Comment « Star Wars » est devenu une saga comme les autres

  • La saga des Skywalker touche à sa fin avec la sortie de l’épisode IX de Star Wars, L’Ascension de Skywalker, le mercredi 18 décembre.
  • 20 Minutes accompagne cet événement en revenant sur l’impact immense que la saga a eu sur la culture mondiale.
  • Aujourd’hui, plongée dans la contre-hype, ou comment Star Wars s’est tristement banalisé.

Un nouveau film Star Wars, c’est censé être plus attendu qu’un RER B un jour de décembre de
grève. Alors que la trilogie originelle avait inscrit la saga dans le panthéon
cinématographique, que la prélogie était le vrai bug autour du passage à l’an 2000 et que Star Wars VII était arrivé avec de gros sabots écraser le cinéma mondial et monopoliser les conversations,
l’épisode IX , L’Ascension de Skywalker semble lui débarquer timidement avec des petits souliers.

Ce n’est pas la sortie la plus anonyme de l’histoire bien sûr, mais quand même, dans une année qui aura vu les hypes de la saison 8 de Games of Thrones ou d’Avengers Endgame, le dernier volet de l’épopée des Skywalker se montre bien discret. Au point d’établir un terrible constat qui aurait été blasphématoire il y a encore quelques années : Star Wars est rentré dans le rang, devenant une saga de plus, comme les autres.

Quand le film devint routine

Pour comprendre la banalisation du phénomène, de simples chiffres suffisent : de 1977 à 2015, il y a eu six films Star Wars en tout et pour tout (la trilogie originelle et la prélogie). L’Ascension de Skywalker sera quant à lui le cinquième film en quatre ans (la postlogie + SoloRogue One). Une fréquence presque routinière. Au grand damn de Nicolas Allard, professeur agrégé de lettres modernes et auteur de Star Wars, un récit devenu légende. S’il assure que l’univers était incroyablement riche, grâce aux livres dérivés, aux jeux vidéo et autres comics, « les images filmées ont toujours été une exception. » Si bien qu’on pouvait faire tout un comic sur un personnage au second rang dans un plan quelconque d’un film… « C’était ça la force de Star Wars : 
l’image filmée était très rare donc très précieuse. Elle avait une valeur accrue par toutes les histoires qu’elle créait. C’était la récompense de voir l’univers se visualiser et prendre vie après l’avoir tant imaginé. »

Si jadis l’image filmée était donc le Graal mérité après des années d’imagination solitaire, aujourd’hui les films bornent l’imagination plus qu’autre chose, selon le professeur agrégé : « Les fans durs sont déçus de ne pas voir ce qu’ils attendaient et d’être enfermé dans un carcan défini. Plus les films avancent, plus ils brident les possibilités ».

L’épopée de Skywalker écornée

Il faut bien voir aussi ce qu’elles montrent, ces fameuses images en opulence. Le contenu des nouveaux films, notamment le dernier, écorne la légende. « Qu’on l’ait aimé ou pas, Les derniers Jedi s’est amusé à retourner les codes du mythe, à prendre le contre-pied de ce qui avait été créé jusque-là », analyse Jean-Baptiste Clais, ethnologue et spécialiste de la pop culture. Or, le mythe des Skywalker, c’est comme le cœur de votre crush : à trop jouer avec, on finit par le briser.

Voir Luke et consort passés de sauveur de la galaxie à des boomers aigris ou des incompétents a forcément un petit effet sur leurs légendes. L’ethnologue reprend : « Quoi qu’on pense de la qualité de la prélogie, elle ne changeait rien à la trame ou aux héros des trois films originels. Là, Star Wars VII et VIII impactent l’image qu’on a d’eux et donc de l’œuvre globale ainsi que son aura. » L’épopée de Luke Skywalker est ainsi quand même sacrément moins stylée et épique depuis qu’on sait que quelques années après qu’il ait sauvé
la galaxie et vaincu l’Empire, un Empire 2.0 tyrannisait à nouveau ladite galaxie…

