Victoires de la musique 2023 : rencontre croisée avec les pétillantes Emma Peters et November Ultra, nommées pour la Révélation féminine de l'année

Autour d’un café, deux des trois nommées aux Victoires de la musique 2023 pour la Révélation féminine de l’année, November Ultra et Emma Peters, sont loin de se comporter comme des concurrentes. Emma Peters est à l’heure pour la rencontre et a déjà terminé son thé en attendant November Ultra. Elle rajoute machinalement de l’eau dans son thé pour le prolonger en ajoutant plusieurs cuillérées de miel. November Ultra surgit tout de rose vêtue et câline Emma en la saluant. Elle lance : « Alors on commence ?« 

franceinfo Culture : Vous faites partie de cette nouvelle génération d’artistes qui se fait connaître sur les réseaux sociaux. Vous avez commencé avec des reprises, Emma Peters avec votre chaîne YouTube et November Ultra sur Instagram. Avez-vous anticipé votre popularité et espéré faire de la musique votre vie ?

November Ultra : Beaucoup de gens nous ont découvert comme ça. 

Emma Peters : Alors moi pas du tout. November, tu avais déjà ton petit groupe avant, donc c’était déjà ton projet. 

November Ultra : Je faisais déjà de la musique professionnellement depuis 2013. J’avais un groupe et on s’est séparés en 2018. Ensuite, j’ai sorti Soft & Tender en 2020 en travaillant toujours en même temps sur mon album. Les reprises sont arrivées surtout avec le confinement et les concerts me manquaient terriblement. J’adore chanter toute la journée et c’est à ce moment-là que je me suis mise à TikTok. Au début j’étais juste là pour regarder des vidéos de chat, ou de gens qui faisaient du pain et ça me déstressait. Au bout de plusieurs mois j’ai fait ma première vidéo, mais ça n’a pas pris avant l’acoustique de Miel alors que j’avais déjà sorti des chansons personnelles. La notoriété, je ne pensais pas que c’était possible pour moi. J’ai commencé à 24 ans, c’était mon rêve. Maintenant tous les jours je me réveille et je me dis que c’est quand même dingue. 

Est-ce qu’il y a eu un avant et un après les réseaux sociaux ?  

November Ultra : Quand j’ai sorti Soft & Tender, on m’a dit que comme c’était une chanson en anglais, ça ne passerait pas trop pour la radio en France. Avant je faisais de la musique en indépendante, je sortais mes morceaux, je faisais mes clips. Et puis d’un coup, un morceau devient un peu viral, Come Into My Arms, et ça fait la différence. La musique c’est fou, tu la sors et c’est les gens qui s’en imprègnent et d’autres artistes te reprennent. Les réseaux sociaux m’ont offert une indépendance et je pense que c’est la même chose pour Emma. Ce sont des endroits où les gens te découvrent, veulent venir à tes concerts. Que l’industrie musicale veuille que l’on fasse de la musique ou pas, ce sont les gens qui décident.    

Emma Peters : On n’a pas vraiment les mêmes débuts avec November. Moi, je faisais beaucoup de musique en famille avec mes frères et sœurs. J’avais très peur de me filmer et de chanter devant les gens. C’est ma sœur qui a ouvert une chaîne YouTube pour qu’on puisse faire des vidéos ensemble. D’ailleurs c’est toujours elle qui a les codes de ma chaîne YouTube et qui reçoit les notifications. J’ai sorti une reprise de Trop Beau de Lompal qui a marché très vite. Je me souviens avoir appelé ma mère le lendemain en disant « mais j’ai 1000 vues, c’est impossible, il doit y avoir un piratage ». A l’époque j’avais 200 abonnés, je n’avais jamais fait ces chiffres-là. Petit à petit, ça a grimpé pour atteindre des millions de vues. 

J’ai fini par faires des reprises tous les dimanches. J’adore le rap français donc j’en faisais beaucoup. J’étais la petite blonde qui disait des trucs un peu trash à la guitare avec une petite voix donc ça passait mieux. Finalement, j’ai récupéré tous les gens qui crachaient sur le rap et qui pensaient que c’était seulement vulgaire. Ils l’écoutaient à travers moi. Les rappeurs un peu durs qui avaient envie de s’adoucir m’écoutaient aussi. J’ai trouvé un public très éclectique, de tous les âges et c’est comme ça que la chaîne YouTube a commencé à grandir. J’ai écrit des chansons beaucoup plus tard, je me disais qu’à force de faire des reprises j’étais incapable d’écrire des chansons. 

Est-ce que la reprise est le passage obligé aujourd’hui pour se faire connaître et se révéler en tant qu’artiste ? 

Emma Peters : Je ne pense pas parce que November postait déjà ses morceaux originaux sur les réseaux sociaux. Après, on se retrouve toujours à chantonner des chansons qu’on adore. On fait des reprises sans le faire exprès. 

November Ultra : Les reprises, c’est comme mettre la veste de quelqu’un d’autre. Tu te rends mieux compte de l’agencement des mots.  

Emma Peters : Moi ça me permettait surtout de chanter des trucs que je n’assumais pas de dire moi-même.  

November Ultra : Ah ouais ? 

