Les discours féministes qui ont marqué les César

Jouer dans un film engagé, être récompensé·e pour ce rôle, engagé, et alors, prononcer un discours… engagé.

C’est l’exemple de Léa Drucker, César de la meilleure actrice en 2019 pour son rôle d’une femme victime de violences conjugales dans le thriller Jusqu’à la garde, qui a livré un discours salutaire, de soutien aux femmes violentées, aux associations qui les aident, et aux féministes qui lui ont donné la conscience de ces violences systémiques et sexistes, et plus généralement des inégalités femmes-hommes.

C’est encore l’exemple d’Anamaria Vartolomei, lauréate en 2022 du César du Meilleur Espoir Féminin pour son rôle L’Événement, adaptation sur Toile du roman autobiographie d’Annie Ernaux, sur l’avortement. Évidemment, la jeune actrice rendra hommage à l’icône féministe de génération en génération et son œuvre engagée.

Retour sur quelques prises de parole marquantes, qui ont pointé le sexisme ou dénoncé le manque de représentativité dans l’industrie du septième art, même si, le discours féministe certainement le plus engagé de l’histoire de cette grande messe ne comportait que deux mots : « La honte ! ». Comment fouiller dans ces archives sans évoquer Adèle Haenel ? 

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Léa Drucker dédie son César de la meilleure actrice aux femmes victimes de violences et aux féministes

Dans la caméra de Xavier Legrand, Léa Drucker a incarné Miriam Besson, une femme menacée, qui accuse son ex-époux de violences et réclame la garde exclusive de leur fils.

Pour ce rôle poignant dans Jusqu’à la garde, l’actrice s’est vu remettre des mains de son ami Guillaume Gallienne le César de la meilleure actrice en 2019. Premier César de sa carrière et même, première nomination, pour cette bouleversante comédienne. 

En larmes, la lauréate a tenu à rendre hommage aux femmes victimes de violences.

« Je voudrais dédier cette récompense à toutes les Miriam, toutes ces femmes qui ne sont pas dans une fiction, qui sont dans cette tragique réalité. Je pense à toutes celles qui sont parties, celles qui veulent partir, celles qui ne partiront pas, celles qui auraient dû partir. Je pense à elles, je pense à toutes les personnes qui les accompagnent : leur famille, leur entourage, les associations qui ont trop peu de moyens et qu’il faut aider, souligne-t-elle. Je crois que la violence commence par les mots. Je pense à tous ces mots qu’on utilise parfois tous les jours. On croit qu’ils sont ordinaires, on croit qu’ils sont banals. On les utilise sous couvert d’humour, parfois par des effets de groupe. On ne se rend pas compte que ces mots-là sont déjà le début d’une menace et que… »

Léa Drucker reprend son souffle, s’excuse d’avoir du mal à trouver ses mots parce qu’elle est « émue », comme elle le confie. Puis poursuit, son discours engagé, important : « Je crois que ces mots-là sont aussi le reflet d’une pensée et d’une idéologie peut-être dont on n’a pas tout à fait conscience et qu’on doit combattre ensemble, tous, hommes et femmes. »

Je voudrais saluer (…) celles qui écrivent, agissent, prennent la parole et défendent au quotidien la cause des femmes, qui bravent parfois des tempêtes d’insultes et d’agressivité en tous genres.

L’actrice a conclu en partageant toute sa reconnaissance envers les artistes et militantes féministes, qui ont enrichi sa réflexion et provoqué son engagement. « Je voudrais juste saluer toutes les femmes, toutes les féministes, celles qui écrivent, agissent, prennent la parole et défendent au quotidien la cause des femmes, qui bravent parfois des tempêtes d’insultes et d’agressivité en tous genres et je voudrais les remercier parce qu’elles m’ont permises, en m’éveillant, d’être la femme que je suis aujourd’hui. Merci infiniment. »

Ce soir-là, ce thriller dramatique a décroché quatre statuettes. Le record de cette 44e cérémonie.

L’hommage à Annie Ernaux d’Anamaria Vartolomei, Meilleur Espoir Féminin pour "L’Événement"

C’est elle, qui incarne formidablement Annie Ernaux, dans une adaptation sur Toile puissante et viscérale de son roman autobiographique L’Évènement, odyssée intime d’une jeune femme forcée d’avorter clandestinement dans la France des sixties.

