- Séries, jeux, livres, expositions… La figure du barbare est omniprésente dans la pop culture actuelle, et intéresse également les historiens.
- Outre les personnages musclés du monde de la fantasy, la civilisation Viking fascine tout particulièrement.
- « Les études sur les barbares ont toujours servi à une autodépréciation des civilisations qui produisent ces études, explique l’historien Bruno Dumézil. En parlant des autres, on parle de soi. En voyant une pureté chez les barbares, que nous aurions, nous, perdue, on s’apitoie, on se culpabilise. »
Il y a le Mage, l’Elfe, le Nain, mais tous n’ont d’yeux que pour… le Barbare. Le jeu de figurines culte Hero Quest a connu une réédition triomphale et très fidèle à son système de jeu et son design des années 1990. Autour de la table, au moment de choisir leur personnage, les quatre jeunes joueurs de 2022 ont pourtant le même débat que leurs aînés : qui va avoir l’honneur de jouer Rogar le Barbare ?
Avec sa grande épée et son physique à la Conan, le personnage fait l’unanimité malgré la concurrence des autres figurines. « Il est plus puissant, c’est lui qui frappe, c’est plus amusant que de lancer des sorts, analyse, pragmatique, Paul, dix ans. » Son comparse, Adrien, 15 ans, renchérit : « Le Nain et l’Elfe sont sympas mais jouer un barbare, c’est plus amusant. On n’est pas obligé de réfléchir et de jouer tactique, on peut juste foncer dans le tas. »
Conan le précurseur
L’attrait de ces jeunes fans de fantasy pour un barbare musclé en slip de peau de bête fait écho à une tendance plus générale : le barbare a le vent en poupe. Netflix, avec une série animée, et Mattel, avec une nouvelle gamme de jouets, ont ressorti Musclor de la naphtaline. Après un jeu de figurines (encore un) ayant récolté des centaines de millions d’euros via Kickstarter, Conan le Barbare est l’objet de nombreux projets : films, séries…
Si Conan connaît depuis quelques années un retour en grâce en même temps que son auteur, Robert E. Howard dont les œuvres sont enfin étudiées, il y a aussi toute la galaxie des franchises fantasy actuelles qui mettent en avant la gloire du barbare. Dans Game of Thrones, les sauvageons du Nord sont très valorisés, par exemple (Ygrit et Tormund dans nos cœurs…). Et même l’antique Star Wars prend soin, dans ses nouveaux développements de soigner le portrait de ses barbares. Dans la série de Disney, Le Livre de Boba Fett par exemple, les Tuskens (les Hommes des sables qui effrayent Luke et font d’Anakin le futur Dark Vador) ne sont plus d’anonymes sauvages sanguinaires, mais un peuple nomade avec sa culture et ses traditions…
Les pas-nous
Parce que l’intérêt croissant de la pop culture pour les barbares s’accompagne tout naturellement d’un passage à la moulinette des valeurs de notre temps. Sanguinaires, certes, mais avec des valeurs… Cet étrange rapport amour-haine pour les barbares ne date pas hier, comme l’explique Bruno Dumézil, historien qui a coordonné l’ouvrage Les Barbares.
« La définition du terme barbare est très simple dans l’Antiquité. Il désigne tous les peuples qui ne sont pas romains. Plus tard, le terme a pris d’autres sens, mais il a gardé cette idée de peuples « extérieurs à nous », le barbare représente l’altérité. »
Le barbare devenu roi de France
Une exposition au Musée d’Archéologie Nationale, dont Bruno Dumézil est l’un des commissaires, avec Fanny Hamonic, propose de mieux connaître un célèbre barbare : Clovis. « Clovis a été perçu comme un barbare qui a réussi, à partir du XIXe siècle. Mais il était un général en chef et consul en Gaule. Il était romain, et même membre de l’aristocratie romaine. Pour des raisons nationalistes et idéologiques, on a fait de Clovis le symbole du barbare qui fait le choix de devenir chrétien et français. »
Pour les Français d’aujourd’hui, Clovis est encore ce « barbare devenu roi. » Un cliché qui date, raconte Bruno Dumézil : « Dans les livres d’histoire de la IIIe République, Clovis est présenté comme un personnage un peu enfantin, spontané… Mais comme il a bien écouté à l’école, il devient roi. C’est ça l’histoire qu’on raconte aux enfants de la IIIe République. On utilise la figure du barbare qui s’extirpe de sa condition pour éduquer les jeunes enfants. »
Rogar et son coeur d’or
Mais alors, quel rapport entre Conan le Cimmérien, Rogar le pourfendeur d’orcs et Clovis ? Leur profondeur cachée. Autour de la table de jeu Hero Quest, la partie vire vite au jeu de rôle. Et derrière ses muscles bandés, le Barbare cache un cœur d’or. « En fait, c’est sa mère qui lui a appris à manier son épée avant de mourir, et il est devenu guerrier pour protéger ses petites sœurs », imagine Laura, 12 ans.
