Cinquante deux ans après sa mort, survenue en septembre 1970 à l’âge de 27 ans, la guitare de Jimi Hendrix est toujours aussi affûtée. Héros indépassable et insurpassé de la six cordes, le flamboyant guitariste gaucher fait l’objet de deux bandes dessinées sorties ces derniers jours en France alors qu’un album live en 1969 à Los Angeles est publié vendredi 18 novembre chez Sony. Le musicien américain est aussi en couverture de Jazz Magazine (en vente jusque fin novembre) avec un article sur ses rapports avec la légende du jazz Miles Davis, une collaboration supposée de ces deux géants faisant fantasmer les fans depuis toujours. Une enquête où il est aussi question de leur rendez-vous manqué avec Paul McCartney…
Yazid Manou, spécialiste et référent français de Jimi Hendrix, qui signe à la fois l’enquête de Jazz Magazine et les textes documentaires d’une des deux BD, revient pour nous à cette occasion sur quelques recoins du parcours du plus grand guitariste de tous les temps.
Pourquoi Hendrix reste-t-il indépassable ?
Yazid Manou : Jimi a été le premier à pousser la guitare aussi loin. Il avait sans doute des capacités, mais il ne s’est pas fait en un jour. Dès qu’il a enfin obtenu sa première guitare, son Graal, offerte par son père vers l’âge de 16 ans, il a bossé, bossé, bossé. Tout ce qui l’intéressait c’était de jouer, tous les témoins le disent. Ensuite, il était gaucher mais il jouait sur une guitare de droitier dont il avait remis les cordes dans le bon sens. Mais par contre les boutons de vibrato qui sont en bas pour un droitier étaient en haut pour lui. Forcément, son jeu sonnait de façon unique. Il avait de surcroit des doigts immenses qui lui permettaient de faire des barrés et des accords que les autres ne pouvaient pas faire mais il jouait aussi avec son coude, avec ses bagues, il triturait les sons dans tous les sens. En plus d’être un immense musicien, il a aussi bénéficié à l’époque des pédales d’effet réalisées sur mesure pour lui par Roger Mayer, un ingénieur en électronique mordu de son. Avec le génial ingénieur du son Eddie Kramer, ces deux-là ont permis à Hendrix, c’est Kramer qui le dit, de faire sortir tous les sons que Jimi avait dans la tête. Par ailleurs, Jimi adorait explorer toutes les possibilités que lui offrait le studio. A eux trois, ils se sont amusés à bidouiller les sons, à passer les bandes à l’envers etc. Ils n’étaient pas les seuls : les Stones et les Beatles le faisaient aussi. Mais Hendrix a poussé loin l’expérimentation. Il y a une chose à retenir à ce sujet : pour Jimi, un larsen était une note. Tout est dit. Il était le maître du son.
Sur scène, le fait qu’il joue de la guitare avec les dents, les mains derrière le dos ou en se roulant par terre, l’a fait remarquer. Quand il a brûlé sa guitare au festival de Monterey en 1967, pour faire plus fort que Pete Townshend des Who qui avait l’habitude de fracasser la sienne à la fin des concerts, il est entré au panthéon du rock. Avant Monterey il était inconnu aux Etats-Unis, et le lendemain tout le monde ne parlait que de lui, ça lui a ouvert toutes les portes. Le revers de la médaille c’est que ce geste l’a un peu emprisonné : le public réclamait qu’il fasse le show et à la fin cela ne l’amusait plus. Sur environ 530 concerts qu’il a donnés, il n’a brûlé sa guitare que trois fois sur scène. C’est pourtant l’image de lui qui est restée.
Quelle orientation aurait-il pris s’il avait vécu plus longtemps ?
Yazid Manou : Ce que je peux dire c’est qu’à la fin de sa vie il en avait marre de la formule du trio et il a cherché à étendre le groupe. Au festival de Woodstock, il a ajouté un deuxième guitariste rythmique et deux percussionnistes. Malheureusement, son manager Mike Jeffery était là pour les sous et la poule aux œufs d’or restait la formule du trio. Il y a eu ensuite le Band of Gypsys, un groupe 100 % black et plus soul. Mais le manager voulait The Experience, il voulait Purple Haze, Foxy Lady. On peut voir notamment sur l’album Electric Ladyland (1968) qu’il était en recherche de nouvelles collaborations. Jimi adorait faire le bœuf avec d’autres musiciens. On sait qu’il existe des jams avec John McLaughlin, avec Johnny Winter, avec le guitariste de jazz Larry Coryell, il a aussi fait des boeufs avec le saxophoniste de jazz Roland Kirk. Le jazz commençait à l’attirer mais comme il n’avait pas les bases, je pense qu’il serait parti sur une forme de jazz mais pas sur du jazz pur. Certains albums posthumes comme Nine to the Universe peuvent donner une idée de ce vers quoi il aurait été.
