- Lady Diana dans la saison 5 de The Crown, Elisabeth d’Autriche dans L’Impératrice ou Marie-Antoinette dans la série éponyme, les têtes couronnées au destin tragique sont légion dans la fiction.
- Pourquoi sommes-nous fascinés par ces figures de princesses aux prises avec leur destin tragique ?
- L’analyse de directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Point de vue, Adélaïde de Clermont-Tonnerre.
Il était une fois des princesses qui régnaient sur la fiction… Depuis quelques années, les créateurs de séries multiplient les biopics plus ou moins fidèles à la vérité historique autour des destins de jeunes femmes aristocrates aux prises avec leur royal destin.
Après feu la reine Elizabeth II et Lady Diana The Crown, Elisabeth d’Autriche dans L’Impératrice (Netflix) et Sissi (MyTF1), Alexandrina Victoria de Wettin dans Victoria, Marie Stuart dans Reign (MyCanal), Catherine II de Russie dans The Great, Catherine de Médicis dans The Serpent Queen, Catherine d’Aragon dans The Spanish Princess, Elizabeth Woodville dans The White Queen, Elisabeth d’York dans The White Princess ou encore Elizabeth I dans Becoming Elizabeth (Lionsgate), c’est au tour de Marie-Antoinette de faire l’objet d’une série actuellement diffusée chaque lundi à 21h10 sur Canal+. Pourquoi sommes-nous fascinés par ces figures de princesses au destin souvent tragiques ?
Tout commence par les « contes de fées »
Tout commence dès l’enfance avec les « contes de fées. On grandit avec tout un imaginaire de rois, de reines, de princesses, de chevaliers et de dragons. Évidemment, cela favorise une potentielle appétence », analyse Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Point de vue et autrice de romans, Grand prix du roman de l’Académie française pour Le Dernier des nôtres (Grasset).
Le dernier roi de France, Louis-Philippe Ier, a régné jusqu’en 1848. « C’est notre terreau historique », rappelle l’experte. Même si la France est une République : « Les Français restent fascinés par les monarchies. Lorsque la reine Elizabeth II est venue inaugurer le marché aux fleurs de l’île de la Cité à Paris, sous François Hollande, on entendait des “Vive la reine” », souligne Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Ces séries attirent ainsi les férus d’Histoire « même si parfois, c’est très loin de la vérité historique ».
Des modèles de femmes puissantes
Si ces fictions royales se concentrent sur des figures féminines, c’est parce qu’« avec le réveil de la lutte pour la condition féminine, la déflagration créée par #MeToo, on a besoin d’aller chercher dans l’histoire des femmes pionnières qui réenchantent l’histoire de la condition féminine », estime la journaliste.
Les reines sont des figures de femmes puissantes. « En France, on n’a toujours pas eu de femme présidente, mais on a eu de grandes reines via la régence. En Angleterre, elles étaient encore plus puissantes puisqu’elles pouvaient régner », rappelle la spécialiste citant Elizabeth I « la reine vierge parce qu’elle a eu besoin d’éloigner tout homme qui aurait pu prendre l’ascendant sur elle ».
Marie-Antoinette « a grandi dans un matriarcat, entourée de sœurs et d’une mère qui était l’une des femmes les plus puissantes d’Europe. Quand elle arrive à Versailles, elle sait déjà qui elle est et ce qu’elle veut », considère Deborah Davis, la scénariste de Marie-Antoinette, nommée aux Oscars en 2019 pour La Favorite, lors d’une table ronde organisée par Canal+.
La scénariste britannique attribue ainsi la multiplication et le succès des séries sur les princesses au fait que « nous voulons voir comment elles concilient leur carrière de reine, leur vie de mère et leur vie privée. C’est une question que se posent toutes les femmes ».
Des trajectoires d’émancipation féminine
Marie-Antoinette raconte l’émancipation d’une femme, présentée comme une rebelle dans un monde régi par les hommes. « Elle incarne des valeurs de liberté personnelle, d’individualité, d’égalité et d’autodétermination. D’une certaine manière, nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui grâce à Marie-Antoinette », écrit la scénariste dans le dossier de presse.
Un point de vue qui plaque les préoccupations féministes actuelles sur la princesse autrichienne tout juste mariée à Louis XVI. Ces scénaristes « prennent des libertés avec l’Histoire », constate Adélaïde de Clermont-Tonnerre. « J’ai vu dans Marie-Antoinette une ado comme ceux d’aujourd’hui, une rebelle. Et puis je ne suis pas historienne ! Mon boulot, c’est de trouver la vérité psychologique de mes personnages », défend Deborah Davis. Des petits arrangements avec l’Histoire qui peuvent être gênants « si le public le prend pour argent comptant, surtout si les protagonistes sont encore vivants ou morts très récemment comme dans The Crown. Là, c’est une imposture intellectuelle », estime Adélaïde de Clermont-Tonnerre.
