INTERVIEW – Stéphane Bern : "Notre passé, c’est aussi notre avenir"

Le présentateur de Secrets d’histoire est également à la tête de la Mission Patrimoine que lui a confié le président. Sauver les monuments, il y croit dur comme pierre. Rencontre.

  • Stéphane Bern

Boulimique de travail, Stéphane Bern, de son propre aveu, ne prend des vacances que pour écrire. Son dernier ouvrage Les Secrets de… l’Élysée (Plon) a donné le top départ d’une rentrée chargée : « Ce n’est pas un livre sur les secrets du couple Macron, plaisante-t-il, mais sur l’histoire de ce palais ». On peut l’entendre tous les jours sur Europe 1 animer Historiquement vôtre, la tranche de 16 à 18 heures. Il continue Secrets d’histoire sur France 3 et Laissez-vous guider avec Lorànt Deutsch sur France 2. Côté fiction, on le retrouvera, toujours sur France 2, dans la série Bellefond, où il incarne un procureur justicier en marge du système.

C’est la cinquième année de la Mission Patrimoine. Comment se déroulent la sélection des sites et l’attribution des dotations  ?

Stéphane Bern : La mission que je mène consiste d’abord à inventorier le patrimoine en péril et à trouver de nouvelles formes de financement. Je me suis inspiré de l’Angleterre et j’ai eu l’idée du loto du patrimoine. Ce ne sont pas les autorités qui choisissent les monuments, ce sont les Français eux-mêmes grâce à une plateforme participative (www.missonbern.fr). Ensuite, on les sélectionne selon quatre critères : l’état général, le projet de valorisation, l’impact économique et le budget. Nous avons eu 4 800 demandes depuis cinq ans et nous avons sélectionné 745 monuments qu’il fallait urgemment sauver. Je choisis dix-huit sites emblématiques par an qui deviennent mes ambassadeurs. Le dernier jour d’août, j’annonce les cent autres sites qui seront aidés, un par département. En cinq ans, nous avons récolté 200 millions d’euros et nous avons d’ores et déjà sauvé 63 % des monuments.

Les bâtiments sauvés doivent-ils obligatoirement être ouverts au public par la suite ?

Il est vrai que l’on valorise plutôt ce qui est accessible au public, porteur d’ouverture culturelle, ou appelé à changer de vocation : des couvents peuvent devenir des centres d’accueil pour enfants autistes… Là je trouve qu’on est dans notre mission.

Ce ne sont pas nécessairement des édifices qui vont être muséifiés par la suite ?

Non, surtout pas. L’ancien palais de justice à Baugé-en-Anjou, dans le Maine-et-Loire, un magnifique édifice Napoléon III, va être transformé en centre des associations. Chaque fois, il y a un projet de valorisation tourné vers le service public.

À partir de quand considère-t-on qu’un site devient patrimonial ?

Le patrimoine, c’est ce qu’on a hérité du passé – qui peut être récent (XXe siècle). La mission essaye d’aider le patrimoine de proximité. On n’a pas besoin de moi pour les grands monuments emblématiques qui disposent de suffisamment d’argent et de mécènes. En revanche, le petit patrimoine, celui auquel on ne fait pas toujours attention, parle aux gens dans leur vie quotidienne. Et quand il est à l’abandon, les Français ont le sentiment qu’ils ont été abandonnés eux-mêmes.

Est-ce qu’il est souhaitable de tout sauver ?

Oui. Si un pays comme le nôtre n’est pas capable de protéger son patrimoine, comment voulez-vous qu’on sauve les gens ? On oppose parfois l’aide aux hommes et l’aide aux vieilles pierres. C’est pourtant la même chose. Quand on veut s’attaquer aux civilisations, on s’attaque aux pierres d’abord. Regardez en Afghanistan, où les talibans ont commencé par détruire les Bouddhas de Bâmyân… Notre passé, c’est aussi notre avenir. C’est ce qui nous relie à notre histoire, à notre identité, c’est un cadeau que les générations précédentes nous ont offert pour créer de la richesse. J’aimerais qu’on pense aux 45 000 jeunes qui pratiquent les métiers d’apprentissage qui sont enfin valorisés : couvreurs, tailleurs de pierres, maîtres verriers, charpentiers…

Est-ce que la notion de patrimoine a évolué aux yeux du public ?

