Coup de sifflet : l’équipe de France fait, ce mardi 22 novembre 2022, son entrée dans la compétition. Compétition qui a débuté deux jours auparavant à Doha, mais qui est décriée depuis 2010, année de son attribution au petit émirat gazier.
16% des Français affirme qu’il entend boycotter intentionnellement l’événement, selon un sondage Odoxa pour Winamax et RTL. Cette Coupe du monde au Qatar indigne, à plusieurs égards : décès des ouvriers sur les chantiers passés sous silence, pays-hôte qui prive les personnes homosexuelles et les femmes de leurs droits fondamentaux, bilan écologique alarmant…
Jean-Baptiste Guégan, professeur de géopolitique et auteur de Géopolitique du sport : Une autre explication du monde (éditions Bréal), décrypte pour Marie Claire ces atteintes indissociables de l’événement sportif.
Un pays-hôte qui criminalise l’homosexualité
Marie Claire : Pourquoi la Fifa (Fédération Internationale de Football Association) s’est-elle opposée aux équipes qui prévoyaient de porter un brassard aux couleurs du drapeau LGBT ?
Jean-Baptiste Guégan : Pour une raison de politique interne, d’abord. Les sept fédérations qui souhaitaient arborer le brassard « One Love », avant d’y renoncer ce lundi 21 novembre, sont toutes européennes [équipes belges, suisse, allemande, danoise, anglaise et galloise, ndlr]. L’objectif de la Fifa était alors de montrer à l’UEFA [Union européenne des associations de football, ndlr] que c’est bien elle qui avait le pouvoir au sein du football mondial.
Et puis, cet accessoire arc-en-ciel renvoie la Fifa et le pays-organisateur à la question de l’homosexualité sur place. Homosexualité illégale et criminalisée au Qatar.
La Fifa s’est protégée. Il faut savoir que Gianni Infantino, le président de cette fédération, vit maintenant à Doha avec sa famille. De plus, ce Mondial va rapporter 6 milliards d’euros net d’impôts à la Fifa, qui joue là, aussi, ses relations avec le Qatar.
Cette décision d’empêcher les équipes de porter ce brassard en les menaçant oralement de les pénaliser sportivement – il n’a pas été écrit clairement qu’ils risqueraient des cartons jaunes – est donc liée à la peur de la Fifa, ainsi qu’à son refus de s’engager. D’assumer sa part de responsabilité politique.
C’est tout ce qui est insupportable dans le football et le sport en général : l’absence de véritables engagements.
Pire, pour se protéger, la fédération a d’annoncé via une circulaire que les capitaines des sélections porteront, à chaque journée, un brassard différent et « engagé » : Football Unites the world, Save The Planet, Protect Children, Education for all, no discrimination, Be Active et Football Unites the World. Aucun d’eux ne renvoie directement à la défense des droits LGBT, pas un seul n’est aux couleurs du drapeau arc-en-ciel. La Fifa se planque derrière des slogans creux pour éviter qu’on la questionne. C’est tout ce qui est insupportable dans le football et le sport en général : l’absence de véritables engagements.
Mais ce n’était pas mieux en Russie. Sauf que l’organisateur de la Coupe du monde 2018 a été plus habile en termes de communication. Ce pays, homophobe, avait mis en place un village destiné aux supporters homosexuels afin d’annihiler la critique. Et ça a fonctionné : tout le monde est tombé dans le panneau.
Et du côté des supporters ? Que risquent ceux qui arboreraient un quelconque signe contre l’homophobie ?
Certains supporters qui ont tenté d’accéder au stade avec des chapeaux arc-en-ciel se sont fait bloquer à l’entrée. Dans le cas d’une action militante mise en place, le visiteur tombe sous le coup de la loi qatarienne – qui n’est pas souple – et risque l’expulsion.
Les autorités ont reçu la consigne de ne pas violenter les spectateurs, a fortiori s’ils sont Occidentaux, tout en ne laissant rien passer.
Le Qatar a fait appel à des forces de l’ordre étrangères (françaises, marocaines…) pour leur image. Compte tenu du contexte international, de ce qu’il se passe de l’autre côté de la mer Rouge, la répression en Iran, le pays-organisateur sera plutôt dans une stratégie de temporisation.
