Quand l’intime devient universel… Dans Chers grands-parents (Albin Michel), à paraître ce 22 février 2023, la journaliste Nathalie Levy interroge une trentaine de personnalités sur le grand-parent qui a été un repère dans leur vie. Réflexions inspirantes sur l’amour intergénérationnel.
« Une petite seconde, je m’isole dans ma cabine ! » La symbolique foetale de ces quelques mots échangés en guise d’introduction nous fait sourire, a posteriori. Mercredi 8 février. Nathalie Levy, la voix off de l’émission En aparthé, sur Canal+, s’entretient avec nous au téléphone, entre deux enregistrements. La journaliste, qui, depuis 2021, poursuit chaque soir un dialogue intime, souvent émouvant, toujours éclairant avec une personnalité, aborde l’inversion des rôles, avec le souci du mot juste, du sentiment vrai. Le repli dans les souvenirs, elle le sait, est une exposition. On devine la fillette attentive, appliquée, soucieuse de ne pas décevoir, qu’elle fut. Ce 22 février, elle publie Chers grands-parents, chez Albin Michel. Un livre d’entretiens avec trente-sept célébrités sur l’aïeul, grand-père ou grand-mère, qui les a marqués. Trente-sept échanges très personnels – en raison du sexe, de l’âge, de la culture familiale de l’interviewé – mais très universels aussi, au final. Si les parents donnent la vie, bien des grands-parents savent la rendre plus douce ou plus exaltante.
Nathalie Levy, elle, a grandi dans la lumière, les parfums, les mots et les gestes d’amour de Rosine, la mère de sa mère, veuve à 29 ans, sentinelle éducative, mais aussi « rempart » à protéger à la fin de sa vie. La petite-fille a raconté son rôle d’aidant dans un premier livre, Courage au cœur et sac au dos (Editions du Rocher), leitmotiv de sa grand-mère. Rosine est décédée à l’âge de 99 ans, en novembre 2021. Son visage illumine encore le portable de Nathalie. Celle-ci évoque un pêle-mêle d’autres photos – « mon mausolée » – chez elle. Les souvenirs sont vivaces. Le manque est surtout physique.
Elle s’étonne des réserves que son nouveau livre sur le grand âge a inspiré dans son entourage. A croire qu’il faudrait que les vieux meurent deux fois, qu’on les enterre et qu’on les oublie. « Raconter les cheveux blancs, les rides, les mains qui tremblent, c’est, pour moi, raconter l’amour fondateur, la complicité et la transmission entre générations dans une société en perte de repères, comme l’a prouvé la crise du Covid », plaide la journaliste, qui a élevé Faustine, sa fille de 10 ans, en même temps qu’elle prenait soin de Rosine. Au gré de ses rencontres, elle a tendu l’ouïe, constaté que son sentiment était partagé. Les rétifs et les pudiques, par crainte de ne pas intéresser ou d’en dire trop, sont redevenus des petits-enfants.
L’émotion affleure souvent dans Chers grands-parents. Marc Lavoine qui se revit comme « le prolongement » de sa grand-mère Louise, aveugle ; Anggun, qui prend conscience d’avoir réalisé les rêves d’émancipation et de voyages de sa grand-mère Eyang, mère de douze enfants ; Amir, qui constate combien Esther, sa « Mamie Michael Jackson« , a souffert du grand confinement de 2020 ; Joyce Jonathan, qui regrette de ne pas avoir rendu plus souvent visite à son papy Jacob dans sa maison de retraite ou encore de ne pas avoir « le réflexe » de se recueillir au cimetière… Chers grands-parents ressemble à un grand puzzle, où chacun peut retrouver sa part manquante.
