- La présence de plusieurs parents, c’est bénéfique pour tout le monde
- Le congé de paternité sert l’harmonie familiale
- Plus le congé de paternité est long, mieux c’est !
- Une évolution, mais pas une révolution
« Je suis devenu père pendant mon congé de paternité. » Hugo n’avait jamais changé une couche, donné un biberon ou même tenu un bébé dans ses bras. Alors, quand sa fille Jade est née en mai dernier, ce cadre de 42 ans n’a pas hésité et a pris son congé de paternité en intégralité. « Je voulais être un père présent et ne pas me retrouver comme un idiot à ne pas savoir m’occuper de ma fille. C’était important d’être avec ma femme, qu’on se partage le job et qu’on vive ce moment unique ensemble ! »
Un enthousiasme qu’ils sont de plus en plus nombreux à partager. Depuis le 1er juillet 2021, le père (ou le second parent) peut bénéficier de vingt-cinq jours de congé de paternité (contre onze auparavant) indemnisés par la Sécurité sociale, auxquels s’ajoutent les trois jours de naissance payés par l’employeur. Vingt-huit jours qu’il est possible de fractionner, dont une semaine obligatoire à la naissance.
C’est un combat en faveur de l’égalité femmes-hommes qui nous tenait à cœur depuis longtemps chez Marie Claire : en 2019, Oxmo Puccino, Jérôme Dreyfuss, Albin de la Simone et neuf autres personnalités s’engageaient à nos côtés pour réclamer un allongement du congé de paternité.
La présence de plusieurs parents, c’est bénéfique pour tout le monde
Clément, 40 ans, garde un souvenir ému de cet été. Quand France est née en août, il a choisi de coller son congé de paternité à ses vacances pour profiter de deux mois en famille. « Ce temps privilégié nous a permis d’être quinze jours en amoureux avec Juliette (la compagne de Clément, ndlr) avant son accouchement, puis de voyager avec le bébé quelques semaines après sa naissance et de revoir famille et amis. Être deux pour accueillir un bébé permet de se relayer et d’être moins fatigué : celui qui s’est levé la nuit peut dormir plus longtemps. »
Journaliste à LCP, il dit ainsi avoir bien vécu son retour au bureau : « Ce n’est pas du tout le même stress que quand on y revient quatre jours après la naissance. »
Autre point essentiel selon lui : le père s’investit au même titre que la mère. Le meilleur moyen de créer un véritable lien avec son enfant, comme le rappelle la psychothérapeute et autrice de Il n’y a pas de parents parfaits (Ed. Marabout), Isabelle Filliozat : « Il y a des croyances selon lesquelles le père n’est là qu’en back-up, pour soutenir la mère. Il a pourtant une relation directe à établir avec son bébé. Les interactions avec maman ne sont pas les mêmes que celles avec papa – ou le second parent d’ailleurs –, ce n’est pas masculin ou féminin. Varier les stimulations, avoir plusieurs personnes qui s’occupent du bébé, changent sa couche, le bercent et le promènent l’aident à développer davantage son potentiel. »
Et d’insister : « La parentalité sera beaucoup plus respectueuse des besoins de l’enfant, qui grandira plus harmonieusement : c’est bénéfique pour tout le monde. »
Le congé de paternité sert l’harmonie familiale
Et notamment pour les mères, dont le sentiment de culpabilité diminue. « Plus le père s’implique, moins la mère se sent isolée avec une charge phénoménale sur le dos. Cela l’aide à ne pas sombrer dans des dépressions plus ou moins importantes. Quand on est toute seule avec son enfant, le risque d’épuisement maternel augmente », rappelle-t-elle.
« C’est difficile de savoir ce que cela représente de s’occuper d’un bébé 24h/24 tant qu’on ne l’a pas vécu. France est mon premier enfant, j’étais rassurée de ne pas être seule », confie de son côté Juliette. Partager les tâches sans cesse plus nombreuses, prendre le relais quand l’autre se sent vaciller et se soutenir.
