"Astérix et Obélix" : de Zidane à Zlatan, comment les sportifs sont tombés dans la marmite cinématographique

« Je sais que tu es bon au foot. Mais avec ta gueule, tu ferais mieux de faire du cinéma. » Jean-François Larios, vedette du football français dans les années 1980, avoue dansL’Equipequ’il regrette de ne pas avoir suivi le conseil du roi Pelé. A l’époque, l’adaptation cinématographique des aventures d’Astérix n’était qu’un projet sur des étagères, mais peut-être que le milieu de terrain des Bleus aurait pu y jouer un rôle.

Car le petit Gaulois attire les stars internationales du sport. DansAstérix & Obélix : L’Empire du milieu, qui sort en salles mercredi 1er février, on retrouvele nageur français Florent Manaudou et le footballeur suédois Zlatan Ibrahimovic. Avant eux, Amélie Mauresmo, Zinédine Zidane, Tony Parker, le kick-boxeur Jérôme Le Banner et Michael Schumacher s’étaient frottés au village des irréductibles, dans Astérix aux Jeux olympiques. Un mélange des genres souvent intéressé, mais qui correspond aussi à l’esprit de la bande dessinée.

L’héritage d’Uderzo et Goscinny

Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter aux origines de la BD. « Albert Uderzo est un très bon caricaturiste et René Goscinny est très influencé par l’humour du dessinateur américain Harvey Kurtzman, qui parodie les personnalités », rappelle Jean-Paul Gabilliet, professeur à l’université de Bordeaux 3 et spécialiste de l’histoire de la bande dessinée. Les premières aventures des Gaulois sont d’ailleurs publiées dans le magazine Pilote, « une revue en contact avec la vie quotidienne, influencée par les journaux et la télévision ».

Très vite, les deux papas d’Astérix caricaturent des personnalités emblématiques de l’époque. L’acteur Charles Laughton et le dessinateur Jean Graton font une apparition dans le deuxième album, La Serpe d’or. Puis c’est au tour des acteurs Sean Connery, Kirk Douglas et Lino Ventura, du cycliste Eddy Merckx, de la chanteuse Annie Cordy, du journaliste Pierre Tchernia, ou encore de Jacques Chirac… « C’est l’héritage des albums d’y retrouver des vedettes, depuis toujours », assure Virgile Caillet, expert en marketing sportif et délégué général de l’Union sport & cycle. Logique, donc, de voir cette tradition désormais transposée sur grand écran.

« Aujourd’hui, c’est compliqué de solliciter des politiques. Alors qui peut-on retrouver [dans les films tirés de la BD] ? Des sportifs. »

à franceinfo

« Ils font partie des influenceurs de l’époque : ils font parler, intéressent la presse, ce sont des marques globales qui dépassent le cadre du sport« , observe Lionel Maltese, professeur de marketing du sport à l’université Aix-Marseille. « Goscinny et Uderzo ont toujours eu des invités surprises dans leurs planches, c’était respecter ces références que de faire appel à des sportifs », confirme auprès de franceinfo Frédéric Forestier, coréalisateur, avec Thomas Langmann, d’Astérix aux Jeux olympiques.

Le physique de l’emploi

« Dans un film qui ambitionne de s’adresser au plus grand nombre, j’ai souhaité réunir le maximum de figures populaires qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma, justifie de son côté Guillaume Canet, dans l’édition de février du magazine Première. L’idée était de créer des rendez-vous kiffants, qui soient plus que de simples clins d’œil. » Pour incarner Antivirus, « le centurion préféré de Jules César « , le réalisateur cherche ainsi quelqu’un « avec de la prestance et de l’arrogance », détaille-t-il dansLe Journal du Dimanche(article réservé aux abonnés). Il se tourne alors vers une ancienne star du PSG : Zlatan Ibrahimovic.

« Zlatan incarne un modèle héroïque, un imaginaire qui permet de s’identifier. Ce personnage fait écho à sa personnalité sportive », étaye Thomas Bauer, maître de conférences à l’université de Limoges, spécialiste du sport et de la fiction.  Et pour le rôle du professeur de gym au physique de dieu grec, Tabascos, dont Marion « Cléopâtre » Cotillard tombe amoureuse ? Guillaume Canet embauche tout naturellement Florent Manaudou.

« Dans la culture de la bande dessinée, le corps joue un rôle très important, notamment chez Astérix. Les sportifs y ont donc toute leur place d’un point de vue plastique. »

à franceinfo

C’est d’ailleurs en voyant le kick-boxeur Jérôme Le Banner arriver en toge romaine pour un combat que Thomas Langmann, alors en pleine production d’Astérix aux Jeux olympiques, lui propose le rôle de Claudius Cornedurus, athlète romain adversaire des Gaulois. « Je lui avais dit que la figuration ne m’intéressait pas, raconte Jérôme Le Banner à franceinfo. Puis j’ai passé des essais avec ‘Mr Gérard’ [Depardieu] et Clovis Cornillac, et c’était parti pour six mois de tournage en Espagne. Ça a été une belle cour de récréation. »

Si Jérôme Le Banner a eu droit à un rôle plus conséquent dans la troisième adaptation des aventures d’Astérix, les autres sportifs présents sur ce tournage n’étaient, eux, là que pour quelques jours. « Thomas Langmann adore avoir des guests dans les films, on voulait les faire apparaître durant le banquet final », retrace son coréalisateur, Frédéric Forestier. Le producteur avait visé le haut du panier, la crème de la crème : le meilleur footballeur français, Zinédine Zidane, le meilleur basketteur français, Tony Parker, la meilleure tenniswoman française, Amélie Mauresmo, et, cerise sur le gâteau, le meilleur pilote de F1 de la planète, Michael Schumacher.

