Il a donné rendez-vous près de chez lui, dans un café de la place d’Alésia, au sud de Paris. Le quartier de Modiano et des catacombes. « J’aime bien me dire qu’il y a toute une vie souterraine comme les pneumatiques dans Baisers volés, entame Louis Garrel. On m’a dit qu’il y avait une grande salle de cinéma secrète. » Il n’est pas allé vérifier mais il reconnaît aisément « les spéléologues de Paris » à leurs visages enfarinés du petit matin. L’été court à sa fin.
Après quelques jours en Corse et en Provence, le dandy parisien s’est rhabillé de la tête aux pieds, veste, T-shirt et pantalon noirs. Il a gardé les Birkenstock. Rien de grotesque, au contraire, il est charmant.
Ambiance Belle Époque
Banquettes rouges et abat-jour doré. 22 h 30, fringale du soir, il prévient : « Cette brasserie est belle mais ce n’est pas très bon, comme s’il y avait une petite couche de poussière sur la bouffe. »
Pour compenser, il met les formes, lit le menu à voix haute. Tomates mozzarella pour lui, jambon melon pour nous… Avec son air de bel ragazzo, on se croirait en Italie. Il vous pose des questions par petits paquets : votre ancien lycée, vos vacances, vos amours.
Cultivant l’art de la conversation, il n’est pas loin de vous soutirer des confidences. « J’ai toujours été curieux, avoue-t-il. Quand j’étais petit, je suivais mes beaux-pères, je mettais des micros partout. » Son quatrième film est une comédie policière.
Dans L’innocent, en salle ce 12 octobre 2012, Abel (Louis Garrel, en garçon pessimiste) s’inquiète pour sa mère qui vient d’épouser un prisonnier peu de temps avant sa libération. Pour la protéger, il prend le nouveau mari en filature mais finit par l’épauler dans un braquage.
Avant, j’aimais vivre la nuit, maintenant j’aime regarder des films.
Sa mission : simuler une scène de ménage pour détourner l’attention de la victime. L’essentiel se passe de nuit. « C’est plus excitant et plus cinégénique même si la majorité des hold-up a lieu la journée », admet-il.
Son coup de maître ? Le tricotage d’un marivaudage dans une scène d’action, où il se joue une chose très intime, sous les néons d’un restoroute. « J’aime bien traiter l’histoire des sentiments et des affects de manière tragique car quand ça nous arrive, c’est toujours tragique. »
L’enfance fantasque de Louis Garrel
Après avoir fait tourner deux fois son épouse Laetitia Casta, Louis Garrel a dédié L’innocent à leur fils de 1 an, Azel. Pour l’histoire, il s’est inspiré de sa mère, Brigitte Sy. Actrice et réalisatrice, elle a animé des ateliers de théâtre pendant vingt ans en prison où elle a épousé l’un de ses élèves quand Louis n’avait pas 18 ans.
De son enfance, il se souvient des fêtes picaresques à la maison avec des anciens taulards et des « avant-gardistes » parmi lesquels des bénévoles de Médecins du Monde, des psychiatres qui essayaient des nouvelles méthodes, des types qui incitaient les teufeurs à tester la drogue avant d’acheter, deux peintres qui faisaient des spectacles de drag queens… « J’adorais m’endormir au beau milieu dans le canapé. »
Il garde de ces agapes tardives la capacité à piquer du nez n’importe où. Au concert des Smashing Pumpkins, par exemple… « Des garçons pourtant énergiques ! » Depuis une bonne heure, il carbure à la Badoit.
Une habitude prise à l’âge de 20 ans en boîte de nuit. « Venait toujours le moment où le niveau général d’alcool des copains était franchi… Ne pouvant plus communiquer, je me barrais… »
Parfois, il restait devant Le Baron, le club du Tout-Paris, juste pour regarder les gens. À l’approche de la quarantaine, il résume sa vie par cette formule de noctambule : « Avant, j’aimais vivre la nuit, maintenant j’aime regarder des films. »
La veille, il s’est endormi à 5 h 30 avec La règle du jeu de Jean Renoir, joue collée à l’écran, au Mercure d’Angoulême où il était invité au Festival du Film Francophone. « Je regarde La règle du jeu dès que je vois trop d’images bizarres sur Instagram, ça lave les yeux et je ne suis jamais déçu. »
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L’innocent en musique
Pas de musique ici. Sur le ronron du trafic de Paris by night, on fredonne les chansons de la bande-son de L’innocent : Pour le plaisir d’Herbert Léonard, Une autre histoire de Gérard Blanc, I Maschi de Gianna Nannini…
« J’ai voulu faire un film de variété », glisse-t-il. Un film de variété ? Un film qui se rapporte à tout le monde et touche un maximum de cordes sensibles. Le chef-d’œuvre en la matière ? Kramer contre Kramer (1979) de Robert Benton : « Le long travelling où Dustin Hoffman court en portant son fils qui vient de se casser la gueule dans un parc d’enfants, ça me déchire. »
Il commande des œufs mayo. On se lance sur Nuit magique de Catherine Lara, autre chanson collector de L’innocent. « Pour celle-là, la référence, c’est Patrice Chéreau . Ceux qui m’aiment prendront le train (1998) ».