« Ce congé de paternité sert l’harmonie familiale et on mesurera bientôt la baisse des divorces ! », s’exclame Isabelle Filliozat. « À l’échelle du couple, ça garantira une meilleure sexualité. Si l’un travaille et que l’autre est auprès de l’enfant, les parents sont sur deux planètes : la rancœur et la distance peuvent s’installer. Si le compagnon ou le deuxième parent est impliqué, on communique, on affine ensemble nos façons de “parenter” et on ressent du désir pour lui. »
Plus le congé de paternité est long, mieux c’est !
Et plus le congé de paternité est long, meilleur c’est ! En septembre 2020, la Commission des 1 000 Premiers Jours, dont Isabelle Filliozat a été vice-présidente, recommandait au gouvernement de porter sa durée à neuf semaines.
« Ce congé de paternité est encore trop court pour que les pères se rendent compte à quel point vivre avec un bébé est fabuleux. Mais ce petit pas en avant fait évoluer les consciences », reconnaît la psychothérapeute. Et heureusement, car certains freins psychologiques persistent. « On vit dans une société patriarcale où certains croient encore que l’homme va à la chasse tandis que la femme reste au foyer à s’occuper du bébé. Ce n’est pourtant pas du tout la réalité préhistorique : les femmes chassaient énormément ! »
Des obstacles économiques entrent aussi en jeu, comme l’a relevé Alix Sponton. Cette doctorante en sociologie (Sciences Po – Cris/Ined) s’est intéressée au profil des pères prenant – ou pas – leur congé de paternité, alors de onze jours (entre 2010 et 2017)*.
Sur cette période, sept hommes sur dix y ont eu recours (huit sur dix quand ils sont en CDI). 30 % ont choisi de passer leur tour. « Ceux qui sont indépendants, en contrats courts (CDD ou intérim) ou au chômage n’ont pas toujours conscience d’être éligibles au congé de paternité. Leurs démarches administratives sont aussi plus lourdes, n’ayant pas d’employeur qui prend en charge une partie des formalités. »
D’après la chercheuse, les plus précaires peuvent ne pas faire valoir ce droit car « ils redoutent l’impact du dispositif sur leur emploi ». Quant aux pères les mieux rémunérés, « certains craignent que leur absence se fasse ressentir ou jugent problématique, s’ils n’ont pas d’accord collectif prenant en charge la différence, la perte de revenus entre leur salaire et les indemnités journalières ».
Une évolution, mais pas une révolution
La prochaine étape selon Alix Sponton ? Comprendre les différents usages que font les pères de leurs quatre semaines de congé depuis la réforme. « Est-ce pour ne pas laisser la mère seule dans les débuts ? Prennent-ils un mois d’entrée à la naissance ? Ou le découpent-ils en plusieurs fois, car c’est mieux accepté au travail ? Sont-ils plus nombreux à le poser après que la mère est retournée au travail ? Ou s’agit-il surtout de passer un moment agréable avec leur enfant ? »
En attendant les premiers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui devraient être disponibles en 2023, Alix Sponton conclut : « C’est une première étape nécessaire et attendue par la génération en âge d’avoir des enfants. Toutefois, on reste dans un entre-deux face aux pays scandinaves ou à l’Espagne**, qui ont des congés beaucoup plus longs. »
Une évolution, certes, mais pas une révolution. « Le gouvernement a annoncé une mesure pour l’égalité femmes-hommes mais en légitimant un système inégalitaire : la réforme acte que les femmes restent les parents principaux et les hommes les parents secondaires puisqu’elles ont huit semaines obligatoires quand ils en ont une. Pour eux, c’est à la carte ? », s’interroge Violaine Dutrop, autrice de Maternité, paternité, parité (Éd. du Faubourg).
La fondatrice de l’Institut EgaliGone, membre de l’association Parents & Féministes, milite pour instaurer un congé deuxième parent équivalent au congé de maternité, « soit seize semaines, dont huit obligatoires, fractionnable pour soutenir la reprise du travail pour la mère, et correctement rémunéré. L’enfant grandirait alors avec un modèle parental égalitaire. »
En allongeant (encore) le congé de paternité, « les femmes ne renonceraient plus à travailler ou n’accepteraient plus un mi-temps quand ce n’est pas leur choix ».