En tournage, voguent les galères

Du très beau monde pour un vrai casse-tête. « Ça a été très compliqué, glisse Frédéric Forestier. La séquence du banquet a été tournée sur trois mois. » Les agendas respectifs de ces stars du sport a même contraint la réalisation et la production à modifier la fin du long-métrage.

« La scène du banquet devait être le générique, mais elle était tellement longue qu’on l’a intégrée au film. Ils étaient tous venus, ça aurait été dommage de la couper. »

à franceinfo

Engager des sportifs requiert de la souplesse. « Le calendrier et les risques de blessures sont les plus gros problèmes, pointe Virgile Caillet, expert en marketing sportif. On ne peut pas leur faire faire n’importe quoi et ils ont des fenêtres de tir très restreintes. » En 2006, année de tournage d’Astérix aux Jeux olympiques, « Zizou » est ainsi en plein Mondial, Mauresmo bataille à Wimbledon et « Schumi » joue des coudes sur les circuits de F1.

La présence de Jérôme Le Banner sur le ring est aussi très demandée. « On m’avait proposé un super combat au Japon pendant le tournage, mais la production a refusé que j’y participe par peur des cicatrices, raconte-t-il. Il a fallu qu’Alain Delon mette la pression, en disant qu’‘un boxeur, ça boxe’, pour que je puisse y aller. »

Une armada d’assistants est censée gérer les agendas des sportifs et, dans le ciel espagnol d’Alicante, c’est un « festival de jets », s’amuse Frédéric Forestier. « Ce n’était pas très écolo, ni très discret, alors que Schumacher avait demandé qu’on ne révèle pas sa présence sur le tournage. Mais il était le premier à atterrir avec son avion privé rouge vif et son nom écrit en gros sur la carlingue », sourit-il. Malgré les caprices de la météo, le pilote allemand arrive à mettre en boîte la course de chars. « Heureusement qu’il y avait les effets spéciaux et les fonds verts », se rappelle Frédéric Forestier.

Guillaume Canet a également connu ce genre de frayeurs avec Zlatan Ibrahimovic, qui s’est blessé la veille d’un jour de tournage. « Je reçois un message où il me dit : ‘Hey boss, je ne peux pas venir’. Mauvaise nouvelle : on avait 500 figurants qui devaient être là avec lui », retrace le réalisateur, dans l’émission « C à vous » de France 5. « Il est finalement venu et m’a dit : ‘Je donne une heure’. »

Zlatan sur les traces de Lino Ventura ?

Même s’ils ont l’habitude d’être épiés par le moindre objectif et de s’exprimer face aux micros des journalistes, ces géants du sport n’en mènent pas forcément large sur un plateau de tournage. Sous sa perruque de Numérodix, Zinédine Zidane a heureusement pu compter sur « la présence de Jamel Debbouze », se remémore Frédéric Forestier. « Il avait de l’autodérision. (…) Il s’est détendu et a oublié la caméra », explique le réalisateur. Jérôme Le Banner, lui, se souvient encore de « la prestance » d’Alain Delon et « de la terre qui s’arrêtait de tourner » quand il jouait. 

« Les sportifs sont comme des enfants qui débarquent dans un univers qui n’est pas le leur, ils regardent ça avec des grands yeux. Tu peux leur demander à peu près n’importe quoi, ça les fait marrer. »

à franceinfo

Mais ces petits rôles ne sont pas seulement un clin d’œil à la BD. « Ces caméos sont rentables pour les deux parties : le sportif cultive son image et le film peut attirer d’autres publics », analyse le spécialiste du sport et de la fiction Thomas Bauer. « Ces rôles très courts peuvent servir de produits d’appel pour le long-métrage », abonde Lionel Maltese. Encore faut-il que les sportifs y trouvent leur compte. « Ils ont de l’autodérision, mais j’imagine que les agents lisent scrupuleusement les scénarios qu’on leur propose. Les rôles doivent correspondre à l’image des sportifs et ne pas leur être préjudiciables », tempère Virgile Caillet.

Ces sportifs ne viennent, en revanche, pas chercher fortune dans ces escapades cinématographiques. « Ils n’étaient pas là pour faire du pognon », soutient Frédéric Forestier, assurant que certains cachets ont été reversés à des associations. Pour son rôle plus conséquent, Jérôme Le Banner avait dû mettre entre parenthèses sa carrière de boxeur. « Six mois de tournage, c’était deux combats en moins, il y avait donc un manque à gagner qu’il fallait combler », reconnaît-il.

Le kick-boxeur est surtout sorti de cette expérience avec l’envie d’y retourner. Avec une quinzaine de rôles au cinéma et à la télévision, il suit les traces des sportifs qui ont trouvé une nouvelle vocation sur les plateaux : Lino Ventura, Arnold Schwarzenegger, Jean-Paul Belmondo, les frères Cantona ou encore Nicolas Duvauchelle. « Je ne serais pas surpris si Zlatan Ibrahimovic avait des velléités de cinéma », imagine Virgile Caillet, expert en marketing sportif.

Car les athlètes doivent aussi penser à leur deuxième carrière. « Pour ceux qui ont une gueule et un physique, [le cinéma] est une possibilité. Mais c’est difficile de faire oublier sa carrière sportive quand on a été très connu, note Frédéric Forestier. Si on veut s’investir, il faut prendre des cours. » Tomber dans la marmite ne suffit pas toujours.

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