La rencontre d'après minuit avec Pio Marmaï : "Je méprisais un peu le cinéma"

Une rue inanimée d’Aubervilliers, loin du métro. Pas un bar en vue, juste la pluie qui tombe à verse et, sur le trottoir d’en face, un squat borgne où se faufilent des spécimens humains aux intentions incertaines. Il est 23 h 30, Pio Marmaï est à la bourre, garde d’enfant oblige, il a prévenu mais ce serait bien qu’il se pointe.

Il vit avec sa compagne et sa fille à dix minutes d’ici. Désolé, speed, il ouvre la porte de son garage-atelier-salle des fêtes, « Mr Pickles Motorcycles ». Pendant des années, il y faisait de la mécanique et de la soudure, montait et démontait des motos, la nuit, en marge d’une carrière menée sur les chapeaux de roues.

Pio Marmaï, acteur et motard

L’acteur vibrionnant a tourné, à 38 ans, près de trente films, comédies, films d’auteur, productions grand public, une série classieuse – En thérapie. Joué au théâtre le rôle collector de Roberto Zucco dans la pièce de Bernard-Marie Koltès. « Je ne suis pas boulimique mais curieux.  » Il est à l’affiche de Tempête, mélo de Christian Dugay en salle le 21 décembre 2022, en jockey de trot attelé. « Je voulais faire des cascades sans doublure.  »

Elle a roulé enceinte jusqu’à six mois de grossesse. C’était une figure, ma mère.

Pio Marmaï affirme qu’être populaire n’est pas son moteur. « J’en ai absolument rien à foutre.  » Il sort de huit mois de tournage des Trois mousquetaires de Martin Bourboulon, dont la sortie est prévue le 5 avril 2023 , où il jouait un Porthos convivial et physique. Sur mesure.

Dans son garage, quatre bolides sommeillent sous des housses. Des engins sur lesquels il aborde les virages à plus de 200 km/h sur circuit de course. « J’ai toujours roulé à fond.  » Son rêve  ? Avoir sa vie derrière lui, « dans une caravane, tractée par un deux-roues. Traverser l’existence sur un chopper (moto à fourche longue et guidon haut, ndlr), comme dans Easy Rider « .

Comme sa mère, cheffe costumière à l’opéra de Strasbourg, elle-même motarde. Longtemps, il a porté la veste maternelle, en cuir, rouge et noire. « Elle a roulé enceinte jusqu’à six mois de grossesse. C’était une figure, ma mère.  »

On a fait des fêtes de dingue ici, le chaos total. 

Dans La fracture (2021) de Catherine Corsini, le chauffeur routier qu’il incarne parle du sentiment de liberté quand on roule la nuit. Aujourd’hui, il déteste la voiture. « Je roule comme un petit vieux. Ma meuf n’en peut plus  : ‘Accélère !' ».

Un épicurien en cure zéro alcool 

Le beau gosse du Premier jour du reste de ta vie (2008) a pris de l’ampleur. Pour faire barrage, il soulève de la fonte dans sa salle de gym « sinon obésité  ». Dans l’immense pièce, des canapés, un bar et deux frigos suggèrent un goût marqué pour les festivités. « La ‘chopper culture' », c’est pas des soirées tricot. On a fait des fêtes de dingue ici, le chaos total.  »

Nous fiant à sa réputation d’épicurien – ses copains l’appellent Marmite –, on a apporté un joli beaujolais. Raté. Ce soir, il carbure à la tisane « thym-citron vert ». Il est en cure zéro alcool depuis une semaine. « En général, ça dure un mois, un mois et demi. Mais l’esprit de Noël va resurgir. Je suis alsacien, j’adore Noël. 

