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Elles se réveillent, enfilent une robe de soirée avant même d’ouvrir les rideaux de leur chambre, boivent un jus détox, préparent le petit-déjeuner de leur mec, font le lit, filent dans la salle de bain pour réaliser leur routine beauté avant leur première séance de sport, boivent un autre jus, passent au ménage, refont un peu de sport, reboivent un peu de jus, écrivent quelques mots dans leur journal intime – prennent soin de filmer et d’éditer tout ça – quand tadaaa ! leur mec est de retour pour dîner et baiser.
Elles, ce sont les “stay at home girlfriends“ (ou “copines au foyer“ en français), des femmes âgées de 20 à 25 ans, blanches et minces, qui ne sont pas mariées et n’ont pas d’enfants mais revendiquent le fait de vivre au crochet de leur petit ami et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour satisfaire ses besoins. Hein ? Quoi ?! What the fucking fuck ? Je sais, ça m’a fait pareil quand j’ai découvert le phénomène en septembre dernier sur le réseau social TikTok. Et à l’heure où j’écris cette newsletter, le hashtag #stayathomegirlfriend comptabilise 141,3 millions de vues… c’est dire si le sujet fascine. Bien sûr, cette tonne de vidéos contient un bon lot de contenus parodiques et satiriques mais il y en a quand même un paquet qui sont tout à fait premier degré. Personnellement, ça me fait aussi peur qu’un épisode de La Servante écarlate.
En tant que féministe, je souhaite que toutes les femmes soient libres de choisir la vie qu’elles veulent mener. Ma phrase devrait s’arrêter là, j’aimerais qu’il n’y ait pas de “mais“, mais… je n’arrive pas à comprendre comment, en 2022, des jeunes femmes peuvent employer un hashtag qui n’est rien d’autre qu’une injonction sexiste à peine déguisée (“les femmes doivent rester à la maison“) qui les réduit à leur situation conjugale (“petite amie de“). En tant que féministes, donc, peut-on regarder ces vidéos sans sourciller ? Peut-on seulement être féministe et copine au foyer ? Je me suis replongée dans une interview de Simone de Beauvoir datant de 1975, dans laquelle l’autrice du Deuxième sexe explique ceci à Jean-Jacques Servan-Schreiber :
Je crois qu’une des clés de la condition imposée à la femme, c’est ce travail qu’on lui extorque, un travail non salarié, un travail non payé qui lui permet tout juste d’être entretenue plus ou moins luxueusement, plus ou moins misérablement par son mari, mais dans lequel il n’y a pas de fabrication de plus-value, dans lequel la valeur d’apport du travail n’est pas reconnue […]. Je crois que cette tyrannie s’exerce aussi bien dans la classe ouvrière que dans la petite bourgeoisie. C’est très, très, très répandu. À tel point que la femme de son côté est tellement persuadée qu’être ‘une vraie femme’, c’est justement de laisser le mari travailler.
“Plus ou moins luxueusement“ retient mon attention. En 2022, les “stay at home girlfriends“ ne vivent pas dans des 20m2 mal isolés avec du moisi autour des fenêtres. Selon la définition de l’Urban Dictionary*, l’accord tacite entre un mec et sa copine au foyer fonctionnerait ainsi : “vous payez toutes les factures et vous lui donnez de l’argent pour faire du shopping“ en échange de quoi “elle entretient votre foyer et vous offre ses faveurs sexuelles“. Des espèces de Gabrielle Solis dans Desperate Housewives saison 1, quoi.
De son côté, Beauvoir considère que celles qui restent avec leur mari uniquement pour l’argent se trouvent dans “une situation pas plus digne d’éloge que la prostitution proprement dite“. Mais il y a peut-être des femmes, jeunes ou non, que ce contrat fait rêver ? J’ai posé la question à Lucie, ma cousine âgée de 25 ans. #SpoilerAlert, elle ne se reconnaît pas du tout dans cette tendance et, pour elle, tout cela a un lien direct avec le monde de l’influence. “Nous, les 20-25 ans, on a grandi avec la téléréalité, les réseaux sociaux, les influenceurs… On voit des nanas de notre âge qui ont des enfants, une vie de riches où elles n’ont pas besoin de travailler parce qu’elles vivent des placements de produits. Elles ont une vie qui a l’air parfaite et les jeunes veulent cette vie, ils idéalisent cette vie où ils auraient juste besoin de prendre des photos et de rester chez eux.“
Parce que Simone de Beauvoir ne m’est pas très utile pour analyser les réseaux sociaux (elle n’avait pas Insta), j’ai passé un coup de fil à la journaliste Titiou Lecoq, qui a publié récemment un essai passionnant aux éditions de L’Iconoclaste : L’argent et le couple – Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes. Elle aussi voit un lien entre les “stay at home girlfriends“ et les influenceuses. “Ces mises en scène renforcent des stéréotypes de genre. Dire qu’on est entièrement dévouée à quelqu’un d’autre – comme c’était déjà le cas avec le mouvement Tradwife** – ne peut pas être compatible avec le féminisme, c’est clairement contradictoire. Mais ce qui est aussi paradoxal, c’est qu’en réalité elles tirent un revenu du fait de se mettre en scène en tant que petite amie au foyer, ce qui leur permet d’être indépendantes…“ Certes, les cures détox, les leggings de sport et les produits de beauté que l’on voit dans ces vidéos sont souvent envoyés par des marques. Mais celles et ceux qui parviennent à vivre de ces contenus sponsorisés sont minoritaires. Alors, il me paraît indispensable de rappeler aux jeunes générations que l’indépendance financière est l’une des clés de l’épanouissement personnel. Comme me l’a confirmé Titiou Lecoq, ce statut de copine au foyer représente un réel danger pour les femmes :
La génération de ma mère, c’est-à-dire la génération du Mouvement de libération des femmes qui s’est battue pour l’indépendance économique, m’a appris qu’il ne fallait pas dépendre de mon couple. Pourtant chez les couples, et d’autant plus les jeunes couples, il y a cette idée qu’ils ne se sépareront jamais, qu’il est sordide de commencer à compter… On sait ce que ça donne : des générations de femmes se sont mariées, n’ont pas fait les comptes “parce que c’est sordide“ et ont compris que “l’amour c’est pour toujours“, oui mais non… En vrai on se sépare, on est à la retraite, et c’est une catastrophe sociale, économique et politique pour les femmes. Avec cette tendance des “copines au foyer“, il y a une perte de mémoire. On voit que la transmission d’expérience, la transmission féministe ne se fait pas.
