- La palpation des seins, nécessaire mais pas suffisante
- Une mammographie dès 45 ans peut-elle changer la donne ?
- Le dépistage généralisé, entre craintes et oppositions
- Mammographie tous les 2 ans : des études plutôt rassurantes
- Des progrès techniques encourageants
- Vers une surveillance personnalisée pour les femmes à haut risque
- Et après 74 ans ?
58 000 nouveaux cas de cancers du sein sont diagnostiqués chaque année en France. Beaucoup d’entre eux le sont grâce au dépistage organisé du cancer du sein, qui concerne toutes les femmes entre 50 et 74 ans, sans symptômes et n’ayant pas de facteurs de risque particuliers de cancer du sein, autre que leur âge. À travers ce programme, elles sont invitées, tous les 2 ans, à réaliser une mammographie et un examen clinique des seins auprès d’un radiologue agréé.
Mais, « en dépit des progrès thérapeutiques, la maladie cause toujours 12 000 décès annuels, constate le Dr Brigitte Letombe, gynécologue auteure de Femmes, réveillez-vous (éd. First). Néanmoins, le diagnostic précoce et l’amélioration de la prise en charge permettent de diminuer régulièrement la mortalité et de guérir plus de 3 cancers sur 4, parfois même 90% d’entre eux si la tumeur est détectée suffisamment tôt, à moins de 2 cm ».
C’est justement pour réduire encore le taux de mortalité que Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé, exhorte d’élargir le dépistage organisé, en incluant les femmes dès 45 ans. Elle recommande également le recours à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour celles dont les seins sont particulièrement denses, car moins lisibles à la mammographie. Selon l’Institut National du Cancer, le taux de survie est de 99% à cinq ans lorsque le dépistage est réalisé à un stade précoce.
La palpation des seins, nécessaire mais pas suffisante
Une palpation annuelle chez un.e gynécologue, un.e sage-femme ou un.e médecin généraliste est fortement recommandée, ainsi qu’une auto-palpation mensuelle, pour repérer une grosseur inhabituelle, plus ferme que le tissu mou alentour. Mais cet examen ne remplace pas la mammographie.
« Une tumeur met environ sept ans à atteindre 1 mm, neuf ans pour 5 mm et dix à onze ans pour 1 cm. C’est seulement autour de ce calibre qu’elle devient détectable à la palpation, explique le Dr Brigitte Letombe. Or la mammographie permet de distinguer une tumeur moitié moins grosse, par simple modification de sa structure (avec des micro-calcifications) : elle fait ainsi gagner quelques années sur le diagnostic ».
Le dépistage organisé présente un autre avantage : une double lecture des clichés, effectuée par deux radiologues différents, ce qui réduit les risques qu’une tumeur passe entre les mailles du filet. Environ 10% des tumeurs sont ainsi repêchées.
Une mammographie dès 45 ans peut-elle changer la donne ?
« La mammographie est moins performante sur les femmes de 45 ans, car leur densité mammaire est encore importante, ce qui rend la lecture des clichés plus difficile », assure le Pr François-Clément Bidard, oncologue médical à l’Institut Curie. Par ailleurs, la grande majorité des cancers du sein (85%) survient chez les femmes de plus de 50 ans, c’est pourquoi le programme national de dépistage organisé cible les 50 à 74 ans.
Cela n’empêche pas un dépistage individuel, prescrit par le médecin traitant ou le gynécologue, pour les femmes plus jeunes ayant un facteur de risque identifié (antécédents familiaux notamment).
« L’entrée ou non dans le dépistage pourrait être discutée entre le médecin et sa patiente dans le point santé prévu à 45 ans que souhaite mettre en place le ministère de la santé », estime le Dr Suzette Delaloge, oncologue médical, directrice du programme de prévention personnalisée des cancers à l’Institut Gustave Roussy. Malgré les limites d’un dépistage jeune, « on sait qu’il diminue tout de même de 20% le risque relatif de mortalité par cancer du sein », poursuit l’experte. D’autant que de plus en plus de femmes jeunes sont touchées par le cancer du sein, et notamment l’un des sous-types les plus agressifs : le triple négatif.
« L’avis de la commissaire européenne à la santé n’est que consultatif, remarque de son côté le Pr Bidard. La France n’est pas obligée de le suivre. D’autant qu’il y a un problème plus important à régler avant d’abaisser l’âge : le peu d’adhésion au programme actuel de dépistage organisé. En effet, seules 50% des femmes y adhèrent, ce qui est nettement insuffisant, même si on ajoute les 20% de femmes qui réalisent un dépistage individuel sur prescription médicale ».
Le dépistage généralisé, entre craintes et oppositions
Par négligence, par manque de temps, par manque d’informations ou par peur du résultat, nombre de femmes ne profitent pas du dépistage organisé. « Certes la mammographie est un examen inconfortable, désagréable et parfois douloureux (les seins sont aplatis et pressés pour être plus lisibles, ndlr) », admet le Dr Letombe. Mais les autres craintes doivent être relativisées.
Soumettre ses seins aux rayons X peut certes générer quelques cancers radio-induits, mais « les mammographies ne représentent en France que 2% de l’exposition totale de la population aux rayons ionisants », affirme l’Institut National du Cancer. Une femme qui suit les recommandations du programme de dépistage organisé passera 13 mammographies au total, ce qui équivaut à un quart de l’exposition aux rayons ionisants provoquée par un scanner abdominal ou pelvien.