Il est comme ça, passe d’une idée à l’autre, en mode tac tac et haut voltage. Pio Marmaï a été biberonné à la fête. Version Kubrick plus que dancefloor. « J’ai grandi dans une maison gigantesque à Strasbourg. Un vrai décor de théâtre, rococo, avec des trompe-l’œil, la spécialité de mon père scénographe. Mes parents donnaient des fêtes vénitiennes.  »

Enfant, il passe ses nuits aux couturières et aux générales (noms donnés aux avant-dernières et dernières répétitions d’un spectacle) à l’opéra de Strasbourg. Sauf qu’à 8 ans, « tu n’as pas forcément envie de te farcir quatre heures de Wagner. Je dormais au premier balcon, pour moins entendre. Mozart, j’aimais bien, j’allais dans les coulisses.  »

La disparition précoce de sa mère 

Ado, il fait du skate et fume des clopes en cachette, dans sa chambre. « Je n’étais pas dans le social avec plein de gens autour. Je faisais un peu des trucs de « weirdo' ». Étudiant en théâtre à l’école d’art dramatique de Saint-Étienne, il poursuit une trajectoire sur le fil. Sort en concert de hardcore, monte un label, presse des vinyles et fréquente les squats. Jouer devant une caméra ne l’effleure pas. « Je méprisais un peu le cinéma. Puis j’ai trouvé des réalisateurs avec lesquels je me sentais au bon endroit.  »

À contre-courant de la promo habituelle, il disparaît derrière un rideau et revient avec Mr Pickles. Une atrocité de chat empaillé, un cadeau de sa mère. «  Il est trashy hein ? Tu crois que c’est vendeur  ?  » Toute son enfance, ses parents lui ont répété  : « Sois créatif et insoumis.  » « Ce n’était pas de l’orgueil ni de la vanité.  »

Six soirs par semaine (…) tu tues ta mère, tu es traqué. Ça m’a atteint. À la fin du spectacle, (…) il fallait que je décharge quelque chose. Ça m’a rendu un peu agressif. 

Il a 30 ans quand sa mère décède. Cancer. « Sa maladie, ça a été hardos. Avec mon père, on a chanté… ». Peu après, alors que le cinéma est déjà bien entiché de lui, Pio Marmaï retourne au théâtre comme un marin qui voit la terre.

Pendant cinq mois, il jouera Roberto Zucco à la Comédie de Valence. « Six soirs par semaine, tu menaces, tu tues ta mère, tu es traqué. Ça m’a atteint. À la fin du spectacle, je n’allais pas me coucher direct. Il fallait que je décharge quelque chose. Ça m’a rendu un peu agressif.  » Jusqu’alors, il voyait les personnages « comme des costumes qu’on peut abandonner. Mais quand on traverse des trucs comme ça, non  ».

L’acteur revient sur la Une du « Film français »

Il ne finit pas ses phrases, parle à toute blinde, bouge sans arrêt. On revoit Damien, le mari tendu de Clémence Poésy sur le canapé d’En thérapie. Comment a-t-il pu rester assis pendant des heures  ? « J’étais concentré, la sensation d’être pris dans un fleuve. Comme ce qu’on est en train de faire là, on oublie.  »

Notre boulot, c’est de s’interroger sur le monde, dans la parité, avec des hétéros, des homos, des non-Blancs, à l’image de ce qu’est la France.

À la mort de sa mère, il a fait une thérapie. « Je n’en ai aucun souvenir. Black out.  » Il dit  : « J’adore la nuit. Quand j’y suis, je vais jusqu’au jour. Ceux qui veulent partir, je les retiens  : ‘Attends, ça va, on a cinq minutes non  ?’ Je sais que je vais être crevé le lendemain, autant en profiter à fond.  »

Et de tempérer  : « Dehors, dans le noir, je ne fais pas le malin. J’ai peur des sorcières, des entités maléfiques. » Silence. « Je ne crois pas que les fantômes existent. Pourtant, il y a des choses pas explicables.  »

Un jour où il pensait fort à sa mère, il a senti une présence. « Et là, comme dans un mauvais film, le néon de la salle de bain s’est éteint et rallumé.  » Il n’a pas eu peur. «  Ça m’a rassuré.  » On s’est déplacé à la porte du garage pour sentir la nuit et entendre la pluie. Le matin, il s’est retrouvé en une du Film français , journal professionnel de l’industrie du cinéma, avec six autres acteurs, tous blancs, autour de Jérôme Seydoux. Le titre  : « Objectif Reconquête  !  » Avec un R majuscule.

