- 20 Minutes prend un peu d’avance sur 2023 et sort sa boule de cristal pour préparer les nécrologies de l’année à venir.
- Désolés pour le spoiler mais, toute la semaine, nous allons vous dévoiler qui va mourir l’année prochaine.
- Aujourd’hui, voici la nécrologie du binge-watching. Paix à son âme
Vous pouvez juger ça malsain ou porte poisse, mais voilà la triste vérité : les rédactions ont l’habitude de préparer des nécrologies de personnalité qui risquent de nous quitter dans les mois à venir. Ne reculant devant rien pour plus de transparence, 20 Minutes a décidé de dévoiler quelques-unes des nécrologies que nous avons mises au frigo pour 2023. Aujourd’hui, nous vous dévoilons la nécrologie du binge-watching.
Plus c’est long, plus c’est bon ! Le binge-watching est mort en 2023 des suites de la multiplication des plateformes de streaming, entouré de ses proches à son domicile de Los Gatos en Californie aux Etats-Unis. Une information confirmée par ses proches de Netflix.
Né à la fin des années 1990, le terme binge-watching est inventé par les fans de séries qui se regroupaient pour regarder plusieurs épisodes à la suite d’un même show télévisé sur des DVD ou des VHS. Littéralement, il signifie « boulimie de visionnage », une expression calquée sur le terme de binge-drinking, le fait d’enchaîner les boissons alcoolisées lors d’une soirée.
Un vrai phénomène de société dans les années 2010
Le binge-watching s’est fait connaître du grand public aux alentours de 2013, notamment grâce au lancement de House of Cards sur Netflix, qui avait alors décidé de mettre en ligne l’intégralité d’une saison, le jour de la sortie. Un choix à contrecourant de la diffusion sur les chaînes traditionnelles. Il a connu dans les années 2010 son heure de gloire et est devenu un véritable phénomène de société conjointement à l’extraordinaire essor de la plateforme de Reed Hastings et à l’émergence d’une sériphilie planétaire.
Fin 2013, Amazon Prime Video a tenté une approche plus mesurée avec des séries comme Alpha House, mettant en ligne trois épisodes lors du lancement, puis un nouvel épisode à un rythme hebdomadaire. Avec la sortie de Transparent en 2015, la plateforme de Jeff Bezos a opté pour le même modèle que Netflix. La plateforme Hulu a essayé un modèle mixte : si Handmaid’s Tale en 2017 a été diffusé à raison d’un épisode par semaine, la quatrième saison de Veronica Mars a été dispo d’un seul coup en 2019.
Même les traditionnelles chaînes de télé ont surfé sur la vague en diffusant trois épisodes inédits d’une même fiction lors d’une même soirée.
Les détracteurs du « binge-watching » contre-attaquent
Son immense popularité, particulièrement auprès des jeunes de 18 à 29 ans, a apporté au binge-watching son lot de détracteurs. Pour les médecins, il s’agit d’une forme d’addiction. Ces derniers rapportent ses effets négatifs dans de nombreuses études : risque d’obésité, d’isolement, de dépression ou encore d’altération de la capacité à se contrôler…
De nombreuses voix se sont élevées en faveur de la bonne vieille diffusion hebdomadaire. En 2017, au lancement de la saison 3 de The Leftovers, le showrunner Damon Lindelof, créateur de Lost et de Watchmen, invitait les critiques de séries à ne pas dévorer toute la saison d’un coup : « Je pratique le binge-watching, je n’ai aucune leçon à donner ! Quand on aime une série, c’est tentant de vouloir savoir tout de suite ce qui va se passer ensuite ! C’est comme avoir une grande pizza en face de soi et d’en manger jusqu’à devenir malade. Vous l’apprécierez plus en la dégustant lentement », expliquait-il alors à 20 Minutes.
« Binge-watcher permet de rester dans l’histoire, mais regarder de façon hebdomadaire permet d’en parler, d’anticiper, de spéculer. Donc, il y a une plus-value », assenait Jeff Rake, le showrunner de Manifest, dans les colonnes de 20 Minutes en 2020.
Dans une étude de 2017 sur les effets du binge-watching, des chercheurs de l’Université de Melbourne montraient que les personnes qui avaient avalé les six épisodes de la série de la BBC The Game en une fois ont conservé moins d’informations sur le long terme que ceux qui avaient apprécié le show sur plusieurs jours ou semaines.
La mise en ligne d’une saison en intégralité, nuit aussi à la pérennité des séries. La sitcom animée pour adultes Tuca & Bertie a été annulée par Netflix en juillet, trois mois après son lancement, alors qu’elle bénéficiait de 98 % d’évaluations positives sur Rotten Tomatoes. Le temps que le bouche-à-oreille fasse son œuvre, son sort était déjà scellé. A l’inverse, des séries comme The Good Place, Succession, Chernobyl ou encore Game of Thrones ont connu un succès progressif.