Il montre un extrait sur son portable et reprend quelques répliques. On y voit Vincent Perez habillé en femme, Jean-Louis Trintignant qui fait essayer des chaussures, Pascal Greggory aussi.
Et puis Valeria Bruni Tedeschi, son ancienne compagne (qui lui a offert le rôle de Patrice Chéreau dans Les Amandiers, présenté à Cannes cette année, sur la troupe du metteur en scène à la fin des années 80).
J’ai la petite habitude de m’endormir au cinéma, dans les grandes salles du Gaumont Alésia. Très confortables.
Enfant, il rêvait du faire du théâtre, pour marcher dans les rues désertes après le spectacle. Ça lui vient de son grand-père, l’acteur Maurice Garrel, vu à 12 ans dans Le visiteur d’Éric-Emmanuel Schmitt. Il incarnait Freud.
« Il était très beau, très grand, très élégant avec une passion pour les manteaux, les vestes, les écharpes sublimes, avec un chapeau Borsalino… décrit-il. Je m’imaginais dans sa vie. » Minuit passé : en se levant de table, on se dit que Louis porte bien la sandale. Légère et nonchalante, mais solide.
13 question d’après minuit
Marie Claire : Dormez-vous bien la nuit ?
Louis Garrel : Assez bien pour ne pas me souvenir que je ronfle.
Vos boissons et nourritures nocturnes ?
J’ai dit au cours de notre discussion que je ne buvais pas mais il y a une boisson que je bois parfois à minuit et demi, c’est du Cointreau avec du jus d’orange, de l’eau pétillante et des glaçons dans un gros verre en cristal.
Votre mère vous embrassait-elle au coucher ?
Dans l’obscurité. J’ai des souvenirs de ma chambre complètement dans le noir, avec juste un rai de lumière qui laissait imaginer que toute la maison était encore éclairée.
Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?
Beaucoup de liquides de cigarettes électroniques. J’ai longtemps acheté de la vapeur d’hydromel, soi-disant goût alcool de miel, ça laisse rêveur. Et pas mal de livres. En ce moment, L’écrivain raté de l’Argentin Roberto Arlt (aux éditions Sillage).
Vos carburants d’après minuit ? Alcool, sexe, drogue, sucre, Xanax ?
Quand j’ai le courage, je prépare un thé indien, avec du lait de soja que je fais chauffer. Le chaï. On peut même y faire fondre un petit Xanax. J’avais un ami, le metteur en scène Luc Bondy, qui faisait ça.
La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?
Récemment… J’ai la petite habitude de m’endormir au cinéma, dans les grandes salles du Gaumont Alésia. Très confortables.
Boule à facettes ?
Dans la vie, je n’en suis pas dingue mais, à filmer, l’effet est irrésistible. C’est un cliché agréable.
Le parfum de la nuit ?
Une domination des boulangeries en plein travail avec l’odeur des croissants. À un moment, je fantasmais beaucoup sur l’heure à laquelle les boulangers se levaient. Minuit et demi, non ?
La nuit la plus dingue ?
Les attentats du 11 septembre 2001. J’étais à Lisbonne dans un festival, en train de regarder Lilith, un film de Robert Rossen de 1964 avec Warren Beatty et Jean Seberg, dans un hôpital psychiatrique. Assez violent. Pendant la projection, des gens m’appellent, je comprends. Je veux sortir… Paulo Branco me dit : « Non non, tu regardes Lilith. » Impossible de me concentrer.
Le plus trash la nuit ?
Quand j’avais 18 ans, on est allé dans une boîte de nuit quasiment collée au périphérique, Metropolis. Une espèce de hangar énorme. Le type qui nous a conduits au retour était bourré. J’ai stressé sur toute la route.
Que préférez-vous la nuit ?
Voir des colonies de rats faire des trous dans les poubelles. D’ailleurs on ne dit plus rats, c’est péjoratif, on les appelle « surmulots ».
Les mots de la nuit ?
Les rires gras des mecs alcoolisés.
La chanson de la nuit ?
Madame rêve d’Alain Bashung.
Cet article a été initialement publié dans le numéro 842 de Marie Claire, daté novembre 2022.
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