre ans et une autre de quatorze ans, et je les ai toutes vécues à fond.
“Je ne me suis jamais fait tirer la peau, ni botoxer !”
FD : Vous avez joué dans Nip/Tuck. Avez-vous été tentée par la chirurgie esthétique ?
JB : Non ! Je ne me suis jamais fait tirer la peau, ni botoxer. Je suis une femme qui aime l’authenticité. Je n’ai même jamais mis les pieds chez une esthéticienne, alors un chirurgien, vous n’y pensez pas ! Je suis convaincue d’être bien partie pour ressembler à une vieille hippie et cela ne me pose aucun problème !
FD : Quel est votre secret pour rester toujours aussi ravissante ?
Dans Au-dessus du volcan (1984) de John Huston – ©DUHAMEL François
JB : La danse a toujours été ma passion. Je cours aussi sur des tapis roulants et je fais des exercices d’assouplissement qui ne me procurent absolument aucun plaisir. Je me demande d’ailleurs pourquoi je continue ! Le seul avantage que je trouve avec le tapis roulant, c’est qu’il m’a permis de découvrir le monde de la télé-réalité. Bizarrement, les gloussements constants des femmes de The Real Housewives of Beverly Hills me motivent ! Comme elles parlent fort, je peux entendre ce qu’elles racontent. Si je regarde un programme plus « feutré », je n’entends rien.
“Je me suis occupée de ma mère souffrant de sclérose en plaques pendant 40 ans.”
FD : Il paraît que vous avez beaucoup soutenu votre mère quand elle était malade…
JB : J’ai passé quarante ans à m’occuper d’elle, donc ça a été un sacré voyage, si je peux m’exprimer ainsi. Elle est tombée malade quand j’avais environ 15 ans et elle est morte quand elle en avait 86. Donc, je pense qu’elle avait 47 ans quand ça lui est arrivé. Elle souffrait d’une sclérose en plaques disséminée sur tout son corps, en plus d’une démence précoce. J’ai traversé avec elle toutes ces étapes. J’ai parfois voulu jeter l’éponge car c’était très dur, très difficile, mais ça m’a appris la chance d’être en bonne santé et je ne le regrette vraiment pas.
FD : Quel rapport avez-vous avec les réseaux sociaux ?
JB : Il m’a fallu du temps pour me résoudre à mettre mon profil sur Facebook, et maintenant je ne sais pas trop quoi en faire. Je n’avais pas l’intention d’en créer un, mais beaucoup de gens m’ont incitée à le créer en me signalant que des personnes se faisaient passer pour moi. Cela dit, je trouve qu’ils ont beaucoup plus de talent que moi pour me mettre en valeur ! En conséquence, j’ai développé une sorte de complexe « technologique » !
Propos recueillis par Franck ROUSSEAU, notre correspondant à Los Angeles
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