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- Depuis onze ans, Guillaume Musso est l’écrivain le plus lu en France.
- Alors que l’auteur vient de sortir son 20e roman, « Angélique », France 2 a lancé lundi la minisérie « La Jeune Fille et la Nuit », la première adaptation télévisée d’une de ses œuvres.
Guillaume Musso est l’auteur le plus lu en France depuis onze ans. Il est traduit en 45 langues. Avec son 20e roman, Angélique (Calmann-Levy), publié le 20 septembre, le romancier s’est hissé en tête du classement des ventes avant de se faire dépasser… par lui-même avec la version poche de L’inconnue de la seine. Lancée ce lundi sur France 2, la minisérie événement La Jeune Fille et la Nuit, adaptation du campus novel éponyme vendu à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde, est la première adaptation télévisuelle d’une de ses œuvres. Rencontre avec le romancier au succès phénoménal.
Pouvez-vous présenter le roman « La Jeune Fille et la Nuit » ?
Quand j’ai pitché le roman à mon éditrice, je lui ai dit que je voulais faire « Twin Peaks au pays de Pagnol », quelque chose de choral dans une microsociété, un lycée du sud de la France, avec une fille disparue qui fascine tout le monde. Ma première référence était le film Laura d’Otto Preminger, où tout le monde parle de Laura, qui est morte, et chacun raconte sa vérité sur elle. Là, chacun raconte sa vérité sur Vinca. J’assume aussi celle à David Lynch.
Comment est né ce projet d’adaptation ?
Je passe mon temps à refuser des adaptations. A chaque sortie d’un de mes livres, j’ai une trentaine de demandes, mais souvent pour de mauvaises raisons. Des producteurs veulent acheter le livre n° 1 des ventes, sans vision artistique. La base, c’est la rencontre avec Sydney Gallonde [le producteur de la minisérie]. Il m’a proposé d’adapter l’un de mes romans avant d’aller voir Harlan Coben. Cela ne s’est pas fait, mais on est devenu amis. Je m’étais toujours dit que j’aimerais faire la première série adaptée d’un de mes romans avec lui. Sydney a lu tous mes livres. On a réfléchi longtemps lequel adapter et pourquoi le faire ? À partir du moment où il y a eu ce roman, La Jeune Fille et la Nuit, on s’est dit que c’était le moment.
Et pourquoi ce roman en particulier ?
Ce roman est un suspens sur deux périodes, avec des allers-retours constants entre aujourd’hui et vingt-cinq ans auparavant. Ce roman se passe où j’ai grandi, dans le sud-est de la France. Cela a ouvert la porte à des souvenirs d’adolescence. Ce livre a rencontré un public très large, intergénérationnel, dans des territoires très différents. Il y a un côté très universel dans cette histoire à la fois locale et internationale. Le lycée s’inspire du centre international de Valbonne où j’ai enseigné. Je voulais qu’on tourne là-bas. Tout était en place pour que cela ait du sens.
Comment avez-vous collaboré sur cette adaptation ?
Sydney m’a proposé d’écrire la série, mais je ne suis pas scénariste. Je suis romancier, j’adore la forme du roman et je n’étais pas prêt à franchir le pas. Pendant deux ans, on s’est parlé tous les deux jours avec Sydney : il me faisait remonter les textes, on a collaboré sur le choix des acteurs, des diffuseurs, etc.
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Ne se sent-on pas dépossédé quand son roman est porté à l’écran ?
L’idée était de respecter l’esprit. Et après et Seras-tu là ?, deux de mes romans ont été déjà été adaptés au cinéma. Je ne suis pas un romancier interventionniste dans le sens où je ne me sens pas comme le gardien du temple. Je ne veux pas que mes adaptations soient de simples mises en images, mais je suis assez curieux de voir ce qu’un autre créateur peut faire à partir de mon roman. L’esprit et les rugosités du roman ont été respectés, c’est mission accomplie. Le reste, ce sont des détails. Je suis persuadé que les lecteurs seront plutôt contents.
Quel est l’esprit de l’œuvre « La Jeune Fille et la Nuit » ?
C’est un roman sur la complexité qu’on porte tous en nous : les désirs, les ambiguïtés, les ambitions, les tourments, le ressentiment, l’impression de ne pas être à sa place, celle d’être passé à côté de sa vie et la question : « Reste-t-il une marge de manœuvre passé un certain âge ». C’est le cœur du roman. J’essaye de comprendre et pas de les juger mes personnages. La série retranscrit bien ça. On pose les personnages et on comprend pourquoi chacun a eu une bonne raison de se comporter comme il l’a fait. Cela fait écho au livre et c’est réussi.