« Ça me rend dingue. Ils ont utilisé, sans nous consulter, une photo prise dans un évènement avec les exploitants. Et ils y ont collé le nom d’un parti fasciste  ! Comment peut-on écrire un truc aussi con  ? Notre boulot, c’est de s’interroger sur le monde, dans la parité, avec des hétéros, des homos, des non-Blancs, à l’image de ce qu’est la France. La création, c’est vivant, inclusif, il y a de la niaque. Et tu te retrouves avec un truc pareil, je suis tellement déçu.  »

13 questions d’après minuit

Marie Claire : Dormez-vous la nuit ?

Pio Marmaï : Oui. Mais j’ai parfois des terreurs nocturnes.

Votre mère vous embrassait-elle au coucher ?

Oui, elle m’appelait « mon trésor ».

Vos boissons et nourritures nocturnes ?

Avant de dormir, des bretzels que je trempe dans du sel. Et de l’eau. Et sinon, je fais à manger, du pigeon. Et du bourgogne. En ce moment, je mange des radis, je me gave.

Qu’y a-t-il sur votre table de nuit ?

Des boules Quiès. Ma table de nuit est vide parce que si j’attrape un truc dessus, elle fait beaucoup de bruit et j’ai peur de réveiller l’enfant qui dort à l’étage en dessous. Il suffirait d’une cale pour régler le problème. Ça fait six ans que je ne mets pas la cale. Et que je ne pose rien dessus. Par terre, c’est le fatras.

Vos carburants d’après minuit ? Alcool, Xanax, sexe, drogue, sucre ?

Du vin. Je n’ai jamais pris d’antidépresseurs ni d’anxiolytiques. Le sexe, c’est du désir, je me laisse surprendre, ça surgit. Si c’était installé, je commencerais à flipper.

Avez-vous une bonne étoile ?

J’ai beaucoup de chance.

Boule à facettes ?

Boîte de nuit, non. Mais j’adore danser beaucoup, je commence vers 3 heures. Je m’agite. Ce n’est pas très construit.

La nuit la plus dingue ?

Une fête ici. Je me suis fait tatouer en haut, après j’ai fait des frites pour deux cents personnes dans un camion à saucisses, il y avait un concert de hardcore là où on est, les flics sont venus, ils ont voulu m’acheter une moto, et ma grand-mère a été portée sur un fauteuil. C’était « chopper life », on ne buvait pas de la tisane.

Si je n’avais pas été acteur, j’aurais été artificier. Voir la tronche des gens quand la lumière leur pète dessus, j’adore.

Le plus trash, la nuit ?

Les gens que je peux croiser dans des endroits de folie, dans une solitude absolue, je ne voudrais pas être dans leur tête. Ayant eu des petits moments d’obscurité, je ne voudrais pas pénétrer dans la tête de quelqu’un de fou.

Qu’aimez-vous le plus la nuit ?

Le clignotement lumineux des fêtes foraines. J’ai eu beaucoup d’amis forains. Non, en fait, ce que je préfère, ce sont les feux d’artifice. Si je n’avais pas été acteur, j’aurais été artificier. Voir la tronche des gens quand la lumière leur pète dessus, j’adore, ils s’abandonnent complètement.

Les mots de la nuit ?

Rigoletto. L’opéra.

Le parfum de la nuit ?

Habit Rouge, le parfum de mon père quand il partait en soirée. Ou quand on rentrait tard le soir : j’étais allongé à l’arrière de la bagnole et je sentais ce parfum, celui du retour au foyer.

La chanson de la nuit ?

Ace of Spades de Motörhead.

Cette interview a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire numéro 844 daté janvier 2023.

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