C’est elle, aussi, dans la peau de ce personnage, qui apparaît sur la couverture du livre format poche, après que L’Évènement ait bouleversé les salles obscures.

En 2022, Anamaria Vartolomei remporte le César du Meilleur Espoir Féminin pour ce rôle engagé. La jeune actrice s’avance sur scène, statuette en main, pour prononcer un touchant discours. Les mots sont choisis, les silences aussi. La chute, dédiée à deux artistes féministes : Annie Ernaux, et Audrey Diwan, qui a réalisé ce drame qui a décroché le Lion d’Or à la Mostra de Venise.

Vos lectures nous ont bousculées, questionnées, émues. Moi, elles m’ont grandies, nourries.

Face à la salle remplie, Anamaria Vartolomei s’adresse directement à la grande écrivaine. Se montre reconnaissante pour les réflexions engagées qu’elle lui a transmise au travers de son œuvre.

« J’ai une pensée pour Annie Ernaux, bien sûr. Je vous remercie, Annie, d’avoir partagé avec nous votre vie, vos souvenirs. Vos lectures nous ont bousculées, questionnées, émues. Moi, elles m’ont grandies, nourries. Et Anne [le personnage qu’elle incarne dans l’évènement, ndlr] m’a changée. » 

Puis la lauréate se tourne vers Audrey Diwan, « sa plus belle rencontre de cinéma » présente dans la salle et bouleversée, avec quelques mots emplis de sororité.

« Ce film nous a révélées toutes les deux. Ton talent, le mien, guidé par le tien, par ton regard si juste, si rare, ton exigence, ta bienveillance. Je te le dois et te remercie, énormément. »

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Le discours de Sandrine Kiberlain, saluant une "année symbolique de la parole libérée"

De cette 45e cérémonie des César, on se souvient surtout de sa chute. Le César de la meilleure réalisation adressée à Roman Polanski pour J’accuse, et le départ précipité de la salle de Céline Sciamma, Noémie Merlant et Adèle Haenel. « La honte ! La honte ! », s’écrie cette dernière, alors que le cinéaste, poursuivi depuis 1977 aux États-Unis pour le viol de Samantha Gailey, et accusé par onze femmes de violences sexuelles, pour la majorité mineures à l’époque des faits présumés, vient d’être récompensé.

La soirée sous tension avait débuté par un discours de la présidente de 45ème édition, Sandrine Kiberlain, mal à l’aise avec les douze nominations du film de celui qui a toujours nié être coupable.

« Depuis des semaines, je reçois, comme Florence, beaucoup de témoignages d’empathie et d’encouragements, un peu comme si j’allais à l’abattoir. Mais trêve de plaisanteries, je suis extrêmement heureuse, extrêmement touchée d’être la présidente de cette 45e cérémonie des César : la dernière d’une époque et la première du début d’une autre », introduit l’actrice et réalisatrice.

Je souligne que cette année est symbolique de la parole libérée, de ces voix courageuses qui se sont élevées, et qui feront que nos enfants, j’espère, ne subiront plus jamais l’intolérable.

Qui poursuit : « Je ne me sens absolument pas légitime pour dresser la liste de ce qui pourrait changer les choses, mais je souligne que cette année est symbolique de la parole libérée, de ces voix courageuses qui se sont élevées, et qui feront que nos enfants, j’espère, ne subiront plus jamais l’intolérable. »

« Symbolique aussi parce que j’ai été élevée avec cette phrase qui m’est devenue si familière, et qui l’est peut-être aussi pour vous : ‘Derrière chaque grand homme se cache une grande femme’, cite-t-elle. Et je sais que cette année est symbolique, parce que la bataille continue plus que jamais pour que les grandes femmes soient aux côtés de grands hommes. »

Sandrine Kiberlain convoque alors Victor Hugo : « Une moitié de l’espèce est hors de l’égalité. Il faut l’y faire entrer, donner pour contrepoids aux droits de l’homme, les droits de la femme ». Cette citation « ne date pas d’hier », elle est pourtant très actuelle, déplore la comédienne, qui achève son discours par une note d’espoir. « L’art a toujours été le meilleur porte-parole de mouvements, de changements, parfois même le symbole d’une révolution. (…) Et j’ai surtout confiance dans la nouvelle génération et dans les films. »

Avant de quitter la scène, Sandrine Kiberlain rend hommage à son « amie », la cinéaste féministe Agnès Varda. Icône de la deuxième vague, illustration d’un mouvement de passionnés engagés, qui « a su faire bouger les choses ».