Selon vous, quels étaient les principaux challenges pour le scénariste ?
Il s’agit d’un roman raconté à la première personne, il a fallu trouver un côté choral à la narration.
Avez-vous mis un peu de vous dans cet écrivain qui mène l’enquête ?
Oui. J’ai toujours pensé qu’écrire un roman, c’est mener une enquête sur soi-même. On apprend pas mal de choses sur soi. C’est un roman très personnel sans être autobiographique. Je n’ai jamais tué quelqu’un… L’histoire policière est de la pure fiction. Mais il y a quantité d’interrogations, de problématiques, de ressentis qui font écho à l’élève que j’ai pu être. C’était novateur dans mon écriture d’accepter cette part personnelle dans mes romans.
Qu’est-ce que cela fait de voir vos personnages incarnés à l’écran ?
J’ai participé au choix des acteurs, à la cohérence de l’interprétation, de l’univers, des décors. J’étais donc parfaitement à l’aise. J’ai retrouvé les personnages que j’avais en tête.
Les gens consomment de plus en plus de fiction, est-ce plus difficile d’écrire pour un lectorat de plus en plus averti ?
Clairement ! Je me considère en compétition avec les séries et les plateformes. J’ai envie que lorsqu’un de mes romans sort, que le lecteur ait envie de retrouver mon roman plutôt que de se brancher sur Netflix ou autre. Après, cela challenge aussi. Les gens sont plus ouverts à des formes de narration complexe. La Jeune Fille et la Nuit se déroule sur deux époques, et c’est très fluide de passer de l’une à l’autre. Il y a vingt ans, cela aurait été peut-être plus compliqué pour tout un tas de spectateurs. Aujourd’hui, tout cela est banal, parce que de nombreuses séries le font. Comme il y a de bonnes séries, vous pouvez parfois être jaloux d’une idée. Cela donne envie de se mettre des contraintes pour essayer de surprendre. J’aime cette idée d’émulation dans la dramaturgie, la façon de raconter des histoires.
Les séries nourrissent-elles votre créativité ?
Tout fait farine dans mon moulin. Tout me nourrit : mon expérience de la fiction, des livres, des films, des séries… La gestation d’un livre est toujours lente et dure plusieurs années. C’est toujours très fragile. Angélique est mon 20e livre, et ce n’est pas parce que vous en avez écrit 19 avant que vous allez savoir écrire le 20e. On dit souvent : « Il a trois grandes règles pour écrire un roman, malheureusement, personne ne les connaît ». Il y a des méthodes, des savoir-faire, mais pas de règles. Un roman réussi, c’est comme une histoire d’amour réussie. Une histoire d’amour réussi, c’est lorsqu’on rencontre la bonne personne au bon moment. Un roman réussi, c’est lorsqu’on a une bonne histoire et qu’on est à un moment de sa vie où l’on est capable de la raconter de façon juste, pertinente et innovante.
Vous n’avez pas envie d’écrire un scénario comme Frank Thilliez ou Marc Levi ?
L’envie est là. Après, il faut avoir une bonne raison de le faire, trouver le bon projet, et le bon partenaire. Cela prend du temps. Les demandes ne manquent pas. Mon critère est le suivant : « Est-ce que j’aurai envie de regarder cela en tant que spectateur ? » Si c’est non, cela ne sert à rien de faire une série de plus. Je n’ai pas besoin de ça pour vivre.
Quelle est l’intention de votre nouveau roman « Angélique » ?
Je voulais partir d’un personnage très ambigu, trouble. Je suis un grand lecteur de Patricia Highsmith. Elle savait très bien mettre en scène ces méchants qu’on adore détester comme Monsieur Ripley. J’ai toujours eu envie d’oser faire ça. Il y a une part de transgression quand on se met dans la tête d’Angélique, et qu’on raconte cela à la première personne. Vous prenez un risque, il faut trouver cette voix-là. J’avais aussi envie d’assumer une ironie dramatique forte, à savoir une asymétrie d’informations entre ce que le lecteur sait et le personnage. Comme dans un épisode de Columbo, le lecteur apprend plus de choses très vite que le personnage. Comment garder un suspense très fort, avec cette contrainte ? Je crois très fort dans la contrainte créative. Au bout de 20 livres, on se lance des défis de plus en plus compliqués. C’est ce qui procure l’excitation et l’envie d’ouvrir son ordinateur le matin.
