Elle ne le nomme pas, mais évoque « un des cafés les plus symbolique de Paris », « qui porte en lui une partie de notre patrimoine littéraire et philosophique ». Dans une longue tribune publiée mercredi 12 octobre 2022 sur le HuffPost, Élisabeth Moreno dénonce le racisme dont elle a été victime il y a quelques jours dans ce lieu, en pleine après-midi.
Élisabeth Moreno, avec quatre autres femmes « noires et métisses »
Alors que l’ancienne ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes venait de s’installer à une table avec quatre autres femmes, toutes « noires et métisses », un manager s’est approché d’elles, leur sommant « sur un ton péremptoire » de changer de place, au prétexte qu’elles dérangeraient un client « habitué » du café.
Nous n’étions pas des habituées, nous. Nous n’étions qu’un groupe de femmes noires et métisses, certaines étrangères, et notre présence dérangeait un habitué.
« Nous sommes cinq, lui est seul, mais c’est à nous de partir. ‘Ce Monsieur travaille, et c’est un habitué, lui’, nous justifie-t-on’. Nous n’étions pas à notre place. Nous n’étions pas des habituées, nous. Nous n’étions qu’un groupe de femmes noires et métisses, certaines étrangères, et notre présence dérangeait un habitué », rembobine-t-elle, indignée.
Élisabeth Moreno confie qu’elle en « tremble encore de colère et de tristesse ». « De colère parce que j’étais, entre autres, avec Mae Jemison, femme extraordinaire, acceptée à Stanford à 16 ans, sélectionnée pour être astronaute quinze ans plus tard, et qui est devenue en 1992 la première Afro-Américaine à aller dans l’espace, à bord de la navette spatiale Endeavour », détaille-t-elle, regrettant que cette brillante amie ait ainsi « découvert une image très différente de [s]a France rêvée et dont [elle] lui parle avec ferveur ».
Une tribune adressée aux victimes de discriminations qui ne portent pas plainte
« Je constate amèrement que ces actes inadmissibles se camouflent dans les pratiques de certains établissements qui, sous couvert d’être sélectifs, se permettent d’exclure à l’entrée les femmes et les hommes issus de la diversité », assène l’ex-membre du gouvernement, rappelant la récente enquête filmée de l’association SOS Racisme, à la suite de laquelle une plainte pour discrimination raciale, contre deux plages privées de Juan-les-Pins (Alpes-Maritines) qui ont refusé l’entrée aux personnes d’origine subsaharienne et maghrébine a été déposée.
Cette dense tribune de la femme politique de 52 ans est nourrie par des données récentes, qui illustrent la « persistance des stéréotypes dans notre société » – voire son augmentation.
En 2019-2020, 46 % des femmes estiment avoir été discriminées en raison de leur genre, selon une étude de l’INSEE publiée en juillet 2022 qu’elle cite. Elles étaient 28 % entre 2008 et 2009. Autre chiffre édifiant qu’elle relaie : en France, seules 2 % des victimes de discrimination liée au genre ou aux origines osent franchir le cap du dépôt de plainte.
« Je veux que les personnes qui sont victimes de discriminations sachent qu’elles ne sont pas seules face à l’injustice », écrit-elle aussi, les encourageant à poursuivre leurs agresseurs en justice.
Élisabeth Moreno conclut son texte personnel et politique par un bond dans le temps, elle remonte soixante dix ans en arrière, quand le célèbre auteur afro-américain James Baldwin écrivait son premier roman, La Conversion, « à une table du [café de] Flore », si symbolique lieu du quartier de Saint-Germain-des-Près (Paris, 6e), culte QG d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
Inquiète, elle tente de demeurer optimiste : « On ne l’en a jamais chassé. Il était un habitué. Le serait-il encore aujourd’hui ? Je veux le croire. »
- Le racisme fragilise la mémoire des personnes qui le subissent, alerte une étude
- L’expérience du racisme ferait apparaitre la ménopause plus tôt chez les femmes racisées
Source: Lire L’Article Complet