Daniel Zimmermann, tromboniste de jazz, revisite Serge Gainsbourg dans un album instrumental : "J’ai tout fait pour me démarquer de Gainsbourg, en le respectant"

Daniel Zimmermann, 49 ans, est l’un des trombonistes de jazz les plus brillants et attachants de la scène française des musiques actuelles. Depuis une vingtaine d’années, le natif de Châtenay-Malabry, qui a tourné aux côtés de Claude Nougaro, Manu Dibango et Tony Allen parmi d’innombrables artistes, a collaboré au fil du temps avec des musiciens comme l’accordéoniste Vincent Peirani avec lequel il a formé un trio, mais aussi Thomas de Pourquery pour un groupe à l’esprit rock, DPZ. Ces dernières années, on l’aura vu jouer au sein de formations comme le Sacre du Tympan, l’Orchestre national de jazz ou dans le groupe du contrebassiste Jacques Vidal.

Entre-temps, en 2013, Daniel Zimmermann a lancé sa propre carrière, en maître de ses projets artistiques, avec Bone Machine qui lui a valu une nomination aux Victoires du jazz, la première pour un tromboniste. Sur scène, son talent d’improvisateur et son humour pince-sans-rire font merveille. En novembre 2022, Daniel Zimmermann a sorti son quatrième album, consacré à une icône de la chanson française, Serge Gainsbourg. L’Homme à tête de chou in Uruguay (Label bleu), contraction de deux titres de chansons, a été enregistré avec un excellent groupe – qui a officié sur Montagnes russes (2016), le deuxième album du tromboniste – formé par Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse) et Julien Charlet (batterie).

Avec une intelligence et une créativité étonnantes, Daniel Zimmermann et ses complices nous font redécouvrir neuf chansons datant à peu près des quinze premières années de la carrière de Serge Gainsbourg. Ce programme a été présenté le 1er décembre dernier au Bal Blomet, à Paris, devant un public conquis. Lundi 20 février, le groupe donne un concert gratuit au Centre Pompidou à l’occasion de l’exposition « Serge Gainsbourg, le mot exact », avant d’autres dates. Interview.  


Franceinfo Culture : Comment la musique de Serge Gainsbourg est-elle entrée dans votre vie ?
Daniel Zimmermann : Je l’ai découvert en trois fois. Une première fois quand j’étais adolescent : c’était le Gainsbourg des années 80, une icône rock. Ce n’est pas celui que je préfère mais c’est celui que j’ai aimé quand j’avais 12 ans, en temps réel si j’ose dire, puisque l’album au Casino de Paris [Gainsbourg Live, 1985] venait de sortir. Ensuite, à 14 ans je crois, j’ai découvert Histoire de Melody Nelson (1971) et là, ça a été une grosse claque. Dans la foulée, L’ Homme à tête de chou (1976) évidemment. Et puis, peut-être encore deux ans plus tard, à 16 ans, j’ai découvert le Gainsbourg jazz que l’on trouve dans ses cinq premiers albums et en partie dans le sixième, Gainsbourg Percussions (1964). Là, autant que la musique, c’est le personnage qui m’a fait craquer. Son humour, son dandysme faillible si j’ose dire, cette espèce d’élégance, mais avec une telle fragilité, visible, à fleur de peau… Je trouve touchant le mélange de tout cela.

Avez-vous eu l’occasion de le voir en concert ?
Non. Quand il est mort, j’avais 17 ans, et je n’étais pas fou du dernier album qu’il avait sorti, You’re Under Arrest.

Aujourd’hui, selon votre regard de musicien professionnel, que représente Serge Gainsbourg dans la chanson française, dans la musique et la pop culture ?
Ce qu’il représente médiatiquement m’intéresse peu, personnellement. Si je veux vraiment parler de musique, c’est un mélodiste hors pair qui a su évoluer, s’adapter en fonction des époques. Et c’est un parolier qui avait un sens de la formule inégalable.

Comment avez-vous abordé ce répertoire si particulier ?
J’ai tout fait pour me démarquer de Gainsbourg, en le respectant. Je ne l’ai pas détourné, je ne l’ai pas tourné en dérision, mais je n’ai surtout pas cherché à coller aux originaux. En raison de l’admiration que je porte au Gainsbourg compositeur, j’ai préféré m’en éloigner. J’ai cherché à m’en distinguer et à l’utiliser presque comme un prétexte pour exprimer une personnalité, la mienne et celle de mon groupe.