La fin de l’univers étendu

Pour Nicolas Allard, la postlogie est surtout coupable du pire crime de lèse-majesté : rendre caduque l’univers étendu. On explique pour les profanes : au-delà de la prélogie et la trilogie, Star Wars s’était doté de tout un univers dense et riche à travers les comics, les romans, les jeux vidéo, etc. dont la plus grande force (sans majuscule) était la cohérence entre les différents supports. Nicolas Allard en reste encore pantois d’admiration : « Star Wars fut la première saga transmédia où tout était relié dans le même sens et avait la même trame et les mêmes codes. »

Mais ça, c’était avant. Désormais, cet univers étendu est devenu un univers non-canon, comprendre non-officiel. La vraie histoire officielle étant celle des films VII et XIII, bourrés de contresens par rapport à ce que racontait l’univers étendu. Et cette perte, elle passe mal : « Non seulement les fans se sentent trahis et lésés avec une histoire contraire à celles qu’ils ont lues, mais en plus Star Wars a perdu sa richesse », s’indigne le professeur agrégé.

La révolution attendra

Cette fin de l’univers étendu a une autre conséquence : Star Wars perd de son côté révolutionnaire. Pas besoin d’avoir poncé l’histoire du septième art pour savoir la révolution cinématographique, visuelle et technologique que fut Star Wars à sa sortie. La prélogie a par exemple été marquée par l’utilisation systématique et abondante d’effets spéciaux. Mais qu’ont apporté le 7 et le 8 à l’histoire du cinéma ? Alors oui, la patte à J.J Abrams et les plans iconiques de Rian Johnson sont bien jolis mais on les connaissait avant ces films-là.

Moins ambitieux, moins unique, moins révolutionnaire, Star Wars doit en plus lutter face à une concurrence accrue. En 1977, il écrase tout mais avait une autoroute vide devant lui. En 2019, le chemin est déjà bouché par Avengers Endgame, Game of Thrones, Watchmen, et autres hypes du moment. Jean-Baptiste Clais concède : « Star Wars n’a plus le monopole de
la saga mythique ou de l’événement culturel majeur. Il est dans un monde plus concurrentiel et où le mode de consommation a aussi changé. Aujourd’hui les séries ont une qualité et une construction cinématographique, rendant encore plus rude de créer une attente mondiale sur un film. »

Tourner la page Skywalker

Que souhaiter à Star Wars pour retrouver un peu de son aura perdue au fin fond d’une galaxie lointaine, très lointaine ? Déjà, le PDG de
Disney, Bob Iger, a tranché : il y aura moins de films et plus d’espacement entre eux. Un bon moyen selon Nicolas Allard de retrouver la flamme perdue chez les fans : « Il vaut mieux quitter un peu les films et se concentrer sur d’autres supports transmédia, ce qui fut la force originelle de la saga et qui l’a réellement inscrite dans la légende ».

Cette prolifération de film avait pourtant réussi à Marvel. Pourquoi Ironman a réussi là où Rey a échoué ? « Les personnages de Marvel sont plus intéressants et mieux construits individuellement. La force de Star Wars, c’est l’univers et la mythologie autour, mais les personnages sont peu mémorables à quelques exceptions près » – comprendre Dark Vador. « Plus on voit les personnages du MCU, plus le monde autour se renforce, mais surreprésenter l’univers Star Wars le diminue car ses personnages trop faibles n’arrivent pas à le porter et lui rendent mal vie ».

Et tant qu’à faire, quitte à changer de médias, autant changer aussi et surtout de temporalité et de héros appuie Nicolas Allard : « La période Skywalker et pré/post Empire, on a fait le tour. Il y a tant d’autres zones de l’univers Star Wars a exploré et d’histoire passionnantes a raconter. » Loin de Luke, Palpatine et des destroyers interstellaires, créer d’autres héros dans d’autres temporalités. Le meilleur moyen de redevenir un mythe, c’est encore d’en construire de nouveaux.

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