Pourquoi Lyon ne veut pas présenter l’œuvre de Tony Garnier à l’Unesco ?

  • Depuis trois ans, une quarantaine de chercheurs, historiens et architectes lyonnais se démènent pour monter un dossier afin d’inscrire l’œuvre de Tony Garnier – architecte vedette de Lyon – au patrimoine mondial de l’Unesco.
  • Problème : la ville de Lyon ne souhaite pas s’engager dans la démarche. Or sans l’appui de l’Etat et des collectivités, l’association qui porte le dossier ne pourra jamais le soumettre directement auprès de l’organisme international.
  • Si la ville estime que la probabilité de voir aboutir ce dossier est « à peu près nulle » compte tenu des délais d’attente, l’association alerte sur le fait que les bâtiments de Tony Garnier risquent de disparaître d’ici plusieurs dizaines d’années.

Dans 50 ans ou 70 ans, que restera-t-il de l’œuvre de l’architecte Tony Garnier à Lyon ? « Les protections existantes sur certains bâtiments au titre des monuments historiques n’ont pas suffi à empêcher leur transformation, voir leur démolition », constate d’emblée Pierre Gras, le président de l’association de préfiguration de l’institut Tony Garnier et docteur en histoire. En témoigne le stade de Gerland qui n’a conservé que ses quatre arches historiques. Ou la piscine de Gerland en partie détruite dont seuls le plongeoir et les gradins ont été épargnés.

Les bâtiments et immeubles conçus par l’architecte lyonnais vont progressivement devenir centenaires. Le risque qu’ils ne soient pas préservés dans leur intégralité est important, alerte Pierre Gras. « Il faut agir sur la reconnaissance de l’œuvre de Tony Garnier. Sinon, elle va s’affaiblir. Elle va s’effacer », prédit-il. Pour cela, l’association milite depuis deux ans afin que sept réalisations soient inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco : la Vacherie du parc de la Tête d’Or, la Halle Tony Garnier, la ville de Catherine Garnier, la cité des Etats-unis, la villa Gros, le lycée de la Martinière-Diderot, ainsi que l’Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt.

Un « précurseur » qui comptait « 20 à 30 ans d’avance »

Si la Direction régionale des affaires culturelles trouve le dossier intéressant et que la municipalité de Boulogne-Billancourt s’est déjà engagée à soutenir énergiquement le projet, la ville de Lyon est en revanche bien plus timide, pour ne pas dire réticente. Etrange lorsque l’on sait à quel point Tony Garnier a façonné la cité et l’a structuré durant l’Entre-deux-guerres. 

« Il était l’un des architectes les plus importants de sa génération. Il était un précurseur qui comptait 20 à 30 ans d’avance sur le mouvement moderne. Il a d’ailleurs grandement inspiré Le Corbusier. Il a été un innovateur dans le domaine du béton et laissé un legs patrimonial considérable », énumère le chercheur pour lequel la réputation de Tony Garnier dépasse largement les frontières lyonnaises.

« Revirement » des élus écologistes

Seulement, sans le soutien des collectivités et de l’Etat, l’association ne pourra pas présenter son dossier car elle n’a pas le pouvoir de saisir directement l’organisation internationale. « On sent que ce n’est pas une priorité de la ville de Lyon », regrette Pierre Gras, surpris du « revirement » de la majorité. Lors de la campagne municipale, les candidats écologistes, parmi lesquels Grégory Doucet, s’étaient engagés à « mettre en valeur les monuments bâtis » par son architecte vedette.

« Les constructions dans l’enceinte du stade de Gerland ou la relégation des pavillons place des Pavillons sont des situations difficilement acceptables, contre lesquelles nous souhaitons lutter », affirmaient-ils dans un courrier que 20 Minutes a pu consulter, formulant la promesse de lancer une « étude patrimoniale indépendante sur l’ensemble de l’œuvre » de Tony Garnier afin de « renforcer les modalités actuelles de protection » des bâtiments.

Mais surtout, les candidats assuraient alors « s’engager » à lancer une « candidature « multi-sites » pour l’inscription de l’ensemble de l’œuvre de Garnier au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco », en partenariat avec la ville de Boulogne et avec le soutien de l’Etat.

Une procédure très longue sans garanties

Depuis, les mois ont passé. Un recensement global des nombreuses études patrimoniales portant sur les réalisations Tony Garnier à Lyon a été lancé. Elles ont été jugées « très qualitatives et complètes » par la Ville, à l’exception de deux d’entre elles concernant le bâtiment de la Vacherie et le lycée de la Martinière-Diderot qui feront prochainement l’objet d’une étude complémentaire. En revanche, il n’est plus question de présenter une candidature « multi-sites ».

« Il s’avère que la durée de la démarche Unesco ne permet pas de garantir une protection immédiate » de ce patrimoine, répond la Ville de Lyon. Le dossier mettra probablement des années à être étudié. « La France compte déjà 49 sites qui sont reconnus et je crois qu’on en a une quarantaine dans la file d’attente. Dans le meilleur des cas, cette file d’attente sera éclusée dans une quarantaine d’années », estime l’adjoint au patrimoine Sylvain Godinot dans les colonnes du Progrès. Pour l’élu, la « probabilité de réussite » est « à peu près nulle ».

Rien ne garantit non plus que cette démarche puisse apporter une « protection » à long terme des bâtiments, ni « de moyens », insiste l’équipe municipale qui investira 10 millions d’euros dans le patrimoine d’ici la fin du mandat. Et d’ajouter : « Nous partageons la volonté de protection de ce patrimoine mais cela ne dépend pas uniquement de la Ville ». Or à ce jour, « le dossier n’est pas soutenu par la France », souligne Sylvain Godinot.

Volonté politique

Pas de quoi convaincre Pierre Gras qui voit dans ces réponses, « des réticences de principe. » « Ce qu’il nous manque, c’est une parole, une volonté politique », déplore-t-il, toutefois lucide sur la longueur de la procédure. « On ne s’attend pas être classé dans les cinq ans à venir mais monter un dossier peut nous aider à protéger tout ce patrimoine. C’est là notre priorité, insiste-t-il. L’Unesco, c’est une carte de visite, un levier de discussions. Cela peut faire changer le regard sur l’œuvre de Tony Garnier. Il faut vraiment que l’on prenne connaissance de la richesse de ce patrimoine ». Sinon, il sera sans doute trop tard, prédit-il une dernière fois.

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