Emma Peters : C’était parfait parce que je pouvais dire des trucs ultra trash que je pensais énormément et dire par la suite “ce n’est pas moi qui l’ai écrit, c’est quelqu’un d’autre”. Ça a été un autre processus dans ma tête de me dire maintenant, il faut que je j’assume mes propres mots. Il y a deux ans, je pensais que je ne pouvais pas écrire de chansons, donc, c’est encore très frais. 

November Ultra : C’est fou, c’était tes premières chansons. She’s good.  

Comment vivez-vous le fait d’être artiste aujourd’hui ? Peut-on rester complètement soi-même ?  

Emma Peters : Je pense que j’ai une petite carapace. Je reste proche de qui je suis mais on est un peu obligés de se protéger avec les gens qui sont assez énergivores. 

November Ultra : On est comme vous dans la vie de tous les jours. Parfois tu es apte à recevoir, d’autres jours pas du tout, parce que ça ne va pas ou que tu es fatigué. Je trouve que je suis très proche de qui je suis au fond, mais par exemple j’ai choisi d’avoir un autre prénom. Je tiens beaucoup au fait qu’on m’appelle Nova et pas du tout par mon prénom de naissance. 

Emma Peters : C’est quoi ton prénom d’ailleurs ?  

November Ultra : I’m not going to say it, that’s the all point (Je ne vais pas le dire, c’est tout l’intérêt). Ça me permet d’avoir une relation très saine avec moi-même. Ce que je suis là c’est totalement la personne que je suis dans la vraie vie. J’ai vraiment écrit, co-produit et arrangé tout mon album Bedroom Walls dans ma chambre. Il y a eu un truc avec ma chambre qui a été très fort. Je me dis que s’il n’y a pas un dernier endroit qui m’appartient, ça va être compliqué de me réénergiser, de me recharger quand j’en ai besoin. Quand j’ai rencontré Emma, je ne me suis pas dit que c’était une autre personne. 

Emma Peters : De toute façon j’ai un gros souci de transparence. Je mens très mal. 

November Ultra : C’est fatiguant de mentir, en vrai. 

Emma Peters : Moi c’est vraiment la même personne, c’est mon vrai nom, mon vrai prénom. Je suis très proche de ma famille, j’ai grandi à la ferme donc j’ai un côté très terre à terre. 

November Ultra : Ils sont sur la cover de ton album je crois. 

Emma Peters : Oui, mes frères et sœurs.  

Quels sont les combats principaux que vous portez dans vos musiques ?  

November Ultra : Franchement, la tendresse. Ça fait bisounours de le dire, mais je pense qu’on a tous très peur et qu’on est de plus en plus divisés. On a peur de l’autre, peur de l’avenir, peur de mourir. Je me suis rendue compte que parfois on est tellement fatigués de tout ce qu’il y a autour, qu’il faut juste un moment où on se sent bien et protégé. Les concerts sont aussi des bulles pour les gens. On ne se rend pas toujours compte de la portée de nos morceaux. Dans mon titre Miel, je dis que je ne veux pas me marier ni avoir d’enfants et ça peut avoir une résonance chez beaucoup de personnes. 

Emma Peters : Quelqu’un l’a utilisé pour son mariage non ? C’est trop drôle parce que les gens en font ce qu’ils veulent.  

November Ultra : D’autres m’ont dit que c’était sur l’avortement, alors que pas forcément. Je pense qu’il faut déstigmatiser des thèmes comme l’anxiété ou le fait d’aller voir un psy. 

Emma Peters : De mon côté c’est plus ce que j’essaye de ne pas renier. A chaque fois que je fais des interviews, il y a toujours un journaliste qui me dit « vous êtes une femme blonde, blanche, vous dites des gros mots et vous parlez de cul”. Au début, je censurais ces mots là et ça ne marchait pas du tout. J’écrivais des chansons, mais il ne se passait rien. Quand j’ai compris que je pouvais parler dans mes chansons comme je parle dans la vie, j’étais plus libre. Ce n’est pas de la vulgarité, je suis très bien éduquée. C’est le genre de questions qu’on ne poserait jamais à un homme, jamais à un rappeur. 

Qu’est-ce que ça fait d’être nommées aux Victoires de la musique ?  

Emma Peters : Je suis super contente et fière. Ça va très vite, je me suis demandé si j’étais à la bonne place, si je faisais les bons choix. Être nommée, c’est une sorte de validation des professionnels du métier et c’est la classe. 

November Ultra : Toutes les trois avec Mentissa on s’est appelées.  

Emma Peters : On a fait une petite rencontre dans un parc en décembre, on a pris un café. 

November Ultra : J’ai été heureuse pendant 30 minutes et puis j’ai stressé de passer en direct à la télé. Je n’ai jamais fait ça avant. Avec les filles on s’est tout de suite dit que le nom était déjà dans l’enveloppe, et qu’on allait juste kiffer et se donner de la force.  

Emma Peters : Moi je voulais juste être fière de ma performance et n’avoir aucun regret, parce que les images risquent de tourner sur Twitter. On ne peut être nommée qu’une seule fois Révélation de l’année, donc gagner c’est sympa c’est comme ramener la coupe à la maison.  

November Ultra : Au pire moi j’habite vraiment en bas des Victoires de la musique, donc quand je rentrerai, je la vole et je commande une pizza.  

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