Poésie d’un ciel aussi vrai que nature, délicatesse d’un paysage en trompe-l’oeil, raffinement d’une patine précieuse, magie d’une peinture monumentale exécutée à main levée… Quels murs blancs peuvent se vanter de susciter autant d’émotions que les décors de ces esthètes de la fresque ? Portés par le retour en grâce de la peinture décoratives ces staffeurs, ornemanistes, fresquistes ou street-artistes que nous vous présentons remettent au goût du jour des savoir-faire ancestraux ou développent leurs propres techniques avec un seul but en tête : métamorphoser nos murs en leur donnant un supplément d’âme. Quel que soit leur âge ou leur formation, qu’ils utilisent des pinceaux, des truelles, de la feuille d’or ou de l’aérosol, des échafaudages ou de la colle à carrelage, ces explorateurs transforment la moindre cloison en terrain de jeu. Vous voulez jouer vous aussi ? Nous vous aidons à franchir le cap du décor texturé et du panoramique précieux avec cinq conseils pour habiller vos murs sans faux pas.
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Les fresques murales de Koralie et Supakitch
Elle aime la symétrie et la répétition, l’architecture et l’artisanat, les motifs ethniques et la phyllotaxie (la disposition des feuilles sur les tiges d’une plante). Son truc à lui, c’est l’élément liquide, la lumière, le rythme des compositions mi-figuratives mi-abstraites, la peinture libre à pinceau levé. “Nous avons des univers différents, un travail personnel et des carrières indépendantes, insiste Koralie. Nous sommes occupés chacun de notre côté, mais nous avons décidé que les commandes de fresques, c’était pour nous deux.” L’occasion de fusionner leurs styles, de conjuguer leurs techniques comme le pochoir, l’aérosol ou l’acrylique au pinceau et de s’offrir “un moment de créativité en commun”. En couple à la ville comme à la fresque depuis plus de vingt ans, le duo a parcouru le monde pour marquer de son empreinte des murs d’immeubles à Clamart, de cinéma à Bayonne ou de mairie à Asbury Park, aux États-Unis. “Nous sommes solitaires dans nos ateliers et nous partageons sur les murs ce que nous avons de plus intime : notre art, explique Koralie. Il nous a fallu des années pour trouver un équilibre de travail tant nos processus créatifs sont différents, même si le thème commun de la nature nous lie. Avant de s’attaquer à un mur, nous échangeons beaucoup, nous proposons des idées, nous rebondissons sur la composition et le choix des couleurs jusqu’à la dernière minute.” Un dialogue visiblement fructueux, si l’on en juge par la beauté de leurs fresques aussi monumentales que foisonnantes.
Les murs haute couture de Cécile Gauneau et Anna Luchini
« La première fois qu’on m’a commandé un mur à la feuille d’argent, j’ai dit oui sans savoir comment le faire. Je suis entrée à l’atelier et j’ai appris.” Depuis les années 90, Cécile Gauneau est devenue une experte de ce qu’elle nomme “la haute couture du mur”. Le dessin, elle maîtrisait déjà ; le graphisme, elle l’a appris à l’Ensaama- Olivier de Serres ; la direction artistique, elle l’a expérimentée dans le monde de la publicité, avant de tout plaquer. Quant aux procédés, elle les a perfectionnés avec le temps. L’entreprise qu’elle a lancée à la naissance de sa fille Anna Luchini compte cette dernière dans ses rangs depuis six ans en tant que seconde peintre ornemaniste. Travail de la feuille d’or et de la nacre, peinture sur tweed ou sur velours, lin patiné ou tables gravées : tous les projets sont désormais réalisés à quatre mains. “J’ai mis au point beaucoup de techniques, raconte Cécile Gauneau. En travaillant avec les architectes et les décorateurs, j’ai écouté leurs envies et fait des tests.” On découvre ainsi une toile peinte à la poussière de cuivre oxydé, des panneaux décoratifs peints sur toile apportant vibration et matière au mur ou des cavaliers peints sur tweed sur 24 mètres de long pour le restaurant Le Royal Champagne, dans la Marne. Créative et innovante, cette entreprise ne connaît pas la crise.