Le déclin progressif du « binge-watching »
« Game of Thrones est le dernier grand succès d’une “vraie” chaîne, que l’on persiste à regarder au fur et à mesure », s’émouvait Séverine Barthes, maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle, dans les colonnes de 20 minutes au lendemain du final de la série phare de HBO le 19 mai 2019.
Ce succès phénoménal, résultant des bonnes vieilles recettes des chaînes traditionnelles, a inspiré les nouveaux acteurs du marché du streaming, de HBO Max à Paramount + en passant par Lionsgate +. Ceux-ci ont renoncé partiellement au modèle inauguré par Netflix.
Apple TV+ a adopté une approche hybride : trois épisodes puis une diffusion hebdo pour The Morning Show, See ou For All Mankind, tandis que la première saison de Dickinson, destinée aux jeunes, dont six sur dix sont adeptes du visionnage « boulimique » selon Médiamétrie, a été mise en ligne d’un coup.
En 2019, Disney+ a opté pour une stratégie de mise en ligne hebdomadaire avec sa série The Mandalorian. Ce fut un carton pour le show de Jon Favreau. « Ce n’était pas vraiment pour nous différencier des concurrents. Nous avons pris cette décision parce que nous voulions créer des rendez-vous et rapprocher les familles », expliquait alors à 20 Minutes Agnes Chu, directrice générale des contenus Disney+.
Marvel Studios a envisagé un temps de sortir la minisérie WandaVision d’un seul coup, mais s’est repliée sur une diffusion hebdomadaire à la suite du succès de la série « Star Wars ». Début 2021, les abonnés Disney+ ont retrouvé le plaisir d’échafauder des théories autour de la minisérie Marvel pendant neuf semaines. « Les gens veulent faire partie du zeitgeist culturel, ils veulent prendre part aux conversations, une sortie hebdomadaire permet de faire cela », avançait Agnes Chu. Quand Netflix mettait à disposition une saison entière, la hype (bouche-à-oreille, réseaux sociaux, presse…) retombe bien vite après la mise en ligne.
Une série « bingée » et se désabonner
En 2021, les retards de production dus au Covid-19 iont imposé des sorties échelonnées. Les abonnés de la plateforme de Los Gatos ont découvert la série Lupin en deux parties et savouré deux salves de Stranger Things et Ozark. Une première pour la firme de Reed Hastings.
Alors que Netflix a annoncé le 19 avril 2022, pour la première fois, une baisse de son nombre d’abonnés (200.000 au cours sur le premier trimestre 2022), Ted Sarandos, le directeur général de la plateforme, a osé aborder une question jusqu’ici taboue : « Le fractionnement des saisons avait en fait une raison pratique auparavant, à savoir les retards liés au Covid et tous ces projets qui nous ont amenés à fractionner certaines saisons. Mais ce que nous avons découvert, c’est que les fans aiment les deux. Le fait de pouvoir diviser les saisons leur permet d’avoir une expérience de binge vraiment satisfaisante ».
Netflix a dévoilé les saisons 4 de Stranger Things et de Manifest en deux parties. Un modèle à mi-chemin entre le binge-watching et l’échelonnement des épisodes qui permet de contrer une stratégie adoptée par certains consommateurs : un petit mois d’abonnement, une série bingée, et puis s’en vont…
Les concurrents Disney+ (avec ses franchises « Star Wars » et Marvel), Amazon Prime Video (avec Le Seigneur des anneaux : Les Anneaux de pouvoir) et HBO Max (avec House of the Dragon) ne s’y sont pas trompés et ont misé sur la mise en ligne hebdomadaire pour garder le public accroché (et les abonnés captifs) pendant plusieurs semaines.
Autre avantage de la bonne vieille méthode de diffusion hebdomadaire, elle génère des conversations sur les réseaux sociaux. Malgré ses impressionnantes 287 millions d’heures de visionnage en un seul week-end, les tendances Google de recherche autour de la saison 4 de Stranger Things ont montré une poussée de popularité en première semaine, suivie d’une forte diminution des recherches au cours de la deuxième semaine.
En revanche, les statistiques Google autour de la saison 2 d’Euphoria ont présenté une ligne relativement stable au cours des huit semaines de diffusion. Alors que Matt et Ross Duffer préparent la saison 5, il est temps que Stranger Things génère les longues discussions qu’elle mérite. Pour cela, le modèle du binge-watching doit disparaître. Un sujet sur la table à Los Gatos, selon les infos de CNBC.
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