L’album s’appelle Bach, tout simplement. Pour la première fois, le guitariste classique français Thibault Cauvin s’attaque à un compositeur qui l’a longtemps effrayé. En jouant Bach, le musicien débordant d’énergie, qui passe sa vie à courir aux quatre coins du monde, a voulu exprimer un sentiment nouveau pour lui, la sérénité. Cette musique, il l’a voulue universelle et accessible, souhaitant l’offrir à tout le monde. Elaborée et simple à la fois, claire et sans effets, sous ses doigts la musique semble couler de source.
C’est sur la célèbre Toccata et fugue en ré mineur BWV 565 que s’ouvre le disque paru chez Sony Classical. Les notes résonnent, pures et puissantes. Cette pièce majestueuse a été composée pour orgue. A l’écouter jouée par Thibault Cauvin, on dirait pourtant qu’elle a été écrite pour la guitare.
La Chaconne, « un océan dans l’océan »
Thibault Cauvin se décrit comme hyperactif. A 20 ans, il avait remporté 36 prix internationaux dont 13 premiers prix. Depuis plus de 15 ans, il court le monde de New York à Shanghai, offrant un millier de concerts solo dans 120 pays, enregistrant une dizaine d’albums. Et puis, récemment, il découvre un nouveau sentiment, la sérénité. « Depuis quelque temps je découvre avec bonheur et délectation un début de ce sentiment. » Quand il fait un disque, ce n’est pas une musique particulière qui le guide, dit-il, « c’est un sentiment, un rêve, une histoire que j’ai envie de raconter. Ensuite, je trouve les musiques qui servent cet état ». Là, il a « eu envie de faire un disque qui reflète ce nouveau sentiment, qui invite à la paix, à la douceur et à la sérénité ». « Et la musique de Bach s’est imposée à moi », dit-il.
« Je joue Bach depuis petit mais ça n’a jamais été par choix, c’était toujours pour des examens au conservatoire. C’était un monument, je me sentais tout petit. » Pour Thibault Cauvin, Bach c’est comme l’océan sur lequel il aime tant surfer : ça fascine et ça effraie en même temps. « C’est extraordinaire, tu as l’impression de partir pour une transatlantique en solitaire. Tu sais que tu vas vivre des moments grandioses mais tu as toujours un peu peur. »
Il décide donc de jouer Bach, sans savoir quelles œuvres précisément. « La deuxième chose qui s’est imposée à moi, c’est la Chaconne, cette pièce de 15 minutes qui est comme l’océan dans l’océan. Elle est tellement grandiose qu’elle est souvent isolée », du reste de la Partita 1 pour violon, remarque-t-il. C’est donc l’ensemble des cinq mouvements qu’il nous offre. C’est autour d’elle qu’il a construit le disque. Quarante minutes de bonheur, où Bach semble nous emmener toujours plus loin, sur des chemins inattendus.
Jouer Bach à perdre la notion du temps
Quand il s’est replongé dans cette musique, Thibault Cauvin s’y est étourdi, perdant la notion du temps, à en oublier les rendez-vous. « C’est magique, ça m’a procuré des effets que je n’avais jamais vécus avant. »
« Il y a un côté très intellectuel, savant et génial dans cette musique mais il y a aussi un côté très simple et universel, comme un coucher de soleil », estime-t-il. « Et qui que tu sois, où que tu sois, si tu t’assieds, que tu coupes ton portable et que tu t’offres dix minutes à regarder, tu es émerveillé. » Pour lui, la musique de Bach, c’est la même chose. Il a voulu l’offrir à tous, il a l’espoir de toucher tout le monde : « Un grand amateur de toujours qui connaît les partitions par cœur, une fille de 17 ans fan de punk ou un de mes potes surfeurs… Je crois qu’en écoutant la musique de Bach, n’importe qui a les larmes aux yeux. »
« Même moi, je suis un fils de rocker au départ et quand j’étais petit, je me disais que Bach ce n’était pas pour moi. Mais en fait c’est pour les mecs des cités, c’est pour les skateurs, les agriculteurs, les banquiers, les architectes, c’est pour tout le monde. »
Jour et nuit dans une petite chapelle de Dordogne
Ces partitions, bien sûr, Bach ne les a pas écrites pour la guitare, il fallait les réarranger et Thibault Cauvin l’a fait lui-même. C’est la simplicité que le virtuose qu’on connaît a recherchée. « Quand j’avais 20 ans, je voulais impressionner. Et là c’est tout l’inverse. Je voulais qu’à aucun moment on ne se dise que ça a l’air dur. Je voulais qu’on oublie la guitare. Je voulais que ça paraisse hyper fluide. Quand j’ai repris cette pièce pour violon, je voulais que ça sonne naturel à la guitare. Bien sûr ce n’est pas simple mais je ne voulais pas qu’on l’entende. Alors je n’ai pas hésité à changer des choses, à enlever une petite note qu’on n’entend pas vraiment et qui fait plus perdre que gagner. Et puis très souvent, il y a des mouvements qui sont joués hyper vite. Je ne le sentais pas comme ça. Il y a des passages rapides bien sûr mais j’ai privilégié le fait de ne pas jouer trop vite. »