Yannick Noah, les visites de Simon Papa Tara
« Mon titre Simon Papa Tara , que tout le monde reprenait en choeur à l’époque de sa sortie, en 2000, n’est rien d’autre que l’histoire de mon grand-père. Cet homme était un notable de Yaoundé qui a fait la guerre pour la France. Pendant son passage ici, il s’est lié d’amitié avec un avocat de Saint-Germain-en-Laye qui lui a promis qu’il pourrait accueillir ses garçons – mon grand-père avait sept filles et deux garçons – si un jour ils voulaient venir suivre des études en France. Papa est donc venu quelques années plus tard étudier avec son frère au lycée Sainte-Barbe de Saint-Germain-en-Laye, logeant chez les Patrelle, chez le frère de Papa Tara. (…) Mais quand il est rentré au Cameroun, stoppant net sa carrière de footballeur, avec dans ses bagages une femme blanche et par-dessus tout enceinte… l’accueil réservé à Maman n’a pas été très bon : on n’épouse pas une femme blanche, au Cameroun ! Les choses ont changé quand je suis né: j’étais le premier garçon, qu’on avait appelé Simon – c’est mon deuxième prénom –, premier descendant Noah de ma génération. De ce jour-là, Maman a été acceptée, et moi le bienvenu : en tant que Simon, je serais plus tard la réincarnation de mon grand-père. Et ça, c’était très important. Quand on m’a raconté ça – que j’étais la réincarnation de mon grand-père, que je deviendrai le chef du village à mon tour parce que j’étais le premier petit-fils -, j’avais six ou huit ans et ça me passait au-dessus de la tête… (…) Pour moi, c’était comme un jeu, mais je savais combien c’était important pour lui. Et il ajoutait généralement : « Tu sais, même après la mort, je serai toujours avec toi. » Il est décédé en 1984, d’un accident en marge d’un coup d’Etat avorté (…) Avec mes premiers sous, je me suis acheté une maison dans l’Essonne. Un matin, à l’aube, je suis réveillé en sursaut par mes deux bergers allemands qui aboient à la mort. (…) Dans le lit, à côté de moi, dort ma compagne Erika, mais je me dis : « Il y a quelqu’un dans la chambre, c’est sûr ! » Je me redresse et sans pouvoir l’expliquer, j’ai le sentiment d’un moment de grâce. Et là, j’entends mon grand-père me dire : « Yannicko ! Ca va ? Tu sais que je suis toujours avec toi, n’est-ce pas ? Comme je t’avais dit, continue de t’occuper de la famille… » (…) Quand j’ai appelé mon père pour lui raconter ça, il m’a dit : « Ca fait longtemps que je vois que tu es sceptique, et je ne voulais pas t’en parler mais il vient très souvent. Je suis content qu’il t’ait rendu visite. (…) Je crois que ça m’a permis d’être conscient que les applaudissements, la reconnaissance, qui comblaient en moi une sorte de manque affectif, un jour, ça s’arrête, et ce jour-là, il faut continuer d’avancer. (…) Et qui reste ? Ta famille ! Ce « combat », je l’ai remporté grâce à mon héritage familial.»
Sylvie Vartan, les adieux impossibles à Robert
« Mon enfance en Bulgarie, sous la dictature stalinienne, est présente, en permanence.(…) Comme beaucoup d’autres, nous vivions à l’époque avec mes grands-parents. Cela ne se fait plus. (…) Quand j’ai des soucis, que je traverse des problèmes, je me revois toujours dans ce jardin à la tranquillité absolue, avec mon grand-père toujours très élégant (…) Il n’avait eu qu’un fils ; moi, la fille attendue, j’étais évidemment gâtée, aimée plus qu’il ne faut (…) Je l’entends encore me chanter Le soleil a rendez-vous avec la lune de Charles Trénet, en français, alors qu’il ne nous parlait qu’en bulgare. (…) Mon père avait déjà effectué des démarches pour partir, parce que, au plus fort du rideau de fer, la milice patrouillait tout le temps, Staline était placardé partout (…) Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à mon grand-père, parce que tout s’est fait dans une grande fébrilité (…) Quand le train a quitté la gare, que j’ai vu disparaître l’image de mon grand-père, c’était horrible. C’est là que tout a basculé, en fait : l’enfance est partie, elle est restée avec lui sur le quai. Plus tard, mes parents ont enregistré des demandes pour essayer de faire venir mes grands-parents en France, mais mon grand-père est