On a lu « Vivre vite », un des quatre finalistes du Prix Goncourt 2022

  • Dernière semaine avant la remise du prix Goncourt, le 3 novembre.
  • Comme l’an dernier, vous allez pouvoir désigner le prix Goncourt des lecteurs de « 20 Minutes ».
  • Parmi les quatre finalistes, « Vivre vite » de Brigitte Giraud est paru le 24 août 2022 aux Éditions Flammarion.

Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande Vivre vite de Brigitte Giraud.

Sa citation préférée :

Je savais, intuitivement je savais, mais je voulais en être sûre, je voulais qu’on me dise qu’il m’avait attendue.

Pourquoi ce livre ?

  • Parce que c’est un voyage au cœur de ce que signifie ce mot capital : le sens. Un homme qui se tue à moto sur une route sans difficulté, ça n’a pas de sens ! A moins que… à moins qu’on ne le décrypte après coup, en faisant s’enchaîner selon une logique implacable tout ce qui semblait n’avoir aucun rapport sur le moment : et « si je n’avais pas téléphoné à ma mère », et « si Stephen King était mort le samedi 19 juin 1999 », et « si les accords de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne n’avaient pas été signés »… on peut aller aussi loin qu’on veut, et c’est vertigineux.
  • Parce que c’est vertigineux, mais tout est dans l’après-coup… inutile d’essayer de faire l’exercice avec nos vies : ce n’est qu’après qu’on peut interpréter les choix les plus anodins comme des maillons de la chaîne qui a mené à l’accident. Après coup, donc une fois que tout est terminé et qu’on ne pourra plus rien y changer. On pense à Raymond Aron, qui disait que « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » : de la même manière, à la simple échelle de notre quotidien, nous fabriquons notre destin, sans savoir lequel nous fabriquons.
  • Parce que Brigitte Giraud aurait pu réagir en cherchant à punir des coupables. Son mari roulait habituellement en Suzuki, et il est mort le jour où il a emprunté une Honda : or, voilà qu’on apprend que la première était un choix de bon père de famille, tandis que la deuxième était, selon ses propres mots deux jours avant l’accident, « une bombe à ne pas toucher ». Elle enquête et se rend compte que cette moto avait la réputation d’être dangereuse. Seulement voilà… « Vous savez comme il est nécessaire d’attribuer la faute. Même si c’est à soi. »
  • Parce que c’est aussi une exploration de la manière dont notre époque imprègne tous nos choix : en 1999, pas de portable avec lequel il aurait été si simple, aujourd’hui, d’envoyer le SMS qui aurait tout stoppé… en 1999, pas de pression pour qu’un homme s’abrite derrière un agenda au bord du burn-out pour éviter d’aller récupérer son fils à l’école… en 1999, un jeune couple en pleine ascension sociale suivait forcément le mouvement de gentrification qui l’a mené à acheter une maison avec garage en centre-ville… Brigitte Giraud fait revivre Claude, et toute une époque avec lui.
  • Parce que vous l’aurez compris, Brigitte Giraud ouvre 17 brèches dans le temps, dans lesquelles aurait pu s’engouffrer n’importe quel autre monde parmi les 131.072 possibles si on combine toutes ces bifurcations possibles. Sur ces 131.072 mondes, on sait que dans l’un, Claude est mort d’un accident de moto le 22 juin 1999 : c’est le nôtre. Et si on avait été dans n’importe lequel des 131.071 autres… ce ne serait pas arrivé. Du moins pas de cette manière, car que savons-nous de ces autres mondes ? Claude y aurait-il survécu, qui l’aurait suivi dans son destin funeste ? C’est sans fin…
  • Parce que oui, c’est sans fin : il y a bien plus de 17 bifurcations décisives dans la somme de nos vies. En revanche, il y a une certitude : cet enchaînement de hasards que nous ne pouvons pas maîtriser, nous pouvons nous l’approprier après coup, faire corps avec lui, en faire notre histoire et notre identité. Parce que finalement, si tout converge vers la question du sens de ce qui nous arrive, alors c’est aussi vers cette possibilité : enfin, clore un cycle et accéder à l’acceptation.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. La fin est déjà écrite depuis 1999 : le mari de Brigitte Giraud est mort dans un accident de moto le 22 juin 1999. Déjà écrite, mais à partir de quand a-t-elle été certaine ? On n’a jamais trouvé de cause à l’accident : et s’il y en avait une dans les engrenages minuscules qui l’ont précédé ?

Les personnages. Le livre est centré sur un homme disparu et décortique tout ce qui l’a mené à la mort. Pourtant, on a le sentiment de le rencontrer bien vivant : silhouette fine en perfecto, musicien et motard, père proche de son fils, « mélange de douceur et de désinvolture »… ce livre, c’est lui.

Les lieux. L’accident a eu lieu à Lyon : on sait exactement à quel feu rouge. Mais le texte, lui, nous mène de l’Algérie natale de Claude au quartier des canuts de Lyon, en passant par la ZUP où Brigitte Giraud et lui ont grandi. Toujours avec la moto, symbole autant de liberté « on the road » que de mort.

L’époque. Vivre vite ? Vivre de 1958 à 1999, quitter l’Algérie en 1962, prendre sa liberté dans les années 1970, s’installer dans les années 1980, être père dans les années 1990, mourir jeune avant l’an 2000… Vivre vite, mais ne pas quitter ce monde sans y laisser une marque toujours brûlante en 2022.

L’auteur. Quand le mari de Brigitte Giraud est mort, elle revenait de la signature des services de presse de son deuxième roman. Sa vie d’autrice a bifurqué, et Vivre vite est le deuxième roman qui évoque l’accident, après À présent en 2001. Entre les deux, une carrière riche et couronnée de plusieurs prix.

Ce livre a été lu avec l’envie de retenir le temps, moi aussi, en me laissant aller à la nostalgie des années rock que chroniquait Claude, le mari de Brigitte Giraud. Et grâce à eux, faire monter la nostalgie en découvrant sur YouTube Live fast, love hard, die young de Faron Young. Et si nous l’écoutions ?

20 Minutes de contexte

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