Zone Interdite : "Des mineurs placés dans des hôtels, ça existe", le constat perturbant de Pauline Renard

Parce qu’elle ne veut pas devenir une éducatrice maltraitante, Pauline va aller exercer son métier ailleurs qu’en France. Rencontre. A retrouver dimanche 16 octobre à 21h10 dans Zone interdite : Familles d’accueil, hôtels sociaux, le nouveau scandale des enfants placés.

Vous travaillez depuis dix ans comme éducatrice spécialisée. Avez-vous eu la charge de mineurs placés, dépendants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ?

Pauline Renard : Oui, bien sûr. J’ai notamment travaillé dans des foyers et dans des hôtels où l’ASE avait placé des mineurs.

Comment un enfant peut-il se retrouver dans une chambre d’hôtel, surveillé 24 heures sur 24 par un éducateur ?

Ils ont généralement été placés petits, ont fait le tour des structures collectives type foyers et n’en peuvent plus. L’ASE les place en hôtel parce qu’ils ont un dossier trop lourd pour être accueillis ailleurs.

De quel type d’hôtel s’agit-il ?

Les seuls qui acceptent de prendre le risque d’accueillir ces jeunes. Ces hôteliers travaillent avec l’ASE, le 115 (Samu social, ndlr) et accueillent aussi des mineurs non accompagnés (mineurs isolés étrangers, ndlr), mais pas de touristes.

Comment travaillez-vous dans ces hôtels ?

L’ASE m’assigne un jeune, j’arrive à l’hôtel à 8 h du matin, je prends la relève de mon collègue de nuit, et je reste jusqu’à 20 h. Et ce rythme peut durer des semaines, des mois ou plus d’une année.

Quelle est votre mission pendant les douze heures passées avec le jeune ?

Il faut savoir que lorsqu’elle place un ado en hôtel, l’ASE n’a aucun projet d’accompagnement et du coup nous, éducateurs, n’avons aucune autre obligation que de les garder. Certains ne cherchent même pas à entrer en contact avec le jeune, pour éviter les embrouilles. Moi, je proposais de déjeuner ou de sortir, mais si le jeune veut rester dans sa chambre, ou préfère fuguer, je ne peux rien faire à part le signaler au commissariat dans le dernier cas.

Mais ils n’ont quand même pas l’interdiction de sortir ?

Non, mais si on leur pose des horaires, "tu sors à 16 h et tu rentres à 18 h", peu les respectent.

Ils sont mineurs. Quid de leur scolarité ?

Tous les enfants dont j’ai eu la charge en hôtel étaient déscolarisés. Là encore, c’est l’ASE qui doit se charger des inscriptions éventuelles. De notre côté, on ne peut rien faire.

Ils sont placés dans des chambres simples, minuscules, parfois insalubres. Comment se nourrissent-ils ?

Nous recevons une enveloppe de cash en début de mois qui couvre leurs repas et leur hygiène. Mais ça crée des situations de tension, quand vous devez cacher l’enveloppe parce que le jeune, lui, voudrait utiliser l’argent pour autre chose…

Finalement, vous êtes presque un gardien de prison social…

Sauf qu’à la différence d’autres collègues, qui n’hésitent pas à ceinturer les jeunes qui font des crises, moi, je ne fais pas de contention. J’appelle les pompiers. Je me souviens de cette fois où une ado était devenue violente, y compris envers elle-même. La police est arrivée, la situation a dégénéré. Elle a fini par être emmenée par les pompiers, mais avant ça, elle a promis de me tuer.

Que faut-il changer en urgence ?

L’ASE fait le minimum syndical. Elle loge, nourrit, blanchit. Mais ces gamins n’ont rien à faire de leurs journées. Pourquoi ne pas leur faire intégrer le tissu associatif, les rendre acteurs dans l’humanitaire, ailleurs que dans leurs quartiers ? Le statut des éducateurs est aussi à revoir. Aujourd’hui, on estime qu’un éducateur avec plus de six ans d’expérience est trop cher. Alors on recrute des gamins qui n’ont parfois même pas le BAFA. C’est explosif.

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