L’art du trompe-l’oeil remis au goût du jour par Eloïse D’Argent et Frantz Wehrlé
“Pour vous, la discipline serait donc tombée dans l’oubli ?”, rigole Éloïse d’Argent à l’une de nos questions naïves sur la transmission de ce savoir. “C’est un métier atypique”, concède-t-elle. “Mais passionnant, renchérit son acolyte Frantz Wehrlé. On voyage, on travaille dans de beaux endroits, on croise d’autres corps de métiers.” Le duo, qui signe désormais ses projets à deux, s’est rencontré à l’école Van der Kelen de Bruxelles. “Une sorte de Poudlard fantastique, où l’on apprend à travailler à l’huile comme les anciens.” Cet artisanat à la lisière de l’art ne se cantonne pas aux trompe-l’oeil de marbre, de pierre ou de bois. “C’est la variété des projets qui rend notre métier intéressant”, insistent-ils, curieux de techniques mais aussi d’histoire. Ce sera la création d’un décor grotesque dans une villa italienne, puis la réalisation de faux marbres sur les plinthes d’un salon de la demeure picarde du créateur John Galliano, d’un autre faux marbre sur un plafond à caissons de 400 m2, d’une fausse pierre marbrière et de décors de trophées et palmettes en grisaille dans la piscine intérieure d’un château belge ou d’une peinture sur carreaux de faïence pour un hôtel… Pour Éloïse d’Argent, titulaire d’un master d’histoire de l’art en Arts décoratifs du XVIIIe siècle, la compréhension historique d’un décor et la “vertigineuse recherche d’archives” sont tout aussi importantes que l’application. À les voir s’enchanter d’une dorure sur boiserie de l’hôtel particulier Le Marois, où ils travaillent de manière discontinue depuis huit ans, on prendrait volontiers un pinceau pour les accompagner dans cet univers suranné.
Les céramiques murales par Henriette Arcelin
“S’exprimer librement sur les murs, cela me fait penser à l’école. Il y a quelque chose de naïf et d’enfantin que j’adore”, s’émerveille Henriette Arcelin, en accord avec son univers foisonnant et enchanteur. Parisienne expatriée à Lisbonne, cette diplômée du Chelsea College of Art and Design à Londres, qui a étudié les Beaux-Arts à Nice, est une céramiste partie au Portugal pour apprendre cet art et qui a repris le dessin pour peindre ses créations. Où mieux que dans ce pays pourrait-elle créer ? “Il y a une histoire formidable de la production textile, des poteries, des tapisseries, des azulejos”, confirme-t-elle. C’est ainsi qu’elle travaille avec la manufacture Viúva Lamego, fondée en 1849, pour produire ses carreaux. L’aventure des décors muraux commence il y a sept ans, lorsque l’agence d’architecture d’intérieur d’Ana Anahory et Felipa Almeida la contacte pour créer une fresque, sa première, au sein du restaurant du vignoble Quinta Do Quetzal. Depuis, elle a customisé des murs à Marseille, dans la capitale portugaise et pour des particuliers. “Ces fresques sont comme des ouvertures, des fenêtres sur des paysages imaginaires, non cloisonnés par un cadre”, commente-t-elle. Passionnée par le dessin botanique, Henriette Arcelin ne cesse de visiter les jardins et accumule les livres sur la question. Dans ses réalisations, elle transcende le genre avec des couleurs vives qu’elle applique sur un carreau à l’émail cru, avant la dernière cuisson, puis vient la composition grandeur nature, tel un puzzle où l’oeuvre prend vie et les oiseaux semblent prêts à l’envol.