« C’est le propre du barbare d’être plus positif que ce qu’il ne paraît, explique Bruno Dumézil. Dans la pop culture mais avant ça chez Tacite ou Montaigne, la barbarie est positive. Le barbare est plus proche de la nature, il commet des meurtres « naturels »… »
Et pour ces raisons, ça fait bien d’avoir du barbare dans son arbre généalogique. « Les civilisations tiennent à avoir des ancêtres dynamiques. On fantasme sur leur part de sauvagerie, mais aussi sur leur lien avec la nature, sur leur bon sens… Avant Clovis, Vercingétorix a représenté cette part barbare de nous-même que la civilisation a su canaliser, raisonner. »
Des Vikings nous envahissent (encore)
En attendant une série Netflix sur Clovis ou Vercingétorix, on peut regarder la saison 2 de Barbares, qui débarque ce vendredi. On y suit des barbares germaniques combattre (et fricoter avec) l’envahisseur romain. Si elle n’a pas encore le succès de Vikings, Barbares repose sur le même procédé.
« En ce moment, il y a une passion pour les Vikings qui représentent les barbares parfaits : violents, dominateurs et païens, mais aussi blancs, et donc facilement appropriable par les Européens », analyse Bruno Dumézil.
On ne compte plus les œuvres et études sur les Vikings. National Geographic leur a récemment consacré une série documentaire passionnante. La série déjà culte s’est achevée mais connaît un spin-off Vikings : Valhalla. Le youtubeur Nota Bene, grand connaisseur du monde viking, leur a consacré un ouvrage.
Témoin de civilisation
Et dans un registre humoristique, Wilfrid Lupano et Ohazar ont publié le premier tome de la bande dessinée Vikings dans la brume. « Je me suis intéressé aux Vikings pour le côté civilisation disparue, explique le scénariste Wilfrid Lupani. Nos Vikings vivent la fin de leur civilisation, qui va être englobée dans quelque chose d’autre, le christianisme. L’humour naît du décalage entre des gens issus d’une civilisation prédatrice et violente en rupture avec le nouveau monde. Ils sont perdus, leurs valeurs ne signifient plus rien. J’y vois un parallèle avec notre civilisation capitaliste, et sa violence absurde… »
Pour que cette approche des barbares du Nord fonctionne, le dessinateur Ohazar a pris sa tâche très au sérieux : « Quand on fait des gags avec des barbares, c’est facile de les caricaturer. Mais j’ai trouvé plus intéressant, au contraire, de coller au maximum à la réalité historique. Dans les tenues, dans les coutumes… On rend hommage à cette civilisation, qui a navigué jusqu’en Amérique bien avant tous les autres Européens, qui a fait des raids sur Séville, la Sicile… Ils ont disparu mais les Vikings ont réalisé de grandes choses, ils ne faisaient pas que boire dans des crânes ! »
Le barbare en nous
Historiques ou issus d’un monde fantastique, les barbares en majesté en disent bien évidemment beaucoup sur nous autres, civilisés de 2022. « Les études sur les barbares ont toujours servi à une autodépréciation des civilisations qui produisent ces études, explique Bruno Dumézil. En parlant des autres, on parle de soi. En voyant une pureté chez les barbares, que nous aurions, nous, perdue, on s’apitoie, on se culpabilise. C’est un discours dangereux, utilisé notamment par les nazis qui ont cherché une ascendance glorieuse chez les peuples païens. »
Du barbare comme « celui qui n’est pas nous » au barbare qui sommeille en nous pour en arriver au barabre qui nous révèle à nous-même, la figure – hstorique ou mythologique – mérite mieux qu’une caricature. La jeune joueuse d’Hero Quest se rend digne de cet héritage en avisant la figurine du barbare Rogar : « Il est étrange son visage, on ne sait pas trop si il rigole ou si il pleure. »
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