Le risque de cancer radio-induit est de 10 femmes pour 100 000 dépistées tous les deux ans, alors que pour ces mêmes 100 000 femmes, le nombre de vies sauvées est de 350, selon une étude norvégienne publiée dans la revue scientifique Acta Radiologica.
« On reproche aussi au dépistage le sur-diagnostic de tumeurs qui seraient finalement inoffensives, poursuit le Dr Letombe. Mais nul ne peut être sûr qu’une tumeur de quelques millimètres ne va pas évoluer à plus ou moins long terme. De mon point de vue, je préfère engager des femmes à se faire traiter et cela sans hésiter », soutient la gynécologue.
Mammographie tous les 2 ans : des études plutôt rassurantes
Les femmes qui réalisent une mammographie des seins tous les deux ans environ, auraient 40% de risque en moins de mourir d’un cancer du sein, d’après une étude menée sous l’égide de l’OMS et divulguée dans The New England Journal of Medicine. Ce gain tombe à 23% en cas de mammographie moins régulières.
« En Alsace, on mesure la différence entre les femmes diagnostiquées dans le cadre du dépistage organisé et en dehors, précise le Pr Carole Mathelin, chef du service sénologie du CHU de Strasbourg. Les premières se voient détecter des tumeurs de moins de 4 mm, les secondes de 20 mm. C’est loin d’être anodin ».
Avec une tumeur de 4 mm, la guérison est assurée à 95 %. Sans atteinte ganglionnaire, le traitement se limite à une chirurgie conservatrice, suivie d’une radiothérapie, mais sans chimiothérapie. « En revanche, avec une tumeur de 20 mm, la guérison n’est plus assurée qu’à 75 % et au prix d’une mastectomie et souvent d’une chimiothérapie », constate le Pr Mathelin.
Des progrès techniques encourageants
L’imagerie médicale a énormément évolué au cours des dernières années. Les appareils de mammographie actuels offrent en effet une meilleure résolution que par le passé, ce qui permet une détection plus fine des anomalies, avec une irradiation plus faible.
Les nouveaux mammographes 3D – tomosynthèse mammaire – sont particulièrement performants. En visualisant le sein sous différents angles, ils délivrent des images numériques plus claires et plus précises susceptibles de révéler des petites tumeurs, invisibles en imagerie 2D.
Les risques de passer à côté d’une tumeur mammaire invasive seraient notamment réduits de 41%, selon la Faculté de médecine de Pennsylvanie. Et le risque de faux positif, qui impose des examens complémentaires inutiles et anxiogènes, est aussi également revu à la baisse. Ce matériel de nouvelle génération n’équipe cependant pas encore tous les centres de radiologie et n’est pas encore pris en charge dans le cadre du dépistage organisé.
Vers une surveillance personnalisée pour les femmes à haut risque
Une femme ayant des antécédents familiaux de cancer du sein et/ou des ovaires avant 50 ans (ou au moins deux cas présents dans la famille proche) a plus de risque de développer un cancer mammaire. Une consultation d’oncogénétique peut dans ce cas s’avérer nécessaire pour évaluer le niveau de risque individuel et rechercher éventuellement la présence d’un gène de prédisposition (BRCA1 ou BRCA2) nécessitant un suivi plus précoce et rapproché. Parlez-en à votre médecin traitant.
Pour les autres femmes, une surveillance personnalisée en fonction de leur niveau de risque individuel semble pertinente. « Au lieu de proposer à toutes une mammographie biennale, celles à haut risque pourraient bénéficier d’une fréquence de dépistage plus élevée et celles à faible risque un dépistage plus espacé dans le temps (environ tous les 4 ans) », explique le Dr Suzette Delaloge. L’étude clinique européenne MyPeBS qu’elle pilote vise justement à démontrer que ces modalités de dépistage sur mesure donne de meilleurs résultats – ou est au moins aussi efficace – que le dépistage organisé actuel.
L’âge, en effet, ne peut pas être le seul critère de sélection de participation au dépistage. Le niveau de risque des 56 000 femmes de 40 à 70 ans qui seront à terme incluses dans MyPeBS est évalué sur la base de plusieurs facteurs : le statut hormonal (âge des premières règles, nombre de grossesse…), la densité mammaire, le poids, la sédentarité, l’exposition à des toxiques… mais aussi l’analyse de leur ADN par test salivaire (score de polymorphisme).
Bien que l’espoir soit immense – sauver plus de femmes en réduisant le nombre de cancers diagnostiqués à un stade avancé et réduire l’exposition aux rayons ionisants des autres femmes -, les résultats de cette étude ne seront pas connus avant 2027.
Et après 74 ans ?
« Le dépistage doit se poursuivre, assure le Dr Delaloge, car on voit trop souvent des femmes âgées diagnostiquées avec des lésions déjà très avancées. À partir de 75 ans, un dépistage clinique annuel doit continuer à être réalisé. Et si la patiente est en bonne santé, une mammographie peut aussi être envisagée, seulement tous les 3 à 4 ans si ses seins sont peu denses ».
À cet âge, le dépistage individuel reste en effet important, mais le risque de su-rdiagnostic l’est aussi (environ 40%). « Il ne s’agit pas d’abandonner les femmes de plus de 75 ans, mais de ne pas les embêter non plus avec d’éventuelles chirurgies, radiothérapies et hormonothérapie inutiles si elles souffrent déjà de plusieurs facteurs de comorbidités », souligne le Dr Delaloge.
La décision doit donc être prise au cas par cas.
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