C’est plutôt grâce au public qu’il s’est ouvert à beaucoup de choses. Je constate avec l’émission Le monument préféré des Français qu’on considère comme monument, la gare maritime de Cherbourg ou les chevalements miniers du Nord. On a tout un patrimoine industriel et ouvrier qui ne sert plus et qu’il faut reconvertir, des sites qui ont un intérêt à la fois moral, intellectuel, architectural : ils portent la mémoire des ouvriers des XIXe et XXe siècle.

Il y a quatre ans quand vous avez accepté la mission, certains historiens se sont opposés à vous et vous avez menacé de tout laisser tomber…

On ne les entend plus, notez. Ceux qui disaient que j’allais restaurer le trône et l’autel, les églises et les châteaux, en sont un peu pour leurs frais. Même Alexis Corbière (député LFI de Seine-Saint-Denis, NDLR), qui n’est pas spécialement fan de la mission, a été content que je remette un chèque de 100 000 euros à la mairie de Montreuil pour sauver les murs à pêches. Ce qui a failli me faire arrêter, ce n’est pas tellement les pisse-vinaigre, c’est l’inertie de l’État qui a failli me décourager. Mais les choses se sont arrangées. J’ai rué dans les brancards, j’ai poussé des coups de gueule pour y arriver, mais étant bénévole, je suis libre.

Est-ce qu’il n’y a pas un procès en illégitimité qui vous a été fait, comme quand vous jouez la comédie ?

Vous avez tout dit. Quand je fais le comédien, on dit que je suis illégitime. On n’a jamais posé la question à Virginie Efira ou à Line Renaud quand elles sont devenues actrices. Mais quand vous faites 4 millions de téléspectateurs pour votre premier film, ça calme les critiques. Pourtant je joue régulièrement au théâtre depuis des années. Pareil pour le patrimoine. Pardon, mais mes émissions ne parlent que de ça ! Et je pense avoir acquis une certaine légitimité en restaurant le collège royal du Thiron-Gardais où j’habite (dans le Perche, NDLR). Ce sont des gens mal informés qui me font ce procès mais il faut l’accepter. Ce n’est pas très grave.

Est-ce qu’à l’inverse, en multipliant les activités, il y a de votre part une recherche, peut-être inconsciente, de légitimité ?

Je ne me pose pas la question. Je vais là où mes goûts et mes désirs me guident. Le patrimoine et l’Histoire, je porte cela en moi depuis toujours, même si je n’ai jamais prétendu être historien. Je suis un raconteur d’histoires. Comédien, c’est un rêve de gosse. Maintenant, la vraie question, c’est : est-ce bien d’accepter une mission présidentielle alors que vous êtes un animateur apprécié du public ? J’entends les humoristes : l’ami de Macron, etc. Et puis je me suis dit que je ne le faisais pas pour Emmanuel Macron, mais pour mon pays.

Comment avez-vous vécu l’annonce de la mort de la reine d’Angleterre, personnellement et professionnellement ?

J’ai l’image de mon père qui est parti cette année et qui m’avait accompagné quand j’avais été décoré par la reine Elizabeth. Il lui avait dit « je suis très heureux de vous rencontrer parce que mon fils parle de vous depuis toujours. » J’ai le sentiment que les deux personnes qui ont beaucoup compté dans ma vie sont parties cette année. Sur le plan professionnel, vous n’avez pas le temps de souffler parce que votre téléphone est en feu, il faut gérer les priorités. Tout se bouscule, mais vous avez le temps de vous dire que c’est une page de la vie de chacun qui se tourne. Comme 83% des Britanniques on n’a connu qu’elle. On sent que c’est la fin d’une époque, la fin d’un monde.

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