Les fresques chromatiques d’Alexandre Benjamin Navet
“Quel est votre métier ?” Si évoquer les fresques qu’il peint chez des particuliers ou raconter son bonheur d’avoir imaginé des façades chromatiques pour la place du commerce à Nantes le rend prolixe, cette simple question le laisse perplexe. “J’ai une formation de design industriel, je suis passionné par le dessin, j’imagine des projets à la lisière de l’architecture d’intérieur, du design et de la scénographie, je peins, je con.ois aussi des objets pour qu’ils s’intègrent au mieux dans mes décors, peut-être que je suis artiste/ designer ?” Diplômé de l’Ensci-Les Ateliers en 2011, où il a “appris . savoir comment se com portaient les matériaux”, Alexandre Benjamin maîtrise aussi l’espace et les perspectives, mais ce qui le passionne avant tout, c’est la couleur. Les scènes qu’il compose pour des espaces publics, des hôtels, des restaurants ou de grandes maisons ? en tant qu’artiste invité 2022, il est intervenu pendant une année entière sur les vitrines et les boutiques Van Cleef & Arpels partout dans le monde, “en ayant l’impression d’inviter les gens à plonger dans son carnet de dessins !” ? ont en effet en commun de s’animer au travers de teintes puissantes et vives. Récompensé en 2017 par le Grand Prix du concours d’architecture intérieure de Design Parade organisé par la villa Noailles, qui lui vaudra en 2020 de poser ses pinceaux sur la façade de l’Hôtel des Arts de Toulon, il joue avec ce flou artistique qui lui va bien. Art (certains de ses dessins finissent sous cadre), street art, décoration ? Lui préfère évoquer ses rêves à venir, “dessiner des décors de théâtre”, et son but, “la joie”. Quel qu’il soit, voilé un bien joli métier.
Les décors naturalistes d’Atelier L’Etoile
“On adore expérimenter, enrichir les traditions, inventer de nouvelles techniques pour apporter du mouvement à nos créations.” Ce couple d’artistes, associés depuis plus de dix ans à la ville, est inclassable. L’une, Stéphanie Lay, a suivi un cursus classique (Arts déco à Paris), quand l’autre, Mathias Gaillaguet, est un autodidacte qui a participé à une fresque murale au Danemark à l’âge 14 ans puis est parti à New York pour la création de la galerie d’art de Paul Steinitz. “On a eu le déclic quand on s’est retrouvés à travailler sur des décors muraux façon chinoiseries pour un appartement boulevard Raspail à Paris. Ça nous a émerveillés…”, se souvient Stéphanie. Jusqu’alors présents en galeries, les deux créateurs décident de changer de registre. Sérigraphie, métallisation, peinture à l’éponge, dorures à la feuille d’or… : ils mettent leur connaissance des matériaux au service de décors plus vrais que nature, peuplés de végétaux évanescents, comme dispersés par le vent. Les projets s’enchaînent : un tableau de 8 x 3 m façon tapisserie d’Aubusson revisité pour l’entrée d’un hôtel particulier ; un bas-relief composé de végétaux travaillés “à la Matisse” avec Laura Gonzalez pour Cartier, à New York… “À chaque fois, on invente de nouveaux modes opératoires : le champ des possibles est vaste.” Le duo s’est construit un vocabulaire, comme le “vagué”, cette façon qu’ils ont de créer des ondulations en travaillant la matière au peigne. Une technique inédite, qu’ils expérimentent en ce moment même sous la direction de Tristan Auer, dans un hôtel particulier londonien.