Le discours de Jeanne Balibar sur l’absence de femmes de plus de 40 ans à l’écran

Les discours inoubliables sont souvent ceux des lauréat·es, parfois ceux des remettant·es. En 2021, lors de la 46e cérémonie des César présentée par Marina Foïs, Jeanne Balibar annonçait la gagnante dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle. 

Avant quoi, l’actrice, qui avait décroché trois ans auparavant le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Barbara, a prononcé un discours engagé.

Je suis vraiment très heureuse que vous soyez nommées, car quand je vois qui vous êtes, statistiquement, ce n’était pas gagné.

« Bonsoir très chères actrices qui êtes nommées dans cette catégorie. Je suis vraiment très heureuse que vous soyez nommées, car quand je vois qui vous êtes, statistiquement, ce n’était pas gagné », débute-t-elle, s’adressant Fanny Ardant, Valeria Bruni Tedeschi, Émilie Dequenne, Noémie Lvovsky et Yolande Moreau, en lice et présentes dans la salle. 

« En France, les femmes de plus de 40 ans représentent 51% de la population, et 8% des rôles. 8% des rôles ! Pas du temps de présence à l’écran ! Là, on doit être à peu près à 2 ou 2,5% », rapporte Jeanne Balibar. Même si, selon l’INSEE, les femmes de plus de 40 ans représentent 28% de la population française, et que, ces 8% que la comédienne avancent correspondent en fait au pourcentage de femmes de plus de 50 ans – et non 40 – présentes à l’écran, d’après les données de l’association professionnelle des Actrices et Acteurs de France Associés citées par France Info, la disparition des femmes devant la caméra après un certain âge est un sujet de représentation capital, qu’il était nécessaire et courageux de poser lors de cette grande réunion des professionnels du secteur.

Les actrices de 40 ans et plus auraient « dépassé le stade de denrées périssables », tandis que les « hommes se bonifient d’année en année », ironisent Jeanne Balibar. D’après elle, seules deux femmes de ces âges-là seraient visibles dans l’espace public d’après l’actrice : « Muriel Pénicaud et Élisabeth Borne », Ministres du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion de France l’unes après l’autre.

Une transition toute trouvée pour celle qui s’apprête à dénoncer la réforme du chômage. « Ce qui est dommage, car elles ne sont pas représentatives de ce que l’on sait des femmes après 30 ans, qui s’occupent essentiellement de prendre soin des enfants, des malades, des personnes âgées, des autres de la société. Tandis que ces deux-là, par exemple, très visibles, s’occupent de détruire chaque jour un peu plus, la société en trouvant que c’est une bonne idée, justement, là, maintenant, de faire une réforme du chômage. »

Un positionnement politique ? Un hommage à toutes les femmes invisibles de notre société.

Le discours déchirant d’Annie Girardot, délaissée par le cinéma français

Et le discours d’Annie Girardot en 1996, sans nul doute l’un des plus célèbres et émouvant de l’histoire de cette cérémonie, illustre cet effacement des femmes des écrans dès lors un certain âge atteint.

Le 3 février de cette année-là, après une décennie loin des plateaux de tournage, Annie Girardot, 65 ans, se voit décerner le César de la meilleure actrice dans un second rôle, pour son personnage dans Les misérables de Claude Lelouch.

Icône des années 70, mais perçue depuis longtemps déjà comme une actrice dépassée, trop âgée, par certains professionnels de cette industrie, Annie Girardot peine à réaliser qu’elle vient de décrocher le premier César de sa carrière, alors même qu’elle semblait avoir perdu espoir de la relancer.

En larmes, la comédienne regrettée prononce cette phrase qui secoue la salle, fait pleurer Juliette Binoche, et demeure dans les esprits presque trente ans plus tard. « Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français mais à moi le cinéma français a manqué follement, éperdument, douloureusement ».

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