Jimi Hendrix, Miles Davis et Paul McCartney ont-ils failli jouer ensemble ?
Yazid Manou : La rumeur a longtemps couru que Jimi Hendrix et Miles Davis avaient joué ensemble. Il y a eu en tout cas une tentative de rapprochement, initiée par le producteur de jazz Alan Douglas, ami d’Hendrix. Je raconte l’histoire sur quatre pages dans le dernier numéro de Jazz Magazine. Tout est parti d’un télégramme passé inaperçu, dont j’ai retrouvé la trace sur le site du Hard Rock Café. Ce télégramme envoyé en 1969 au siège d’Apple Corps, le label des Beatles, et adressé à Paul McCartney, était signé Jimi Hendrix, Miles Davis et Tony Williams, un grand batteur de jazz. Il disait : « Nous allons enregistrer un album le week-end prochain. Est-ce que tu es prêt à venir jouer de la basse ?« . Hélas, quand le télégramme est arrivé chez Apple Corps, Paul McCartney était en Ecosse, où il tentait d’échapper à la presse et aux paparazzi qui le harcelaient car une rumeur disait qu’il était mort. Apple a donc répondu « Désolé, McCartney est en vacances » et a surtout omis de le prévenir. Il n’a appris ça qu’en 2013, à sa grande surprise.
Pourquoi Hendrix était-il fou de Bob Dylan ?
Yazid Manou : Bob Dylan était le grand héros de Jimi Hendrix. Du moment où il a écouté ses albums il en est devenu dingue. En 1965, il l’écoutait tout le temps. Il faut savoir aussi que Jimi n’aimait pas sa propre voix et ne voulait pas chanter. Or écouter Dylan l’a décomplexé : il s’est dit que si le Zim pouvait chanter avec la voix qu’il avait, lui aussi pouvait le faire. Au total, il a repris cinq morceaux de Dylan : All Along The Watchtower (en studio sur Electric Ladyland), Like a Rolling Stone (la version du festival de Monterey), Drifter’s Escape (sorti sur un disque posthume), Can You Please Crawl at Your Window (pour la BBC) et Tears of Rage (en studio, c’est le dernier morceau inédit qui a été publié). Son incroyable reprise de All Along The Watchtower est devenue son titre le plus populaire aux Etats-Unis, plus encore que Hey Joe. Au point que sa version est bien plus connue que l’originale. D’ailleurs, depuis des années, lorsque Bob Dylan joue ce morceau sur scène, et c’est le titre qu’il a le plus joué en live, il le fait à la façon d’Hendrix. Ce qui est une manière de lui rendre hommage.
Quelles différences entre les deux BD parues ces jours-ci sur Hendrix ?
Yazid Manou : D’un côté il y a Jimi Hendrix en BD sortie aux éditions Petit à Petit : il s’agit d’une réédition parue il y a douze ans, pour laquelle on m’a demandé d’écrire les textes documentaires qui ont été ajoutés entre les planches dessinées par un collectif de 27 dessinateurs différents. Dans ces textes, je profite de mon savoir pour rétablir quelques vérités et raconter autre chose que ce qu’on lit tout le temps sur Hendrix. De l’autre côté, le dessinateur Mezzo publie Kiss the Sky avec son scénariste attitré Jean-Michel Dupont, chez Glénat. Les deux BD sont tout à fait complémentaires mais esthétiquement très différentes. Mezzo, qui a déjà sorti en 2014 Love In Vain, une super BD sur le bluesman Robert Johnson, est un excellent dessinateur. Il a le souci du détail et ça lui prend un temps fou. Il sortira d’ailleurs un tome 2 parce que dans celui-ci, il s’attarde sur l’enfance terrible d’Hendrix et sur son début de parcours chaotique. Quand on referme Kiss The Sky, Jimi s’envole pour l’Angleterre, on est en 1966, au seuil de l’explosion de sa notoriété. Il faudra attendre quelques années pour la suite, qui sera cette fois en couleurs pour coller au côté psychédélique de l’époque. Comme le souligne le rock critic Nick Kent dans la préface, Hendrix aurait sans doute été ravi de faire l’objet de bandes dessinées parce qu’il en lisait beaucoup, et qu’il dessinait aussi depuis toujours.
Est-ce qu’il reste des inédits ? La source se tarit. Après avoir sorti trois albums inédits en studio en 2011, 2013 et 2018, la demi-sœur de Jimi, Janie, qui gère l’héritage, a indiqué qu’elle arrêtait de sortir des albums studio, donc il n’y a pratiquement plus rien. Par contre il reste beaucoup de live à sortir, dont celui-ci. Mais tous les fans n’attendent véritablement qu’une sortie officielle, en audio et vidéo : celle du concert au Royal Albert Hall de Londres le 24 février 1969.
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