Ce qui me rassure (un peu mais pas beaucoup), c’est que le phénomène est américain. En France, la charge mentale ménagère s’est imposée comme une question de société. Selon un sondage Ifop d’avril 2022, 23% des jeunes femmes ont carrément quitté leur partenaire parce qu’il n’en foutait pas une à la maison ! Allez lààà ! #TuPrendsTesCaleçonsSalesEtTuHorsDeMaVue
* Urban Dictionary est un dictionnaire en ligne alimenté par les internautes, qui est l’un des sites les plus visités au monde.
** Pour en savoir plus sur les “TradWives“, je vous recommande cet article de Néon (ici).
IMPORTANT – ENQUÊTE LA PAUSE SIMONE x EN AVANT TOUTE(S) : Nous lançons aujourd’hui une enquête s’adressant exclusivement aux hommes, qui a pour objectif de leur donner la parole sur le sujet du consentement et des violences sexistes et sexuelles. Nous comptons sur vous pour l’envoyer aux hommes de votre entourage, les réponses sont anonymes et nous seront très précieuses ! Cliquez ici pour répondre au sondage. MERCI <3
Simone kiffe : les recommandations de Chloé Thibaud
Si le thème de cette newsletter vous a intéressé, foncez au théâtre voir Derrière le hublot se cache parfois du linge, la dernière création du collectif Les Filles de Simone. Sur scène, deux femmes, un homme et une tasse, que ce dernier oublie toujours de ranger. C’est une réflexion nécessaire, grand public, souvent drôle et parfois crispante sur le couple hétérosexuel. Avec André Antebi, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères, du 24 au 27 novembre à La Ferme du Buisson (Noisiel, 77) puis en tournée en France !
“La honte teinte notre manière de voir nos corps, les aliments que l’on mange, et même notre démarche et notre manière de se mouvoir dans l’espace.“ Kiyémis, brillante autrice, poétesse et militante afroféministe, vient de publier un essai chez Albin Michel que j’ai dévoré. DansJe suis votre pire cauchemar, elle raconte comment, dès l’âge de 13 ans, elle a intégré le fait d’être “moche et grosse“ ou plutôt moche car grosse. Qu’on lui ressemble ou pas, Kiyémis nous offre un manifeste poignant sur le corps des femmes, les complexes et l’acceptation de soi.
En 2017, nous avons toutes et tous suivis de près l’apparition du mouvement #MeToo. Mercredi prochain, 23 novembre, sort le film She Said de Maria Schrader qui met en scène les coulisses de l’affaire Harvey Weinstein et raconte comment Megan Twohey et Jodi Kantor, deux journalistes du New York Times, ont permis au monde entier d’ouvrir les yeux sur le sujet des violences sexistes et sexuelles grâce à leur travail acharné d’enquête. On en ressort plus enragée et engagée que jamais… à ne surtout pas manquer !
“Tu vois qu’on se brûle vite au soleil“, chante Mathilda.Si vous ne la connaissez pas encore, écoutez vite son EP Brutal et regardez le clip de la chanson éponyme. Il a été réalisé avec le soutien de la Maison des femmes et débute par un rappel de ce chiffre terrifiant : en France, 0,6% des violeurs sont condamnés. Pour réchauffer votre cœur, vous pourrez compter sur un autre titre, le très beau Dame un Beso. Un mélange délicieux de pop et de sonorités andalouses !
Vidéo Simone de la semaine
Outre-Atlantique, un candidat démocrate a partagé une vidéo de fiction montrant une scène particulièrement choquante et effrayante, afin de défendre le droit à l’IVG. Voici donc à quoi ressemblerait l’arrestation d’une femme ayant avorté aux États-Unis !
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Simone Shop
Comment sauver le bassin d’Arcachon et l’étang de Berre des déchets, mais aussi aider des voiliers comme le Kraken ou le Scylla à nettoyer les océans tout en sachant quel jour de l’année on est ?
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Par Chloé Thibaud, journaliste, spécialiste des sujets culture et société. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages : Toutes pour la musique (chez Hugo & Cie), Hum Hum – Et si on parlait vraiment de sexe ? (Webedia Books) et En relisant Gainsbourg (Bleu nuit éditeur).
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