Votre éditrice britannique estime que votre singularité vient du fait que vos lecteurs ont un peu l’impression de résoudre eux-mêmes l’énigme…
Je tiens beaucoup à cette littérature immersive. J’essaye de soigner les détails d’atmosphère. Simenon disait : « Au lieu de dire : « Il pleut », dites : « Je suis mouillé » ». Quand j’écris, par petite touche, j’essaye d’amener le lecteur dans une sorte, non pas de métavers, mais de réalité fictionnelle, qui va faire comme si vous étiez dans un livre dont vous êtes le héros. C’est un héritage d’Hitchcock. J’écris mes personnages comme Hitchcock filme les siens, à hauteur d’hommes.
Parlez-nous de votre processus créatif…
Adolescent, j’ai découvert Kieślowski. Il trouvait les tournages fastidieux. La véritable création, le moment excitant, c’était devant la table de montage. Moi, pareil. L’écriture du premier jet, c’est pénible, long, un travail besogneux. Le travail créatif vient quand j’ai 500 pages et, qu’à la manière d’un réalisateur, je fais mon montage. J’ai écrit 4 versions de la fin d’Angélique. Après, je me demande laquelle fonctionne le mieux. Quand vous prenez cette décision, cela oblige à revenir en arrière, à réécrire des scènes. Comme avec un jeu Lego, on déplace les briques et à un moment, on a le château construit ! On est content d’être arrivé au bout et que les fondations tiennent.
Prix Raymond-Chandler en Italie, « Le maître français du suspense » selon le New York Times. Comment expliquez-vous qu’en France une partie de la critique et les prix littéraires vous snobent ?
Je ne l’analyse pas. J’ai la chance d’occuper aujourd’hui la place dont je rêvais à 15 ans. A 15 ans, je lisais Pagnol, Barjavel, Stephen King, je voulais raconter des histoires et je rêvais que les lecteurs les attendent. J’occupe cette place-là ! Je rencontre beaucoup de jeunes qui veulent écrire, aucun d’eux me dit : « Je veux écrire pour avoir un prix ». Pour moi, il y a zéro problème. J’adore être à la place où je suis, je suis heureux comme ça. Je n’ai jamais rêvé de prix ou de critiques dithyrambiques dans des journaux intellectuels. C’est très bien que tout cela existe, mais cela m’est assez étranger. Je n’échangerai pas ma position contre une autre.
« Angélique » est votre 20e roman, quel regard portez-vous sur l’évolution de votre carrière d’écrivain ?
J’ai eu la chance que les lecteurs me suivent dans des genres très différents. Mes premiers romans étaient des romans surnaturels, il y a eu une époque un peu plus thriller, et maintenant, c’est davantage des romans de l’intime, disons, des romans à suspenses psychologiques. C’est ce qui m’intéresse à l’instant T, à 48 ans. J’ai eu la chance de conserver des lecteurs, et d’en voir plein d’autres arriver, notamment au moment du confinement : j’ai reçu plein de messages de jeunes, confinés chez leurs parents, qui m’ont découvert dans la bibliothèque familiale. J’ai fait une jonction entre plusieurs générations. Cela m’a ravi et étonné. En avançant en âge, ayant l’impression d’écrire des livres un peu torturés et noir, je me demande parfois s’il n’y a pas un malentendu. Quand le truc dure, on se dit qu’il y a un besoin de romans agréables à lire, ludiques, mais qui brassent des thématiques un peu plus sombres. J’ai parlé de cela avec Pierre Lemaître, parce qu’on a cette même vision : on est fiers que nos romans attirent des lecteurs qui nous lisent pour des raisons différentes. Un livre acheté est lu par trois ou quatre personnes, mes livres circulent. Dans notre société fracturée, il y a peu de produits culturels qui rassemblent. Qu’un concert, un match de foot rassemble, je trouve cela beau. Je suis content d’amener ma pierre à cet édifice-là.
Quels challenges avez-vous envie de relever dans le futur ?
On ne peut jamais savoir. A chaque fois, j’ai l’impression d’arriver peut-être au dernier livre. J’ai toujours du mal à m’y remettre. Un nouveau livre, c’est se retrouver pieds nus devant l’Himalaya ! Je n’ai aucun plan de carrière, les choses se font. Cette incertitude-là fait la beauté et l’excitation de cette activité artistique.
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