mort avant. (…) J’ai chanté là-bas. Ca a été le concert le plus bouleversant de ma vie, les moments les plus forts que j’aie partagés avec le public: tout le monde pleurait, et moi avec. J’ai retrouvé une Bulgarie dans l’état où on l’avait laissée. (…) Ce concert m’a permis de retrouver les lieux de mon enfance, de revoir la maison de mon grand-père et de me recueillir sur sa tombe. (…) Je me dis que ses soucis, ses angoisses, doivent être apaisés si mon grand-père voit combien j’ai été privilégiée et gâtée par la vie et combien ma passion m’apporte toujours autant d’équilibre et de bonheur. (…) Comme je suis quelqu’un de croyant et de mystique, je veux croire que de leurs nuages, là-haut, mes grands-parents se disent : « Nous sommes contents qu’elle soit comme elle est, et de lui avoir montré la meilleure façon de faire les choses dans sa vie chaotique ! » »
Patrick Bruel, des racines et Elie
« (Mon grand-père Elie) a toujours été trés présent, parce que je vivais uniquement avec la famille de ma mère (…) La présence référente était incarnée surtout par mon grand-père, en raison de son caractère, de son autorité, de son passé et de ses convictions politiques et sociales : Juif laïc, franc-maçon, homme de gauche, adjoint à la mairie de Tlemcen… Je l’ai connu assez longtemps pour qu’il me transmette pas mal de choses (…) Mais ce que j’aimais avec mon grand-père, surtout, c’étaient ses souvenirs, l’Algérie… Je voulais qu’il me raconte son Algérie. Et il m’a transmis quelque chose d’assez joli, c’est de n’avoir aucune soif de revanche, aucun ressentiment, ce qui n’est pas toujours le cas des gens d’Afrique du Nord qui ont été rapatriés. (…) En 1991, j’avais prévu un concert là-bas et je voulais emmener ma famille. Mon grand-père, lui, ne voulait pas. Il semblait gêné qu’on y retourne… Je pense qu’il avait peur pour moi. Et il n’avait pas forcément tort. A l’époque, la situation était très tendue et on m’a fait comprendre que ce n’était pas le moment pour moi et je n’y suis pas allé. (…) Mon grand-père avait un oeil très tendre sur mon parcours. Il m’avait dit une chose très jolie, un jour, après m’avoir vu chanter à la télé, une de mes premières fois : « Quand tu regardes dans la caméra, il faut que tu chantes comme si tu parlais à une personne, c’est très important. Adresse-toi à moi quand tu chantes ta chanson. » (…) Quel malin, Elie, d’avoir compris qu’individualiser était universaliser. »
Sabrina Ouazani, à l’école des femmes avec Mamie
« Mes quatre grands-parents sont aujourd’hui décédés, mais ils étaient encore là pendant mon enfance ; côté paternel en Algérie, côté maternel dans le Var. Malheureusement, pour des broutilles familiales, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de les connaître. (…) Heureusement, mon amie Faeza, que je considère comme ma soeur, est très proche de sa grand-mère qui habite à Saint-Denis : elle me l’a présentée il y a quatorze ans, et depuis, pour moi aussi, c’est Mamie ! (…) Je me suis prise d’affection et d’amour pour cette mamie d’adoption ; on ne s’est jamais lâchées depuis qu’on s’est rencontrées. Je lui passe des petits coups de fil, je vais la voir dès que je peux et lui fais quelques courses quand elle en a besoin. (…) J’ai été fiancée à son petit-fils, Yasmine, qui était acteur et qui est décédé en 2009. (…) Tout le monde pensait que le rapport que j’avais avec sa grand-mère allait s’étioler avec le temps, mais il est devenu carrément fusionnel. (…) Elle m’appelle « ma fille » et me présente toujours comme sa « petite-fille » : mon coeur se serre à chaque fois qu’elle le dit, ça me met en joie ! C’est comme une sorte d’amour et de fierté mélangés. Notre lien est si profond que je ne me vois pas vivre sans elle ! Je n’ose même pas penser au jour où elle partira… (…) Je passe tous les 24 décembre dans ma famille, mais à 22 heures, je m’éclipse pour aller voir ma grand-mère et finir la soirée à ses côtés. Il n’y a pas un seul Noël où je ne vais pas chez elle. Impossible ! (…) On a choisi de s’aimer. »
Crédits photos : Collection personnelle Patrick Bruel
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