En 1981, ce Japonais, installé en France pour étudier, avait tué puis dévoré une jeune Néerlandaise, provoquant un émoi international. Il vient de s’éteindre à 73 ans.
Dragon rouge, le roman de Thomas Harris introduisant pour la première fois le fameux cannibale Hannibal Lecter, est sorti aux États-Unis fin 1981. Même si l’auteur prétend avoir été influencé par un tueur célèbre (un chirurgien mexicain condamné en 1950 pour avoir tué et démembré son amant), il est troublant de constater que son livre a été édité quatre mois après une sordide affaire qui défraya la chronique. Cela se passait à Paris, en juin 1981, un mois après l’élection de François Mitterrand…
Issei Sagawa, puisque c’est de lui dont il s’agit, était arrivé en France en 1980 pour étudier la littérature comparée à Paris III-Censier – aujourd’hui Sorbonne-Nouvelle. Né le 26 avril 1949, ce fils d’un riche industriel japonais était titulaire d’une maîtrise en littérature obtenue à l’université d’Osaka. Un esprit brillant, mais déjà rongé par le mal. On sait aujourd’hui qu’il avait été au centre d’un triste fait divers dans son pays d’origine. En 1972, il avait été accusé d’une tentative de viol et de meurtre sur une étudiante allemande. Celle-ci avait alors accepté de retirer sa plainte en échange d’un dédommagement conséquent accordé par le père du jeune homme, ce qui, selon la loi japonaise, mettait fin à la procédure judiciaire.
Fantasme morbide
L’obsession du cannibalisme est présente chez cet être chétif (1,52 m pour 35 kg lorsqu’il est arrêté en 1981), qui compense peut-être par cette déviance un complexe physique profond. On pense plus sûrement que son dérèglement psychologique est dû à l’encéphalite japonaise qu’il a contractée à l’âge de 2 ans. Cette maladie très grave serait à l’origine de problèmes comportementaux et neurologiques chez certains sujets qui y survivent.
C’est donc un individu potentiellement dangereux qui se balade en liberté dans les rues de Paris au début des années 80 et qui ne rêve que d’une chose : assouvir son fantasme morbide. À Paris III, il a repéré une certaine Renée Hartevelt, une étudiante néerlandaise qui suit le même cursus littéraire que lui et qui présente toutes les caractéristiques qu’il désire : elle est jeune, jolie et occidentale. Pour le prédateur japonais, l’occasion est trop belle de passer à l’action…
Le 11 juin, il invite Renée à venir chez lui réciter des poèmes allemands qu’il souhaite enregistrer pour les envoyer à l’un de ses professeurs au Japon, prétexte-t-il. La jeune Néerlandaise maîtrise la langue de Goethe, contrairement à lui. Le piège est parfait et va se refermer sur l’innocente victime. Renée commence à déclamer des vers de Johannes R. Becher (poète expressionniste allemand), dos à son bourreau qui va l’abattre à bout portant d’une balle dans la nuque à l’aide de sa carabine .22 Long Rifle. La jeune femme de 25 ans s’écroule, meurt sur le coup.
La suite est plus horrible encore… Sagawa viole le cadavre, puis en découpe méthodiquement des parties. Pendant les trois jours qui suivent, il consomme, crus ou cuits, les morceaux qu’il a extraits et mis au réfrigérateur. Ne disposant pas de congélateur pour y conserver la dépouille, il se résout à s’en débarrasser dehors. Muni d’un chariot de supermarché transportant deux valises contenant les « restes » de Renée Hartevelt, il se rend au bois de Boulogne en taxi pour achever sa sordide besogne.
Voyant cette frêle silhouette frêle pousser ce lourd chariot, un couple de promeneurs le questionne : « Elles sont à vous, ces valises ? » Surpris, il prend la fuite. Intervenue à la demande du couple, la police découvre le macabre contenu des bagages…
“Acte artistique”
Un appel à témoins est lancé le 14 juin dans les colonnes du Parisien. Il est notamment entendu par le chauffeur de taxi qui a pris Sagawa et son étrange attelage en charge, et qui se souvient de l’adresse du tueur. Les policiers de la Brigade criminelle se rendent au 10, rue Erlanger où habite l’étudiant japonais, comme le leur confirme la concierge qui décrit un garçon « discret et poli ». Il n’est pas là. Les hommes attendent. À 20 h 45, Issei Sagawa arrive et est aussitôt cueilli par les fonctionnaires. N’opposant aucune résistance, il ne paraît même pas surpris. « Si j’avais eu un congélateur, vous ne m’auriez pas retrouvé », déclare-t-il tranquillement avant de revendiquer « un acte artistique ».
L’affaire a un retentissement international. Pendant plus d’un an, Issei Sagawa est soumis à une expertise psychiatrique menée par trois experts indépendants qui établissent un lien entre ses problèmes de santé dans l’enfance, ses rapports douloureux à une mère tyrannique et ses tendances cannibales. Son irresponsabilité pénale est prononcée, mais son internement est recommandé.
Placé pendant un an dans un institut spécialisé à Villejuif (Val-de-Marne), il est finalement transféré au Japon où il est de nouveau interné par ses parents, en mai 1984. Son père, décontenancé, démissionne de toutes ses fonctions. Issei Sagawa ressort, libre, un an plus tard, le 13 août 1985.
Publicités et films érotiques
Sa réinsertion dans l’enseignement (il souhaite devenir professeur de français) est compliquée. Quels parents voudraient d’un tel individu auprès de leurs enfants ? L’expérience tourne donc court mais Sagawa ne manque pas de ressorts.
Courtisé par les médias fascinés par sa personnalité, il peint des toiles et écrit plusieurs livres aux titres évocateurs, J’aimerais être mangé ou Ceux que j’ai envie de tuer. On le voit dans des publicités – pour la viande, notamment –, il joue même dans des films érotiques ! En 2013, la Française Nicole Caligaris écrit Le Paradis entre les jambes (éd. Gallimard) dans lequel elle publie notamment sa correspondance avec l’étudiant japonais qu’elle avait connu à la fac…
Diabétique, victime d’un AVC, le cannibale se retrouve cloué dans un fauteuil roulant. Oublié de tous, il vit retiré du monde dans la banlieue de Tokyo, auprès de son frère Jun. C’est là qu’il meurt, le 24 novembre dernier, des suites d’une pneumonie. Il n’aura heureusement pas accompli son souhait le plus cher, comme il l’avait confié de manière provocante au magazine américain Vice en 2010 : manger quelqu’un d’autre avant de mourir… !
Louis-Paul CLÉMENT
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