Des héroïnes sur lesquelles l’on projette son fantasme
Ces reines et princesses portent ainsi des idées modernes, parfois éloignées de la réalité historique. « Marie-Antoinette entendait vivre sa vie de manière libre, mais ce n’était pas une femme qui portait des idées révolutionnaires ou avant-gardistes en matière de société. On investit ces figures d’un message qu’elles ne sont pas censées porter », remarque la journaliste.
Et de poursuivre : « Si la reine Elizabeth II n’a jamais exprimé ses opinions personnelles, c’est justement pour être une femme miroir, et que tout le monde puisse projeter sur elle son propre idéal, et d’une certaine manière son propre fantasme. Ces héroïnes de fiction sont pareilles, chaque époque s’empare d’elles pour projeter ses propres fantasmes et enjeux, parfois très loin de la véritable personnalité historique de ces reines et princesses ».
Une historisation des violences faites aux femmes
Examen de virginité, viol conjugal, pression sur la fertilité… De Marie-Antoinette à The Great en passant par The Serpent Queen, ces séries décrivent des femmes aux prises avec un système patriarcal violent. « Ces destins permettent de revisiter les violences faites aux femmes puisque ces princesses et ces reines ont vécu ce qu’ont vécu les femmes qui nous ont précédées », commente la spécialiste des têtes couronnées.
Même dans la saison 5 de The Crown, disponible depuis mercredi sur Netflix. Lady Diana, tout juste séparée du prince de Galles, déclare au sujet de son mariage avec l’héritier du trône d’Angleterre : « On m’a appris à m’habiller modestement, à parler avec une voix basse, à marcher derrière mon mari et à toujours l’appeler monsieur. On m’a découragé à exprimer mes opinions et d’avoir une éducation, j’ai dû faire le serment d’être vierge avant d’être jugée apte à l’épouser. »
Ces reines et princesses sont aussi souvent les victimes « de campagnes de misogynie, de critiques, d’attaques extrêmement violentes », note encore l’experte. « Marie-Antoinette a même été accusée d’inceste avec son fils », cite Deborah Davis.
Au fil des épisodes, ces jeunes héroïnes, naïves et maltraitées, deviennent souvent d’habiles stratèges, capables de contourner les règles et même de s’emparer du pouvoir. « C’est cathartique pour des spectateurs d’aujourd’hui », note Adélaïde de Clermont-Tonnerre.
Des figures sacrificielles pour s’identifier
De Marilyn Monroe à James Dean en passant par Lady Di, « les personnalités avec une trajectoire extraordinaire, brisée d’un coup, ont toujours été un objet de fascination », souligne la directrice de la rédaction de Point de vue. Et d’ajouter : « Marie-Antoinette serait morte en tombant de cheval avant la Révolution, elle ne serait sans doute pas cette figure fascinante, sacrifiée et contestée qu’elle est aujourd’hui. »
« Ce qui plaît dans la monarchie, c’est que ce sont des figures sacrificielles », déclarait Stéphane Bern lors de la conférence « La royauté en séries : fantasme ou réalité ? » qu’il a tenu lors de la dernière édition de Séries Mania. Si nous sommes tant fascinés par ces destins de princesses et reines malheureuses, « c’est parce qu’elles semblent avoir une vie de rêve, mais que par leurs malheurs, elles sont proches de nous », estime Adélaïde de Clermont-Tonnerre.
Des intrigues qui mêlent vie publique et intime
Les scénaristes de ces séries mêlent habilement vie publique et vie intime de ces princesses : « Lady Di semblait avoir la beauté, la richesse, etc. L’idée est de se dire qu’elle était comme nous, qu’elle aussi ne se sentait pas aimée, qu’elle aussi avait des problèmes avec la nourriture, etc. De nombreuses personnes peuvent s’identifier et cela rend cette personnalité très privilégiée, aimable », poursuit l’experte.
« On a besoin de s’évader, de rêver au travers des figures emblématiques, des personnes de chair et de sang, qui à la fois nous ressemble et nous entraîne dans un ailleurs un peu onirique », expliquait Stéphane Bern à Séries Mania. « La monarchie permet cette alliance narrative et romanesque extrêmement puissante du pouvoir et de l’intime. La famille, le pouvoir, l’amour, le sexe, l’argent, tout est concentré », renchérit Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Une vraie manne pour les scénaristes qui ne sont pas près de mettre fin au règne des princesses dans les séries !
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