Des disparitions d’ouvriers immigrés passées sous silence
Quelles informations détenons-nous quant au traitement des travailleurs migrants qui ont construit les infrastructures pour cet événement sportif ?
Le quotidien britannique The Guardian avançait [dans une enquête parue le 23 février 2021, ndlr] qu’en une décennie, 6 500 ouvriers migrants ont perdu la vie en construisant des infrastructures au Qatar. Pour cette Coupe du monde, l’émirat a construit sept stades, et rénové d’autres, mais aussi, métamorphosé sa capitale.
Cette estimation serait incomplète, en deçà de la réalité, car elle prend seulement en compte les travailleurs immigrés de l’Asie du Sud Est [d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka, ndlr] et pas ceux d’Afrique. Voilà plus de dix ans qu’Amnesty International alerte sur leurs conditions de travail.
Jusqu’à 2016-2017, soit plus de 6-7 ans après que le Qatar n’ait officiellement été désigné pays-hôte, celui-ci n’avait pas de comptabilité nationale. Aucun chiffre officiel n’est connu. Mais celui Guardian a choqué le monde, donc le Qatar a promis de changer. Il est, désormais, l’émirat du golfe à la réglementation de travail la plus poussée. Le problème ? Elle n’est pas appliquée.
La Coupe du monde du green washing
Autre indignation que ce Mondial 2022 : son coût environnemental. Peut-on parler d’aberration écologique ?
Des Coupes du monde aux Jeux Olympiques, toutes les compétitions sportives internationales sont des aberrations en terme d’empreinte carbone. Le monde se déplace à un seul et même endroit, donc forcément, les conséquences sont désastreuses. À cela s’ajoute la construction d’infrastructures parmi lesquelles les plus grandes émettrices de carbone…
Cette Coupe du monde pose le problème du green washing.
Pourtant, le Qatar va être la première manifestation sportive dite éco-compensée, neutre en carbone. Les Qataris ont compris comment les organismes d’identificateurs de normes fonctionnaient. Ils ont systématiquement compensé, à l’atome de carbone près, et ont étalé leur bilan carbone sur cinquante ans. Cette Coupe du monde pose le problème du green washing. En jouant sur les normes, l’émirat paraît bien plus vertueux qu’il ne l’est.
Cette Coupe du monde est aussi le premier événement sportif décalé dans le temps à cause du climat. Nous pouvons espérer qu’elle fasse jurisprudence. Que plus jamais une telle manifestation ne soit confiée à un état incapable de faire face aux enjeux environnementaux. Mais le prochain Mondial, en 2026, se déroulera entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Encore une aberration.
Le président de la République a déclaré qu' »il ne faut pas politiser le sport ». Pourquoi la France, pays où fut écrite la déclaration des droits de l’Homme et « République du foot », selon le titre d’un de vos ouvrages, ne s’est-elle pas publiquement engagée ?
Emmanuel Macron a évidemment tort lorsqu’il dit que le sport n’est pas politique. Mais le Président ajouter qu’il ne faut pas politiser cette Coupe du monde, pour protéger les footballeurs. Il est vrai que ce devrait être aux États et aux fédérations de prendre leur responsabilité, pas les joueurs.
Il faut espérer que cette Coupe du monde soit la fin d’un monde inconscient.
La position de la France, partenaire du Qatar depuis plusieurs décennies, était malheureusement prévisible. À plus forte raison avec la crise énergétique que nous traversons. Avec la mise à l’écart de la Russie, le Qatar est devenu le premier producteur de gaz naturel liquéfié. Avec les autres acteurs du golfe, cet émirat est aussi l’un de nos premiers clients dans le secteur militaire. La France est, de plus, l’une des dix premières zones d’investissement du Qatar.
Si notre pouvoir politique ne s’est pas engagé, nous avons été le pays dans le monde où nous avons le plus discuté du boycott du Qatar ces derniers mois.
Je crois que Qatar 2022 va être un « turning point », que nous ne pourrons plus faire comme avant, fermer les yeux sur les droits des travailleurs, des minorités, des LGBT. Quand l’Arabie Saoudite organisera les JO d’hiver en 2029, si elle y parvient, la pression internationale sera plus forte. Les partenaires, sponsors et investisseurs ne lâcheront rien. Il faut espérer que cette Coupe du monde soit la fin d’un monde inconscient, le début d’un chemin.
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