Avez-vous une façon particulière de jouer du trombone avec ce type de répertoire, de la chanson en l’occurrence ?
J’utilise mon instrument toujours de la même manière, que ce soit sur Gainsbourg, sur des standards de jazz ou sur mes compositions. J’essaye d’être chanteur avec mon instrument. J’essaye d’avoir un débit, une gestion de l’espace et une façon d’enchaîner les idées telle que le discours semble évident, quoi que je dise, aussi évident que quelqu’un qui parle.

Le travail sur les arrangements a-t-il été facile ou compliqué ?
C’est venu spontanément en fonction des idées. Je crois que je suis plus compositeur qu’arrangeur. Et quand je prends un instrument pour écrire de la musique, je ne peux pas m’empêcher de réécrire des choses. J’ai plus recomposé qu’arrangé. Le premier morceau de l’album est emblématique de ma démarche : c’est une espèce de mashup considérablement retravaillé de deux chansons de Gainsbourg, L’Homme à la tête de chou pour les harmonies et S.S. in Uruguay pour la mélodie.

Comment avez-vous choisi les chansons ? Elles datent toutes des années 60 et 70. Était-ce un choix par goût ? Ou plutôt selon ce que vous pouviez en faire ?
Exactement. Empiriquement, j’ai tout essayé. Il y a bien une ligne de basse de « Gainsbarre » dans des albums reggae… Mais en fait, plus Gainsbourg avance, moins il chante et plus il parle. Comme je joue d’un instrument mélodique et que je n’ai pas les textes, il s’est avéré assez vite que ce qui marchait le mieux, c’était les morceaux où il y avait le plus de matière mélodique. Après, la matière mélodique, cela peut être aussi une ligne de basse, ou un principe de composition comme le bourdon de Bonnie and Clyde. Mais globalement, j’ai essayé de chanter les mélodies au trombone et j’ai vu ce qui passait bien.

Quelques mots sur le groupe qui vous entoure, avec qui vous avez déjà travaillé…
Le groupe, c’est celui de l’album Montagnes russes de 2016, un album avec lequel j’ai énormément tourné. On s’entend extrêmement bien. Il y a une complémentarité absolument parfaite. C’est le groupe le plus évident pour jouer la musique que j’écris. Julien Charlet joue de la batterie exactement comme je l’entends, par exemple. On est super rodés, et cet acquis d’une centaine de concerts nous a permis d’enregistrer un disque. Cela n’avait pas été le cas pour Montagnes russes qui avait été enregistré avant qu’on tourne.

Vous avez un invité de marque sur le disque, le trompettiste Erik Truffaz.
Il me fallait un invité sur le disque. Bonnie and Clyde, c’est un dialogue. J’ai repris ce principe. J’ai fait beaucoup de quintettes avec des saxophonistes avec lesquels j’ai eu des relations musicales assez fortes, comme Thomas de Pourquery, Éric Séva, ou aussi Pierrick Pedron avec qui je joue depuis quinze ans dans les groupes du contrebassiste Jacques Vidal. Mais là, en réfléchissant à un invité, et alors que j’écrivais, j’ai pensé assez vite à une trompette. Truffaz était la personne idéale. Il connaissait très bien Julien Charlet qui est un de ses vieux amis. Et lui aussi, depuis toujours, il fait une musique très influencée par le rock et les musiques actuelles. Je l’ai beaucoup écouté notamment quand j’étais jeune, j’aime comment il joue. En plus, je savais que c’était quelqu’un de profondément sympathique, de pas précieux. C’est un gentleman, c’est le terme qui lui va le mieux. On a essayé et ça a très bien collé, ce qui n’était pas une surprise.

Est-ce que vous avez un arrangement dont vous êtes particulièrement fier sur ce disque ?
Je suis assez content de tout le disque. Mais j’aime beaucoup l’arrangement de New York – U.S.A., c’est une idée simple et très forte. C’est le premier arrangement que j’ai écrit avant d’avoir l’idée de monter le projet. Je l’avais en réserve depuis longtemps.

Quel bilan tirez-vous de ce travail sur le répertoire d’un autre artiste ?
Je suis content car je ne savais pas du tout si ça allait marcher. Ce qui compte, c’est de trouver une inspiration. Et pour moi, ce n’est pas dans la technique ou dans l’arrangement. J’en déduis qu’il y a moyen de le faire dans d’autres exercices que la composition.

Daniel Zimmermann en concert avec « L’Homme à tête de chou in Uruguay »
Lundi 20 février 2023 à Paris, Centre Pompidou, Petite Salle, 20H (accès libre)
Mardi 14 mars à Amiens, Maison de la Culture, 20H30
> L’agenda-concert de Daniel Zimmermann

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