Le résultat, c’est que, effectivement, la musique a l’air de couler de source, c’est limpide et ample. « Et aussi quelque chose de très important, je ne voulais pas jouer fort », dit Thibault Cauvin. « En concert, je vais chercher les gens un peu comme un rocker, j’y mets toute mon énergie. Là je voulais un son accueillant et doux. Comme une grand-mère qui raconte une histoire. J’ai enregistré au casque, et je mettais le son très fort, pour essayer de jouer comme on chuchote à l’oreille. »
L’enregistrement, il l’a fait en Dordogne, près de l’endroit où il passait ses vacances de petit garçon, chez sa grand-mère justement. Pour « retrouver la sagesse de l’enfance, quand on marche dans un champ et qu’on ne se pose pas de questions ». Un ami lui a montré une toute petite chapelle, dans un petit village. Il a commencé à y jouer et le son l’a séduit. Il y est revenu quelques semaines plus tard pour enregistrer. « J’ai joué Bach jour et nuit pendant une semaine dans cette chapelle, à nouveau à perdre la notion du temps. Avec Cécile Lenoir, la réalisatrice du disque, qui a fait un son somptueux, qui m’a guidé. C’était fabuleux, on jouait à la bougie à trois heures du matin. Je me rappellerai toute ma vie cet enregistrement. Il y avait 14 micros. C’est ce que j’aime, un mélange entre l’artisanat, le côté magique de ce son somptueux créé on ne sait pas trop par quoi, par la pierre centenaire, le bois des chaises. Et ces 14 micros ultramodernes. »
Bach autrement
Guitariste classique, Thibault Cauvin a toujours une oreille tournée vers les musiques actuelles, qui l’ont bercé toute son enfance. Son père Philippe Cauvin, qui lui a mis une guitare entre les mains alors qu’il était tout petit, est un « rocker ». Il a collaboré avec de nombreux artistes, d’Erik Truffaz à Matthieu Chedid, dans son disque Cities II (Sony Music, 2018), il a repris des musiques de films dans son avant-dernier album (Films, Sony Music, 2021) : « Je revendique toujours le fait d’être un trentenaire d’aujourd’hui », dit-il.
Alors, dans cet album dédié à Bach, « je n’ai pas pu faire autrement qu’être rattrapé par moi-même », s’amuse-t-il. Il a souhaité y inclure une parenthèse plus actuelle, parce qu’il pense que « l’âge d’or de la guitare c’est aujourd’hui ». Pour lui, « les luthiers et les interprètes n’ont jamais été aussi bons, les compositeurs n’ont jamais été aussi nourris de l’éclectisme de notre instrument ». Alors il a demandé à son frère Jordan Cauvin de « recomposer » trois préludes de Bach.
« Je travaille énormément avec mon frère, j’adore, on est en osmose totale. » Mais celui-ci a refusé catégoriquement le projet. « C’est absolument impossible, on ne recompose pas la musique de Bach », lui a-t-il rétorqué, lui raccrochant au nez quand il insistait. Après une nouvelle tentative, Thibault Cauvin n’a plus eu de nouvelles. « Et puis deux mois après, il m’envoie trois partitions que je trouve vraiment sublimes. D’habitude il y a un jeu de ping-pong entre nous. Mais là c’était parfait, je n’ai pas changé une note. »
Les trois partitions rebaptisées Bach autrement sont inspirées de morceaux très connus pour ne pas dire populaires, le premier (BWV 846) et le dixième (BWV 855a) préludes du Clavecin bien tempéré, et le prélude de la première suite pour violoncelle (BWV 1007). Sur une pièce l’harmonie est conservée avec une ambiance rythmique différente, sur une autre, un chant a été ajouté… A priori, on pourrait avoir des doutes. Et ça fonctionne très bien. Ce qui confirme l’universalité de Bach, qu’on peut s’approprier à l’infini.
« En plus, ce n’est pas difficile à jouer », dit Thibault Cauvin, qui pense aux guitaristes amateurs passionnés pour qui elles sont, selon lui, accessibles : « C’est beau et c’est agréable à jouer », se réjouit-il, alors que Bach est réputé difficile à jouer à la guitare.
En concert au Châtelet le 8 mars, au studio des Champs-Elysées en décembre
Pour célébrer ses vingt ans de carrière – »mes vingt ans de promenade »-, préfère-t-il dire, Thibault Cauvin est au Théâtre du Châtelet le 8 mars, pour un concert exceptionnel qu’il a produit lui-même. Un « rêve de toute une vie » qui se réalise, pour le « petit gars de la banlieue de Bordeaux », comme il se qualifie, toujours émerveillé par Paris. Au programme, il jouera Bach avant de nous emmener en voyage vers diverses musiques qui comptent pour lui. Sur scène il aura la visite du guitariste électrique Yarol Poupaud, de la trompettiste Lucienne Renaudin Vary, de la danseuse Olivia Lindon, et puis d’autres invités surprise. « Mon rêve, c’est que cette soirée marque, qu’on s’en rappelle tous. » A l’heure où ces lignes sont écrites, c’est quasi complet, il ne reste que quelques places à visibilité réduite.
Thibault Cauvin, « BACH », Sony Music.
Thibault Cauvin sera au Studio des Champs-Elysées pour jouer Bach (Thibault Cauvin, Bach intimiste) avec une série de concerts les mardis 5, 12 et 19 décembre.
En puis aussi le 11 mars à Chamalières, le 26 à Verdun, le 28 à Limoges, le 29 à Saint-Rémy-de-Provence, le 30 à La Garde, le 31 à Berre-l’Etang.
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