C’est une nouvelle qui fait tache d’huile alors que la fashion week de Milan commence le 22 février 2023 prochain.
Stella Jean, créatrice de mode qui a longtemps été la seule femme noire à présenter des collections en Europe (elle est aujourd’hui rejointe par Bianca Saunders et Grace Wales Bonner, ndlr) et la seule personne noire à défiler en Italie vient d’annoncer son retrait du calendrier de la mode milanais.
En cause : l’annonce de la part de la Camera della Moda Italiana (la chambre de la mode italienne) de l’arrêt du soutien qu’elle portait jusqu’alors à WAMI, le collectif de designers noirs et italiens qu’elle a co-créé aux côtés du designer afro-américain Edward Buchanan et de l’entrepreneuse Michelle Ngonmo.
À la fashion week de Milan, le défilé Stella Jean annulé
Stella Jean a donc annoncé, via l’agence AP, ce mercredi 8 février 2023 son retrait de l’institution et par là même, l’annulation de son défilé tout en dénonçant le manque d’engagement réel concernant les questions de diversité et d’inclusion de la Camera della Moda Italiana (CMI).
Celle qui avait été célébrée pour son grand retour en septembre dernier, a également entamé une grève de la faim pour s’assurer que son retrait n’engendrera pas de représailles envers les designers de We Are Made in Italy (WAMI).
Si l’acte peut sembler extrême, les personnes présentent lors de son défilé pour le printemps-été 2023 se souviendront du discours passionné qui clôturait le show et dans lequel elle évoquait notamment les menaces qui avaient été proférées contre sa famille pour la dissuader de poursuivre son engagement d’une mode plus représentative de la société italienne.
« Cette mesure, certes extrême, découle du fait que j’ai entendu plusieurs voix du collectif s’inquiéter des répercussions « douces » ou « dures », y compris la difficulté à obtenir des financements et des services de la part de sponsors et de partenaires, compte tenu du pouvoir que vous détenez en tant que président de la chambre de l’industrie », a-t-elle écrit dans une lettre destinée à Carlo Capasa, le président de la CMI.
La créatrice italienne argue que la chambre de la mode italienne a drastiquement réduit son soutien auprès du collectif en trois ans d’existence. Et si WAMI était censé donner le coup d’envoi de cette fashion week automne-hiver 2023, ce manque de soutien financier les empêche de présenter leur collection dans des conditions acceptables.
Selon Michelle Ngonmo, fondatrice de l’Afro Fashion Week Milano, il était impossible pour le collectif de réunir les 20 000 euros que le défilé – qui présente à chaque fois 5 designers – aurait coûté sans soutien financier de la chambre. Si celle-ci avait d’ailleurs accompagné les deux premiers défilés du collectif, celui de septembre n’a vu le jour que grâce à des dons effectués par des personnes alliées et les fonds personnels de Stella Jean, Edward Buchanan et Michelle Ngonmo.
« Peut-être que le message est que toute l’industrie doit ouvrir les yeux et se demander ce qu’elle peut faire pour que les choses changent réellement ? », a d’ailleurs déclaré cette dernière à l’AP Press.
La diversité et l’inclusion dans la mode : la fin du mirage ?
L’annonce de Stella Jean met en lumière une certaine dissonance au sein de l’industrie de la mode concernant les questions de diversité et d’inclusion.
Loin des beaux discours qui annonçaient vouloir mettre en place de véritables changements, pour une meilleure inclusion comprenant les questions de corps, les appartenances « raciales » et les « genres », la réalité semble tout autre comme le démontre le cas italien.
Carlo Capasa, président de la Camera della Moda Italiana, assure que l’institution qu’il représente continue de soutenir la cause de la diversité raciale. « Dans le calendrier que nous présentons aujourd’hui, vous verrez tout ce que nous faisons pour les personnes de couleur qui travaillent en Italie », a-t-il déclaré à AP.
Il faut dire aussi, qu’en apparence, il peut s’appuyer sur l’apparition de nouveaux directeurs artistiques dans le calendriers, certains ayant pris la tête de maison de mode italienne majeures à l’instar du designer philippo-américain Rhuigi Villaseñor chez Bally, de l’afro-caraïbéen Maximilian Davis chez Ferragamo, ou encore du designer nigérian et britannique Iniye Tokyo James du label Tokyo James.
C’est d’ailleurs la présence de ces mêmes designers qui avait convaincu Stella Jean de revenir aux podiums en septembre dernier après qu’elle ait annoncé, des suites de la résurgence du mouvement Black Lives Matter en 2020, ne plus présenter de défilés tant qu’elle serait la seule personne noire sur le calendrier de mode milanais.
« Ils ont utilisé WAMI comme un laissez-passer, un sauf-conduit, pour prétendre à plus de diversité », a déclaré Stella Jean, arguant la fatigue qu’engendre cette « lutte continuelle » pour la reconnaissance des créateurs de mode racisés en Italie.
« Je suis une combattante par nature, mais je ne peux pas être comme ça tout le temps », a-t-elle ajouté.
Loin d’être un aveu d’échec, le départ de Stella Jean de la Camera della Moda fait l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière et réanime un débat qui semble interminable.
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