Les décors muraux texturés de Véronique De Soultrait
“Quand je me suis prise de passion pour le crochet, il y a dix ans environ, c’était ultra-ringard !”, se souvient cette ancienne des Beaux-Arts qui s’était spécialisée en dessin textile, avant de rejoindre les Compagnons du Devoir pour une formation en restauration de décors muraux. Pendant vingt-cinq années, Véronique exerce en tant que peintre en décor. Puis elle décide de se fier à ses envies et lance une première collection de coussins réalisés avec des pièces vintage en crochet, assemblées en patchwork et teintes. Le succès est immédiat. Pour conjuguer son métier et sa passion textile, elle a alors l’idée de composer des décors muraux en fils et cordes. “J’ai ainsi réinventé ma profession il y a sept ans, et dû trouver des solutions pour coller cordes, dentelles et macramés de façon pérenne sur des supports.” François Champsaur, Laura Gonzalez, le studio Alberto Pinto, Bruno Moinard… : rapidement, les plus grands noms de la décoration parisienne la sollicitent. Elle enchaîne les collaborations avec Cartier, Van Cleef & Arpels, Fred, Vuitton, etc. “C’était à chaque fois un nouveau challenge technique, il fallait que je sois à la hauteur de ces belles maisons.” Coton brut ou ciré, chanvre, lin, bambou : Véronique privilégie les matières naturelles, qu’elle associe à du cuir, du polypropylène, du métal, des fils d’or. Ses compositions sont des juxtapositions de modules géométriques, répétés à l’envi. “Ça s’apparente un peu à du Soulages.” Son souhait à présent est de développer des motifs floraux voire animaliers, pour une décoration figurative façon années 30…
Les carreaux émaillés poétiques de Salima Filali
“Ce qui me plaît dans ce carreau émaillé, c’est sa valeur patrimoniale : ça me fascine de découvrir ces extraordinaires techniques de découpes à la main qui remontent au Xe siècle et de les détourner pour créer des compositions modernes.” Architecte de formation, intégrée à un cabinet genevois, Salima se prend de passion pour le travail particulier de cette terre originaire de Fès, à l’occasion de la construction d’une maison familiale au Maroc. “J’ai découvert un savoir-faire que je ne soupçonnais pas…” Elle commence alors à dessiner ses premières collections, parallèlement à son métier. Repérée par la fondation WRP à Genève, qui soutient les jeunes designers, Salima passe l’année 2021 à affiner son style et à préparer l’exposition annuelle de ladite fondation, qui a lieu durant tout le mois de mai. Puis elle lance son activité de décoration de murs et sols à base de zelliges, travaillant en collaboration avec des artisans de Fès. “Cuit « à l’ancienne », dans des fours à bois, le zellige n’est jamais régulier, ni dans ses formes ni dans ses formidables couleurs : c’est ce qui le rend si vivant et émouvant.” Comme la cuisson se fait en deux étapes, le format des carreaux obtenus est limité à 10 x 10 cm, sinon ils se briseraient sous l’effet de la chaleur. Le travail de découpe, ciselage et assemblage de Salima Filali n’en est que plus colossal : elle utilise jusqu’à 1920 pièces/m2 pour créer son effet “écaille”. Impressionnant…
Les dessins hauts en couleur de Claire de Quénetain
Des feuilles dansantes, des herbes folles et du vent qui secoue la verdure : les peintures rythmées de cette Normande qui a grandi jusqu’à l’âge de 10 ans près de la nature (ses parents étaient éleveurs de biches et de cerfs) font chalouper les végétaux et les jardins qui l’inspirent. En arrivant à l’Écal, l’école d’art de Lausanne, en Suisse, “le seul sujet qui me venait en tête était cette campagne idéalisée de mon enfance”, raconte-t-elle. Depuis, diplômée du Royal College of Art à Londres en textiles d’imprimés, elle a créé son studio et autoédite ses tissus et ses papiers peints. Ce qui lui offre une immense liberté : “C’est la part artistique de mon travail, je crée une nouvelle collection et je propose ce que je veux. Ce qui donne ensuite le ton pour d’éventuelles collaborations.” Claire de Quénetain s’est vite fait connaître en Angleterre grâce à ses motifs pour les grands magasins Heal’s. En France, c’est l’éditeur de tissus Thevenon qui a édité certains de ses dessins. En 2018, elle réalise une fresque murale chez elle et c’est la révélation : “J’ai adoré ! Je l’ai postée sur Instagram et l’architecte d’intérieur Laura Gonzalez m’a contactée pour effectuer un décor dans le restaurant La Gare.” De fil en aiguille, Claire de Quénetain répond à plusieurs commandes, privées ou comme pour l’adresse bruxelloise du futur hôtel The Hoxton. “C’est un rapport différent au corps et aux gestes. J’aime transformer une pièce grâce à la peinture. Cela donne une tout autre dimension à mes créations.”
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