Et de rappeler également que les congés de paternité et de maternité portent très mal leur nom ! « On doit veiller à tellement de choses que je ne me suis jamais senti en vacances », acquiesce Hugo. Mais comme tous les autres pères qui ont vécu intensément leur congé de paternité, il conseille à ses amis de ne pas passer à côté de cette période, certes bouleversante et pleine d’inconnu, mais si constitutive de la future vie de famille.
S’organiser à deux. Se découvrir à trois. Et s’aimer encore plus fort.
* »Quels freins limitent encore le recours au congé de paternité chez les jeunes pères ? » Céreq Bref, n° 419, mars 2022 / ** Seize semaines en Espagne. En Suède, les parents se répartissent quatre cent quatre-vingts jours de congé parental avec un minimum de trois mois réservés au père.
Article publié dans le magazine Marie Claire 844
Amadou, 38 ans, père de Sahel 3 ans et d’Ella, 1 an : “Je vois grandir ma fille et on crée des liens encore plus forts"
« Les quatorze jours de congé de paternité avec mon fils ont filé très vite. Avec Ella, j’ai testé les vingt-huit jours que j’ai découpés : deux semaines dès sa naissance, puis j’ai retravaillé avant de m’occuper d’elle quand ma femme est retournée au bureau.
Agent d’escale chez Air France, j’ai ensuite opté pour un temps de travail à 80 % durant trois mois, en attendant une place en crèche. On me félicitait, à croire qu’un homme à temps partiel, c’est rare.
J’ai vraiment profité de ma fille, je la vois grandir et on crée des liens peut-être encore plus forts. C’est aussi bénéfique pour notre couple car on découvre le quotidien de l’autre : vivre une journée seul avec deux enfants, c’est sport !
Le seul bémol ? Le côté financier. Cela a été le parcours du combattant pour que mon congé de paternité soit rémunéré car la loi venait de passer et j’ai eu une perte de salaire non négligeable à temps partiel. »
Maxime, 33 ans, père de Léo, 2 mois : "Ma femme a pu se reposer"
« C’était essentiel d’être là pour ma femme, qui a pu se reposer après un accouchement difficile. J’avais aussi envie de prendre du temps avec mon petit garçon : on l’a attendu si longtemps ! Je travaille au service marketing de Salesforce, où les salariés bénéficient d’un congé parental rémunéré de trois mois à vingt-six semaines.
J’ai choisi pour le moment de prendre deux mois en décalé : le premier mois juste après la naissance est vraiment nécessaire. Nous espérions que Léo fasse ses nuits pour ma reprise mais il en a décidé autrement !
En décembre, je serai à nouveau avec lui, avant que ma compagne ne reprenne. C’est super d’être tous les trois : nous avons du temps pour ne penser qu’à notre bébé, à notre couple et nous organiser. J’ai découvert les biberons et les coliques la nuit, et j’ai même dû réparer la machine à laver, en panne depuis qu’une couche y a atterri… »
Nicolas, 38 ans, père de Vanille, 17 mois : “Je me suis demandé si j’allais retourner travailler un jour”
« Je travaille chez Veja, où j’ai eu la chance de profiter de trois mois de congé de paternité dès la naissance de ma fille. Un moment magnifique mais qui parfois n’est pas facile : c’est la découverte pour tout le monde.
Avoir du temps nous a permis de nous faire confiance. Nous étions plus sereins avec Vanille, on ne se mettait pas la pression et ma copine savait qu’elle pouvait compter sur moi. On ne s’est jamais pris la tête et je pense que ces trois mois ensemble y sont pour beaucoup.
Mon moment préféré ? Le biberon de 5 heures du matin : le jour se lève, il n’y a pas un bruit, le bébé ne parle pas encore mais il sent tout. Magique ! J
e me suis même demandé si j’allais retourner travailler un jour tellement passer mon temps ailleurs qu’avec ma fille me semblait fou. Je n’imagine pas ceux qui repartent au bureau après une semaine : c’est « short » pour s’acclimater. »
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